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semblées électorales. Les Orléanistes avoient éprouvé plus d'une fois dans le cours de la révolution, qu'aucun succès ne devenoit impossible quand on parvenoit préalablement à comprimer les ames par une forte terreur. Ils eurent recours dans cette circonstance, à une ressource si monstrueusement atroce, que dans aucun siècle, les scélérats les plus habitués au crime, n'avoient rien conçu de semblable. Le cœur se brise, l'ame se déchire, on rougit, on s'indigne d'être homme au seul souvenir de cette épouvantable machination. Ces monstres imaginèrent d'envelopper dans un massacre général, pendant que les électeurs, délibéreroient, tous les royalistes, tous les prêtres, tous les anti-orléanistes dont on pourroit s'assûrer.

Quel électeur seroit assez courageux pour refuser le suffrage qu'on lui demanderoit, quand on le menaceroit de le traînér parmi les victimes? C'est ainsi que raisonnèrent les Orléanistes. Comme d'ailleurs ils se proposoient d'obtenir un arrêt de mort contre Louis XVI, ils trouvoient dans la sanglante tragédie qu'ils alloient jouer, l'avantage de lui enlever un grand nombre de ses amis, et d'effrayer ceux d'entr'eux qui auroient échappé au massacre, de manière qu'ils n'osassent ni le défendre, ni apitoyer le peuple sur son

sort.

Pétion et Manuel dont la postérité ne prononçera les noms qu'avec horreur, organisèrent cette boucherie, et ils cherchèrent

leurs bourreaux, non parmi les Parisiens à qui il faut bien se garder d'imputer les crimes de la révolution; ils en ont été, hélas ! plutôt les victimes que les instrumens; ils les cherchèrent parmi ces brigands que Montesquiou avoit poussés du Midi dans Paris.

L'assemblée législative donna en quelque sorte le signal du carnage; elle décréta qu'il seroit fait une visite domiciliaire. Elle se fit dans les ombres de la nuit. Dès les huit heures du soir chacun fût prisonnier dans sa maison. Tandis que des hommes armés gardoient les barrières, toutes les avenues des quais et des rues, toutes les issues qui conduisent à la rivière, d'autres pénétroient dans le domicile des citoyens, et enlevoient ceux qu la faction avoit désignés; les prisons furent engorgées.

Manuel jusqu'au terme marqué pour le massacre, ne manqua pas un seul jour de visiter toutes ces victimes, et de les compter sur ses doigts, pour s'assurer qu'aucune ne manquoit. Si quelqu'un de ces malheureux prisonniers écrivoit ou à cette bête féroce, ou au tigre Pétion pour demander soit la liberté, soit un jugement, il recevoit cette réponse : Vous sortirez le 2 septembre.

Le 2 septembre en effet, les assassinats commencèrent. Il s'établit dans l'intérieur de chaque prison une sorte de tribunal qui livroit les victimes aux bourreaux. Hébert, Lallier étoient membres de celui de l'hôtel de la Force. Le nommé Maillard dont il a

déjà été question dans cette histoire, présidoit celui de l'abbaye. Les noms des scélérats qui composo ent ceux des autres prisons, ne me sont pas connus. Mais dans l'intérieur du palais de la justice, il y avoit un tribunal de sang qui influoit sur les exécutions ordonnées par ces tribunaux particuliers. Il étoit composé de huit juges, deux accusateurs públics, sept jurés et sept suppléans de jurés. Voici leurs noms :

Juges: Robespierre, Osselin, Mathieu, Pepin, Lavaux, Daubigny, Dubail, Coffinhal.

Accusateurs publics: Lullier, Réal.

Jurés: Leroi, Blandin, Bolleaux, Lohier, Loiseau, Perdrix, Callières de l'Etang. Suppléans des jurés: Desfieux, BoucherRené, Jaillan, Dumouchel, Jurie, Mulet, Andrieux.

On avoit en outre, formé un comité auquel on recouroit dans tous les cas où on doutoit si un prisonnier étoit, ou n'étoit pas antiorléaniste. Ce comité étoit présidé tour-àtour par Marat, Sergent et Panis beau-frère de Santerre.

Le poëte Chénier eut aussi quelque part à ces massacres. Il présidoit la section des Filles-Saint-Thomas. Les bourreaux de la Force lui amenèrent le nommé Webber grenadier de cette section et frère de lait de la reine, qu'ils n'avoient pas jugé à propos d'égorger. Chénier insista pendant douze heures pour qu'ils le reconduïsissent à la Force, et

qu'ils

qu'ils l'y tuassent, menaçant de donner sa démission si on lui faisoit grace. Webber fut sauvé par ses amis.

Danton futur premier ministre de d'Or léans envoya des émissaires à Lyon, à Meaux, à Rheims et dans quelques autres villes, pour qu'ils y ordonnassent et y fissent exécuter un semblable carnage; de sorte que dans plusieurs villes le sang coula en aussi grande abondance et aux mêmes heures qu'à Paris. Les commissaires envoyés à Rheims, furent Carra, Sillery et Prieur de la Marne. Le 3 septembre, ils déjeûnèrent chez le maire: le déjeûner fini, Prieur dit au maire:

il nous faut des victimes: nous vous laissons le choix." Le lendemain le massacre commença dans les prisons de Rheims (1).

Il n'est pas de mon sujet de donner le récit des diverses horreurs qui accompagnèrent un massacre dont la France a eu le malheur de donner le premier exemple. Je renvoie ceux qui en voudront connoître les diverses particularités à deux écrits dont l'un est intitulé mon agonie de trente-six heures, et l'autre, Almanach des honnêtes gens. Ce sont deux monumens bien précieux pour l'histoire de ces terribles journées; elle pourra aussi recueillir quelques détails dans l'Almanach des gens de bien pour l'année 1795.

(4 Voyez Courier universel du lundi 15 juin 1795, ou 27 prairial.

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Le sang coula à Paris dans plusieurs prisons pendant trois et quatre jours; dans quelques-unes pendant quatre et cinq jours. A Bicêtre il coula pendant une semaine entière. Outre Pétion, Manuel, les principaux ordonnateurs de ces assassinats furent les quatre scélérats qu'on appelloit les quatre ministres de d'Orléans, savoir: Danton, Laclos, Sillery, Condorcet.

Quelques personnes échappèrent; mais elles rachetèrent leur vie à prix d'argent. De ce nombre furent Caron-de-Beaumarchais, la marquise de Tourzel et Pauline de Tourzel sa fille. Manuel par ce trafic abominable du sang de ses concitoyens, fit une fortune. incalculable. Le misérable avoit dans sa scé lératesse une sorte de loyauté. Il tenoit fidèlement ce qu'il avoit promis; il relâchoit le prisonnier dont il avoit touché la rançon. Il reçut pour celle de la princesse Lamballe, 50 mille écus, et sur-le-champ il donna des ordres, et prit des mesures pour qu'on lui rendit la liberté. Mais ici son génie fut moins fort que le génie infernal de d'Orléans. Ce prince étoit dévoré de haine contre l'infortunée Lamballe. Dès le 5 octobre 1789, elle lui avoit défendu sévèrement toute communication avec elle. Dès ce moment aussi d'Orléans l'avoit inscrite sur ses listes de proscription.

L'intérêt le portoit aussi à répandre le sang de cette princesse. Il gagnoit par sa mort, un douaire de cent mille écus qu'elle touchoit

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