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ses feuilles, de dire: Eh! mais, mon Dieu, que faut-il donc faire pour avoir l'honneur d'être égorgé par ces gens-là?

Quelques membres de la nouvelle assemblée se rangèrent du côté de Manuel et de Fauchet. Le reste se divisa en deux grands partis, tous les deux protestant avec plus de force qu'ils ne l'avoient encore fait, qu'ils vouloient une république, et tous les deux cependant s'accusant de dire un mensonge. Sur ce dernier article, tous les deux avoient raison. D'un côté étoit le parti Brissot, Buzot, Guadet; de l'autre le parti Marat, Robespierre, Danton. Ainsi il y eut encore dans cette troisième assemblée, un côté droit et un côté gauche.

Le parti Brissoit disoit au parti Marat : Non, vous n'êtes pas républicains, vous êtes Orléanistes; car Marat votre chef, a reçu encore dernièrement de d'Orléans quinze mille livres.

Le parti Marat disoit au parti Brissot : C'est vous-mêmes qui êtes Orléanistes; car il est notoire que Buzot un de vos chefs, est l'homme d'affaires de d'Orléans.

Pour prouver qu'ils étoient républicains, les Maratistes proposèrent qu'il fut décrété que la France étoit une république. Les Brissotins de leur côté pour convaincre tous les esprits qu'ils étoient républicains, souscrivirent avec joie à cette proposition. Le parti de Manuel et de Fauchet qui auroit accepté le gouvernement Constantinopolitain, pour vu que d'Orléans ne fût rien, jura aussi qu'il

exécroit la constitution monarchique. C'est de cette manière qu'il fut décrété que la monarchie étoit détruite parmi nous; c'est de cette manière que, comme le dit dans la suite Robespierre, la république se glissa furtivement parmi les diverses factions.

Ainsi les uns votèrent pour la république, par la crainte qu'ils avoient que d'Orléans ne fût roi, et les autres par l'intérêt qu'ils croyoient avoir de faire croire qu'ils n'étoient pas Orléanistes. Ainsi tous les phénomènes de notre révolution partent de cette honte bizarre qu'on a toujours eue d'avouer qu'on tenoit à la faction du prince.

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Dans le fonds, décréter que la France étoit une république, c'étoit ne rien décréter du tout; c'étoit simplement déclarer que la France étoit une chose publique. L'affaire importante étoit de dire comment cette chose publique seroit gouvernée; c'est ce qu'on ne fit pas, et ce silence servit merveilleusement tous les parties. Les Décemvirs qui - courbèrent les Romains sous un joug de fer, prétendoient aussi que Rome étoit une république. Octave en se partageant avec Antoine et Lépide, l'empire du monde, et en se proposant de noyer ses deux collègues dans les flots de sang que conjointement avec eux, il auroit fait couler, confessoit de tout son cœur, que Rome étoit une république. L'heureux et magnanime César en s'élevant sur les débris des factions de Sylla, de Marius et de Pompée, au suprême pouvoir, lais

soit les Romains en possession de se croire des républicains. Plus près de nos tems, l'hypocrite Cromwell avant de devenir le despote de l'Angleterre, eut la sagesse de faire décréter par son long parlement, que les trois royaumes qui formoient cet empire, étoient une république une et indivisible. L'usurpateur adroit ne considère que son but; pour lui les mots ne sont rien, la possession est tout.

D'Orléans n'avoit pas beaucoup d'habileté ; mais il ne falloit pas de grandes connoissances pour savoir que le chef d'un Décemvirat ou d'un Triumvirat, qu'un Dictateur, on un protecteur pouvoient être plus qu'un roi. Peu lui importoit en conséquence, que la royauté fût abolie, pourvu que la puissance royale lui restât. Le changement de dynastie ne s'en trouvoit pas moins alors effectué.

Cependant il sembloit que ce décret qui avoit converti la monarchie françoise en une république, auroit dû réunir les deux partis qui divisoient la convention; car enfin tous les deux s'étant accordés sur ce point qui avoit été jusques-là en apparence l'objet de leur division, toute dissention devoit finir entr'eux. Il s'en fallut bien que la chose arrivât ainsi; ils n'en furent que plus animés, que plus divisés entr'eux. C'est ce qui prouve que l'un et l'autre vouloient autre chose que la république. Le parti Brissot vouloit dominer et écraser le parti contraire, sauf quand il auroit remporté cette victoire,

à prendre telles mesures que les circonstances suggéreroient pour organiser un gouvernement. L'autre parti n'avoit également en vue que de s'emparer de toute l'autorité, et de se défaire de ceux qui la lui disputoient.

La première faction chercha à retenir dans son sein, le duc d'Orléans, et comme elle avoit pour un de ses chefs, Pétion qui avoit été constamment un des amis du prince, elle crut qu'elle y parviendroit. Mais d'Orléans ne pouvant pas être tout-à-la-fois et à Brissot et à Marat, fut obligé d'opter. Il fit dans cette occasion ce qu'il avoit constamment fait dans le cours de la révolution: il se rangea du côté où il crut voir plus de popularité, plus d'audace, plus d'énergic, plus de' scélératesse'; il abandonna les Brissotins, et se déclara Maratiste. Ces Maratistes avoient adopté dans le sein de la convention, une place.qu'ils appelloient la Montagne. D'Orléans se fit montagnard. Ce fut cette montagne qu'il enveloppa de tous ses moyens de séduction, et sur laquelle il versa toutes ses largesses.

Pétion au surplus resté de l'autre bord, n'y étoit retenu que par la honte d'abandonner un parti dans lequel il s'étoit jetté avec trop de précipitation à la vérité, mais aussi avec trop de solemnité pour qu'il lui fût possible de rétograder. Les Brissotins le croyoient à eux; mais ses affections, ses goûts, son ambition le portoient toujours vers d'Orléans. Ce ne fut que lorsqu'il eut l'entière convic

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tion qu'il avoit perdu pour toujours les bonnes graces du prince, qu'il se livra entièrement à la faction de Brissot.

-Au moyen de ces combinaisons, d'Orléans eut contre lui la faction Brissotine, et

se trouva réduit à n'avoir pour lui que celle

où dominoit Marat. Encore son crédit dans ce dernier parti devint-il de jour en jour plus équivoque, et cette diminution de crédit data dès les mássacres du mois de septembre. Ceux qui menoient ce parti, voyant que rien ne leur résistoit, que les innovations les plus extraordinaires en apparence, leur devenoient non-seulement possibles, mais faciles, imaginèrent qu'ils pourroient bien faire pour eux-mêmes, ce qu'ils avoient eu d'abord intention de faire pour d'Orléans. Aussi commença-t-on alors à jetter dans le public, des idées de protectorat, de triumvirat, de dictature; et dans tout ce qu'on imprimoit, dans tout ce qu'on affichoit à ce sujet on ne manquoit jamais de désigner Marat, Danton, Robespierre comme les candidats qu'il falloit revêtir du suprême pou

voir.

D'Orléans s'appercevoit bien que les chefs Maratistes avoient des vues particulières d'ambition qui se trouvoient en opposition avec ses propres desseins; mais comme ces vues n'étoient pas absolument bien prononcées, il croyoit qu'il parviendroit à force d'intrigues, de caresses, d'orgics et d'or, à

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