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les engager à ne porter que lui à la toutepuissance.

Les Maratistes de leur côté, résolurent de temporiser, et d'attendre que de nouveaux événemens les déterminassent à prendre un parti définitif. Ils dissimulèrent en conséquence avec le prince; ils feignirent de donner dans son sens, et lui jurèrent un dévouement a toute épreuve. Au moyen de ce manège, ils se servirent de la fortune de d'Or léans pour continuer à remuer, et se mettre en état de chasser de la convention, et même de frapper d'un hors de la loi, tous les Brissotins.

D'Orléans qui vouloit faire des Maratistes. les instrumens de son élévation, dissimula comme eux; il feignit de croire à leurs protestations de fidélité. Majs dans cette réciprocité de fourberie,' tout le désavantage fut de son côté, parce que les Maratistes ne lui donnoient que des promesses incertaines, tandis que lui, pour s'en faire un parti, et pour qu'ils ne conçussent aucun ombrage, étoit obligé de leur distribuer les restes de sa fortune.

Depuis donc les massacres de septembre, d'Orléans qui avoit cru que ce carnage avanceroit beaucoup ses affaires, perdit au. contraire beaucoup de ses forces par la défection de tous les Brissotins, et par le peu de fonds qu'il pouvoit faire sur les Maratistes. Sa faction n'en étoit pas moins encore trèspuissante; Dumouriez, Valence, Biron,

Montesquion, de Menou, Sillery, Sieyes, la baronne de Staël, Laclos, Chabroud, Voidel lui restoient, et cherchoient à lui faire journellement de nouveaux partisans. Il se croyoit au moyen de Dumouriez, de Valence, de Biron, de Menou, et de son propre fils, maître de presque toute l'armée. Il se promettoit d'exciter dans Paris à l'aide des Maratistes, un mouvement qui serviroit de prétexte à Duinouriez pour marcher sur Paris avec toutes les troupes qu'il pourroit rassembler. Dumouriez alors pour mettre un grand nombre de François de son côté, auroit feint de ressusciter la constitution de la première assemblée, et d'Orléans auroit été le roi constitutionnel.

Le point capital pour le prince étoit d'obtenir la mort de Louis XVI. Le jeune Dauphin l'inquiétoit peu; un second régicide lui devenoit infiniment moins difficile que le premier. Il ne craignoit rien des frères et des neveux du roi; il se flattoit que les généraux Dumouriez, Valence et Biron tiendroient en échec les puissances coalisées, et que des négociations heureuses détermineroient les potentats de l'Europe à souscrire au changement de dynastic.

A peine donc la convention nationale eut commencé ses travaux, que d'Orléans engagea les Maratistes à demander que le roi fût mis en jugement. Tous les journalistes, tous les orateurs ambulans du parti, tous les brigrands du Midi restés à Paris, appuyèrent ce

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væu. Les Brissotins y souscrivirent, les uns par lâcheté, les autres par de fausses combinaisons, d'autres aussi par la crainte que d'Orléans, s'il venoit à l'emporter, ne les immolât, et tous pour repousser l'accusation dont les frappoient les Maratistes, de n'être pas franchement républicains. Je ne dois pas non plus omettre de faire remarquer que ces Brissotins avoient parmi eux de faux frères qui contribuoient à les égarer. Pétion par exemple et Condorcet en apparence de leur bord, restoient intérieurement attachés à d'Orléans, et conservoient avec lui des relations.

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Louis XVI parut une première fois dans le sein de la convention, pour répondre aux questions qu'on avoit à lui faire, et qui toutes étoient pour lui imprévues. Il fut conduit par Santerre un des généraux de d'Orléans. Le prince s'étoit placé vis-à-vis le fauteuil que Louis devoit occuper, il se montroit le plus impatient à juger son roi. Le second de ses fils, le duc de Montpensier, âgé de 17 ans, étoit dans les tribunes, et attendoit avec une impatience égale à celle de son père, que le combat s'engageât.

Louis répondit à toutes les explications. qui lui furent demandées, avec beaucoup de présence d'esprit et de dignité. Sa défense fut moins une justification qu'un compte loyal de toute sa conduite depuis qu'il étoit monté sur le trône. Ainsi quoiqu'en posture d'accusé, il ne flétrit point l'honneur du dia

dême, et les rois de la terre n'auront point à reprocher à sa mémoire d'avoir compromis la majesté royale. Ses traits altérés par le malheur, le désordre de sa chevelure, la longueur même de sa barbe, la douceur que répandoit sur sa physionomie, la sérénité de son ame, tout présentoit une image qui toutà-la fois commandoit le respect, et inspiroit l'intérêt le plus tendre.

Tous les visages pâlirent, et d'Orléans fut prêt à s'évanouir, lorsque Barère qui présidoit, ayant dit à Louis qu'il étoit accusé d'avoir fait couler le sang dans la matinée du 10 août, en reçut cette réponse: Non, monsieur, non, ce n'est pas moi qui ai fait couler le sang. Le ton avec lequel ces paroles furent prononcées, le fit entrer bien avant dans toutes les ames, réveilla le remord dans plus d'une conscience, et répandit tout-à-coup une telle lumière dans toute l'assemblée, que chacun vit avec évidence, que les assassins des 2 et 3 septembre, étoient ceux-là mêmes qui avoient fait couler le sang dans la matinée du 10 août.

Tous les cœurs également se sentirent émus, lorsque Brère ayant eu la maladresse de reprocher à Louis ses propres bienfaits, l'auguste accusé lui répondit avec émotion: Ah! monsieur, je n'ai jamais goûté de plaisir plus doux que de donner à ceux qui avoient besoin. En proférant ces mots qui partirent de son cœur, comme un trait, ses yeux se remplirent de larmes. Une femme du

peuple

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peuple venue dans les tribunes comme tant d'autres pour maudire, ne put retenir ses sanglots; elle s'écria douloureusement et à haute voix: ah! mon Dieu comme il me pleurer!

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fait

Le seul d'Orléans que le sang unissoit à Louis, n'étoit pas attendri. L'oeil constam→ ment collé sur sa lorgnette, il plongeoit sur la victime, et sembloit se plaindre de ne pas démêler un seul signe de douleur, un seul signe de foiblesse. Son jeune fils, confondu avec la populace des tribunes, montroit la même insensibilité, le même regret. De quel limon sont donc pétris les cœurs dans cette famille ? Quel père voudroit avoir un tel fils? Quel fils voudroit avoir un tel père ?

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On présenta à Louis XVI une foule de papiers dont on prétendoit, se servir pour appuyer les accusations portées contre lui. Cette manière de procéder lui parut suspecte; il demanda à examiner ces papiers à loisir. Le député Valazé lui en met un sous les yeux, et lui dit: voici un mémoire de Toulon, apostillé de la main de Louis. Louis prend le papier, le parcourt, et le rejette en disant: je ne connois pas cela Reconnoissez-vous l'apostille, lui demande Barrère? J'ai dit, monsieur, répond Louis, que je ne connoissois pas cela. Valazé lui présente une autre pièce en lui disant: ceci est l'écriture de vos frères. Louis prend la pièce, et après y avoir jetté un coup-d'œil, il répond: cela ressemble à l'écriture de mes frères, Tome III. P

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