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dans une circonstance aussi grave, on n'avoit pas réuni autour de la famille royale, la totalité de ce régiment. Il n'y avoit au reste dans le château ni boulets, ni canons.. Les suisses étoient au plus au nombre de neuf cents, y compris quarante-cinq officiers.

Voilà quels étoient les forces de Louis XVI. Les plus remarquables d'entre les of ficiers généraux qui se trouvoient auprès de lui, etoient le maréchal de Mailly, Wittingoff et le comte de Wittgenstein. Il n'y avoit, aucun fond à faire sur le second; c'étoit un avanturier sorti de la Livonie; on lui avoit toujours connu une conduite très-équivoque ; dans la journée du 20 il juin s'étoit montré comme le plus lâche des hommes. Cette journée ne fut pour lui qu'un évanouissement continuel. Le comte de Wittgenstein secondoit de son mieux le maréchal de Mailly, dont l'âge avancé rendoit les mouvemens un peu lents. On m'a dit que lorsque Louis XVI vit arriver les premières phalanges des Marseillois, traînant plusieurs pièces de canon, il saisit le bras du comte, et lui dit : général, je ne vous abandonne pas aujourd'hui, je mourrai

avec vous.

On crut d'abord qu'il seroit possible de prévenir l'effusion du sang, et tous les malheurs qui signalèrent cette épouvantable journée; mais on ne tarda pas à se convaincre que ce n'étoit là qu'une illusion. Dès que les Marseillois suivis de toute la garde-nationale de Paris, furent en présence des Suisses, ils

chargèrent leurs armes, et manifestèrent clairement l'intention de mettre le château à feu et à sang.

I falloit aux Marseillois un prétexte pour commencer lè combat. On désiroit en conséquence que les Suisses fussent les agresseurs. C'étoit sur cette aggression que les conjurés avoient compté. Pétion avoit en conséquence donné par écrit à Mandat qui commandoit ee jour-là la garde-nationale, l'ordre de repousser le peuple par la force. On espéroit beaucoup au château d'une partie de la garde nationale, et principalement des grenadiers de la section des Filles-Saint-Thomas, aujourd'hui appellée le Pelletier. Les conjurés ne doutoient pas que cette portion de la garde nationale n'obéît à son chef, et n'engageât l'action au défaut des Suisses.

Un peuple innombrable ne cessant de se pousser contre le château, et les Marseillois continuant à vomir mille menaces contre la famille royale, et mille injures contre les Suisses, les officiers municipaux et Roederer, procureur-syndic du departement, ordonnèrent à la garde nationale et au régiment des Suisses de faire feu sur les Marseillois. C'étoit ou un piége ou une folie, car quelque valeureuse, quelque disciplinée que soit une troupe, elle ne peut rien contre les coups formidables de plusieurs pièces d'artillerie.

Ces officiers municipaux et Roederer voyant qu'on ne leur obéissoit pas, lurent jusqu'à trois fois l'article de l'acte constitutionnel, qui

ordonnoit

ordonnoit de repousser la force par la force, lorsqu'une autorité constituée seroit attaquée. Pendant cette triple lecture, la portion de la garde nationale sur laquelle le château comptoit, se tut, l'autre manifesta contre la famille royale le même acharnement que les Marseillois. Quant aux Suisses, ils parurent également ne tenir aucun compte de cette triple invitation; ce fait est de toute vérité; et véritablement quelque braves qu'ils fussent, la conscience qu'ils avoient de l'infériorité de leur nombre et de leur force, ne leur permet toit pas de commencer. Quelle apparence en effet qu'une aussi petite troupe pût tenir tête à des ennemis qui sembloient comme ceux de Cadmus, sortir des entrailles de la terre, et que plus de trente bouches à feu rendoient invincibles?

