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protéger les jours de la reine et de ses enfans, les scènes qui se passent autour du roi, trompent toutes les espérances des conjurés. Ce n'est pas que quelques-uns d'entr'eux ne missent tout en œuvre pour que le peuple se portât à tous les excès qu'on en attendoit. Goupilleau et Lasource lui adressoient les harangues les plus séditieuses. Un jeune homme de vingt-deux ans ne cessoit de crier qu'il falloit égorger toute la famille royale. Ce jeune homme avoit l'extérieur le plus agréable; il étoit blond, bien fait et d'une physionomie aimable: mais ce malheureux s'appelloit Clément. Un autre jeune montre appelloit à grands cris la mort sur le roi er sa famille; celui-ci se nommoit Bourgoin, Clément et Bourgoin! Quels noms ! Quels souvenirs ils rappelloient! Et dans quelle circonstance! enfin un autre scélérat figuroit dans cette scène d'horreur; mais celui-ci étoit d'une figure extrêmement hideuse. Il se taisoit, et se contentoit de fixer le roi, en faisant des contorsions effroyables. Il portoit sur sa tête un long bonnet de carton sur lequel étoit écrit, la mort.

Rien de tout cela ne pouvoit émovouir la foule. Partagée entre le roi et sa sœur, elle restoit immobile. On lisoit dans tous les yeux ou l'étonnement, ou la stupidité, ou l'inquiétude.

Tandis que les choses se passoient ainsi dans l'intérieur du château, les bandits qui

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étoient restés dans les cours ou dans le jardin, ceux qui étoient montés aux fenêtres des étages élevés, ceux enfin qu'on voyoit jusques sur les toîts, ne cessoient de crier : Quand donc nous enverrez-vous la tête du roi et celle de la reine?

Personne n'osant toucher à ces têres augustes, le boucher Legendre perd patience; il monte au château, suivi d'une troupe de scélérá s déterminés à tout. L'un d'eux présente au roi un bonnet rouge; un des quatre grenadiers l'écarte, et est blessé d'un coup de pique. Un autre de ces scélérats crie: Où est-il ? que je le tue! En même tems il s'avance vers le roi, en brandissant un bâton armé d'un long dard. Un garde nationale appellé Canole, détourne le coup, saisit le misérable au collet, le force de tomber aux genoux du monarque, et de crier vive le roi. Un troisième présente à Louis XVI une bouteille, et lui demande de boire à la santé de la nation. On veut chercher un verte; Louis dit qu'il n'est pas nécessaire, et aussi confiant que le fut Alexandre dans une circonstance bien moins périlleuse, il applique ses lèvres au vase qu'on lui présente. Un des camarades de Legend e profite de ce moment pour enfoncer avec violence sur la tête du roi un bonnet rouge.

Legendre de son côté crie que le peuple a des demandes à faire. Louis répond avec fermeté, que si on a des demandes à lui faire, ce

n'est ni le moment de proposer, ni celui d'accorder.

Un député nommé Lesueur, qui se tenoit à côté du roi, ne pouvant supporter le spectacle des dangers que couroit le monarque, s'vanouit. La soeur de Louis vole à son secours, lui fait respirer des eaux spiritueuses, et lui rend la vie. Le tendre empressement de la princesse sembla amollir tous ces tigres, Merlin lui-même, autre député qui se trouvoit là, donna des marques d'une véritable sensibilité.

Ainsi Legendre ne fut pas plus heureux que ceux qui l'avoient précédé. Santerre resté dans les cours, s'indignant de ce que le sang ne couloit pas, crut que sa présence détermineroit le carnage. Il monte suivi d'une troupe de frénétiques. Aussi-tôt tout l'intérieur du château retentit des cris: vive Santerre, vive le fauxbourg Saint-Antoine! vivent les sans-culottes! Santerre persuadé qu'il lui seroit plus aisé d'obtenir la mort de la reine, que celle du roi, passe dans la salle où étoit cette princesse. La foule s'y précipite avec lui. Une femme vomissant les propos les plus impurs, jette sur la table un bonnet rouge et des rubans aux trois couleurs; elle exige que le jeune dauphin en soit affu blé; on lui obéit.

Santerre cependant à la vue de la reine, paroît interdit; on suffoquoit dans la salle; on le prie de la faire dégorger de tout ce peuple. Il s'appuie alors sur la table, fixe la

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reine, et lui adresse ces mots : Eb! madame, ne craignez rien; je ne veux pas vous faire du mal, je vous défendrai plutôt ; mais songez qu'on vous abuse, et qu'il est dangereux de tromper le peuple.

Après cette courte harangue, Santerre donne à sa troupe l'ordre de la retraite; il la pousse brutalement devant lui, il la gourmande; il la menace; elle tremble à sa voix; elle défile, et s'enfuit.

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Tous les principaux conjurés s'étoient montrés; Pétion seul n'avoit point encore paru; on le vit enfin, mais lorsqu'il fut bien démontré à la faction, que la journée étoit perdue pour elle. Pétion monta suf un tabouret, et dit au roi: Sire, vous n'avez rien à craindre. Rien à craindre, répondit Louis avec émotion! L'homme de bien qui a la conscience pure, ne tremble jamais ; il n'y a que ceux qui ont quelque chose à se reprocher, qui doivent avoir peur. Tiens, ajouta-il en prenant la main d'un des grenadiers qui étoit à côté de lui, donne moi ta main, meis-la sur mon cœur, et dis à cet homme s'il bat plus vite. qu'à l'ordinaire.

Pétion confus ne répliqua rien, il se tourna vers le peuple, et lui adressa cette courte et très-étonnante harangue: citoyens et citoyennes, vous avez commencé la journée quec DIGNITÉ ET SAGESSE; Vous avez prouvé que vous étiez libres: finissez de même avec DIGNITÉ, et faites comme moi, allez vous

coucher. Pétion fut obéi; la foule disparut, et la famille royale après cinq heures d'angoisses, put enfin se réunir, et respirer.

Le lendemain, l'insurrection sembla vouloir se rallumer; on fit encore une tentative contre le château; le rappel battit; la reine vole auprès de son fils. Eb! quoi, maman, lui dit avec ingénuité le jeune prince, est-ce qu'hier n'est pas encore fini? Malheureux enfant! Hier ne devoit jamais finir pour lui.

Cette seconde tentative fut tout aussi inutile pour les conjurés que celle de la veille; elle ne produisit absolument rien. D'Orléans informé de ce qui ce passoit, content de n'avoir pas été compromis, et se promettant plus de succès d'un nouvel effort, se hâta de revenir à Paris. Dans les diverses conférences qu'il eut avec ses complices, il se convainquit qu'il falloit sans retard exciter une nouvelle insurrection. La journée en effet du 20 juin nuisoit infiniment à la faction. La conduite que le roi avoit tenue au milieu des légions d'assassins dont il s'étoit vu environné, inspiroit pour sa personne un intérêt qui augmentoit journellement le nombre de ses partisans. Il étoit instant d'arrêter les effets que cet intérêt pouvoit produire.

“La journée du 20 juin, dit le révolutionnaire Garat dans ses mémoires, ayant beaucoup rehaussé les affaires de la famille royale, Danton conçut, enfanta, organisa la journée du 10 août." Rien n'est plus vrai,

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