Dans un tel état de choses, Louis XVI fut vivement pressé par Roederer, par les of ficiers municipaux, par ses ministres, et par plusieurs députés qui étoient venus le joindre, de se retirer avec sa famille dans le sein de l'assemblée nationale, pour ôter lui direntils, tout prétexte aux Marseillois, de dire qu'il avoit été l'aggresseur, et de faire aucune insulte au château.

Louis XVI se rendit à ces instances, et donna un ordre positif aux Suisses, ainsi qu'à toutes les personnes qui étoient dans le châtcau, de ne point tirer, et de n'opposer au

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cune sorte de résistance aux Marseillois, quof qu'ils entreprissent. (1)

L'assemblée nationale envoya une députation de vingt-quatre membres au-devant du roi. Il se plaça d'abord à côté du président, laissant sa famille à la barre. Bientôt après on le relégua avec son épouse, sa sœur et ses enfans dans la loge du Logographe. Il y

(1) Que n'a-t-on pas dit de cette retraite ? et que ne diroient pas ceux-là mêmes qui la blâment, si Louis fut resté au château, et se fut décidé à se battre seul avec quatre cents gentilshommes mal armés, et une poignée de Suisses sans canons, contre plus de cent mille hommes, ayant une nombreuse artillerie bien servie? Ils lui imputeroient tous les malheurs de cette journée. Ils ne manqueroient pas de raisonner ainsi: "Quoi, il se voit sans force, et il refuse de se rendre à l'invitation que lui font le département, les officiers municipaux, les ministres, les députés, de se retirer dans l'assemblée nationale! Croyoitil mieux voir que toutes ces personnes? Ne voyoit-il pas au contraire qu'en suivant ce conseil, il otoit tout prétexte aux Marseillois d'attaquer? Pouvoit-il se dissimuler que c'étoit sa seule présence qui les irritoit? Craignoitil que l'assemblée le laissât égorger dans son sein? N'avoit-il pas au contraire éprouvé qu'en faisant cette démarche auprès de la première assemblée nationale, it avoit déjoué ses ennemis? Que ne tentoit-il encore ce même moyen dans cette nouvelle occasion! S'il n'eut pas réussi, sa mémoire seroit du moins sans reproche, puisqu'il auroit fait tout ce qu'il étoit en son pouvoir de faire pour éviter l'effusion de tant de sang.", Ce raisonnement qui pour tout esprit impartial a beaucoup de force, prouve qu'il faut être lent à juger les hommes qui se sont trouvés dans des circonstances uniques.

étoit à peine que le combat s'engagea dans la cour du château. Les Marseillois voyant que les Suisses persistoient à rester immo biles, perdirent toute retenue; ils tirèrent à eux à l'aide de longs bâtons armés de crochets, cinq factionnaires suisses qui étoient en avant; ils les désarmèrent, les dépouillèrent de leurs vêtemens, et les massacrèrent froidement. Les camarades de ceux-ci outrés de cet excès de férocité, se formèrent en bataillon quarré, et avançant toujours, ils firent un feu soutenu et meurtrier; ils arrivèrent ainsi jusques sur la place du Carousel; ils furent trois fois maîtres de cette place ainsi que des cours du château; ils s'emparèrent même de deux pièces de canon, mais faute de gargousses et de munitions, elles leur devinrent inutiles.

Un nouvel ordre du roi leur étant arrivé de battre en retraite, et l'officier-général qui le leur portoit les ayant obligés d'y obéir, ils furent bientôt enveloppés d'un feu terrible de mousqueterie et d'artillerie; ils restèrent presque tous sur le carreau; deux ou trois cents seulement se sauvèrent. On en traîna quatre-vingts sur la place de Grève, où on les massacra de sang-froid, en leur faisant endurer de longues et cruelles tortures. On exerça sur les corps de ceux qui périrent dans les cours du château, tous les genres de cruauté. Une infernale lubricité se mêla aux rafinemens de la barbarie. Des hommes, des femmes attachèrent, ceux-là à leur chapeau,

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