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de ces royalistes qui ont survécu aux proscriptions, tient aujourd'hui ce langage: "Si Louis XVI avoit suivi les conseils que je lui donnois, il seroit encore notre roi." D'abord cela eft tout au moins douteux; ensuite dans les circonstances difficiles où se trouvoit Louis XVI, il falloit plus agir que conseiller; enfin ce prince n'étoit pas Dieu; il ne pouvoit pas lire au fond des consciences; les actions qu'il voyoit, devoient le porter sinon à condamner, au moins à suspendre son jugement.

Convaincu que la forte majorité de la nouvelle assemblée désiroit réellement la constitution, ce fut d'abord à cette majorité que Louis XVI résolut de se tenir fortement attaché il ne voulut plus que des ministres constitutionnels; il apprit la constitution par cœur, et ordonna que dans son conseil elle servît de base et de règle à toutes les délibérations. D'un autre côté, opiniâtrément résolu à tenir la parole qu'il avoit donnée, de ne plus abandonner la capitale, il repoussa constamment toutes les mesures, tous les avis qui tendoient à l'en éloigner.

Les orléanistes disoient bien aussi qu'ils demandoient la constitution ou la mort; mais comme ce n'étoit pas là ce qu'ils désiroient, comme ils n'avoient d'autre vue que d'égorger la famille royale, il arrivoit que le roi en ne s'environnant que de ministres constitutionnels, ne rendoit pas ses affaires meilleures. On crioit que ces ministres n'étoient Tome III. L

rien moins qu ce qu'ils paroissoient être, et que dans le fond de leur ame, ils se promettoient de rétablir l'ancien ordre de choses. Louis XVI, pour faire tomber ces cris de sédition, changeoit sans cesse de ministres ; il remplaçoit ceux contre lesquels on élevoit des soupçons, par d'autres qu'il alloit chercher jusques dans l'antres des jacobins ; mais si les derniers venus ne se prononçoient pas fortement contre la famille royale, ils étoient à leur tour dénoncés et décriés. Ainsi on amena le monarque à prendre des ministres même parmi les orléanistes.

Les manèges qui se faisoient à l'égard des ministres, se pratiquoient également à l'égard des généraux. Ces généraux avoient beau invoquer la constitution; s'ils n'étoient pas ardens orléanistes, il falloit qu'ils abandonnassent le commandement qui leur étoit confié. Je ne citerai à ce sujet, qu'un trait que l'histoire écrira en lettres de sang, Le midi s'étoit rempli de troubles. Les côtes d'Afrique et d'Italie avoient vomi à Marseille des milliers de scélérats; de-là ils s'étoient répandus dans toute la Provence. Partout où ils passoient, le sacrilège, le viol, le brigandage, l'assassinat étoient commis impunément.

Ils entrèrent dans Avignon, ayant à leur tête un monstre qu'on appelloit Jourdan qu'on surnomma depuis Coupe-téte, et qui se glorifioit de ce surnom. Cette bête féroce indigne du nom d'homme, donna à ses gens le

signal du carnage. Plusieurs habitans sans distinction d'âge ni de sexe, furent massacrés avec des rafinemens de cruauté dont l'histoire d'aucun peuple n'offre d'exemple. On força les prisons, on y égorgea froidement; on y mutila, on y déchira les malheureux qui y étoient détenus. Le sang coula à si grands flots que les eaux de la Sorgues qui arrose l'intérieur de la ville, s'en teignirent; les carrières furent encombrées, engorgées de cadavres, ou plutôt de membres, de masses informes de chair. Ces Antropophages après avoir égorgé leurs victimes, les dépeçoient, et s'en disputoient les lambeaux; ils réalisoient à l'envi avec une féroce ému- \ lation, ce que la fable nous raconte de l'horrible festin offert par Atrée à son frère Thyeste. Jamais forfaits plus monstrueux n'avoient souillé ce globe.

L'Europe entière frémit d'indignation en apprenant de tels excès; un cri général s'éleva, et en demanda justice à l'assemblée législative. Il est horrible de dire que bien loin de l'accorder, elle prononça une amnistie en faveur de ces Cannibales. Les intrigues des orléanistes lui arrachèrent ce honteux décret qui la couvre d'une tache ineffaçable auprès de toutes les générations. Ces mêmes Cannibales furent appellés dans la société des Jacobins, et jusques dans le sein de l'assemblée législative, de braves brigands, des héros. Ces honneurs, cette protection leur étoient dus. D'Orléans qui les avoit

recrutés, se proposoit de les attirer à Paris ; si le nombre d'assassins qu'il soldoit dans cette capitale, ne suffisoit pas pour répandre le sang de Louis XVI.

Cependant dans l'intervalle que la faction mit à demander et à obtenir l'amnistie, une partie de gardes nationales du Midi et de soldats restés fidèles au roi occupa Avignon. Les monstres qui avoient ensanglanté cette ville, se disperserènt. On se saisit de quelques-uns de leurs chefs au nombre desquels furent Jourdan, Duprat, Mainvielle, Barbaroux, et on les jetta dans ces mêmes cachots où ils avoient égorgé tant de victimes. Leur détention remplit de nouveau toute la province de troubles et d'allarmes. Leurs complices ramassèrent une armée assez considérable pour faire craindre que les prisonniers ne fussent élargis, et que les massacres ne recommençassent.

Il étoit instant de prévenir cette nouvelle calamité. Louis XVI se hâta d'envoyer dans le Midi le comte de Wittgenstein, lieutenant général. Cet officier étoit agréable aux orléanistes; ils le croyoient à eux; ils se trompoient. La vérité est qu'il paroissoit être un partisan ardent du systême constitutionnel. Cet attachement sinon réel, du moins apparent pour la constitution, et qui lui valoit une grande renommée de popularité parmi ceux qu'on appelloit patriotes, détermina Louis XVI à lui confier le commandement des troupes réunies dans le Midi. Il n'y avoit

nulle vraisemblance que ce choix pût être contredit, et le roi en cédant dans cette circonstance à l'opinion du parti dominant, croyoit avoir la certitude que Wittgenstein dont il connoissoit les talens militaires, et qu'il savoit ennemi des excès qu'il s'agisoit de réprimer, répondroit parfaitement à ses

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Le comte fut rendu à son poste le 21 mars 1792. Il se convainquit que la force seule pouvoit contenir les bandes d'assassins qui désoloient le midi. Ceux qui l'observoient, le devinèrent; ils ne doutèrent point que bien loin de rendre à Jourdan et à ses complices la liberté, il ne les fît punir par les tribunaux d'une manière qui effrayât tous les scélérats dont ils étoient les chefs. ils s'étudièrent en conséquence à entraver sa marche, à l'environner de dégoûts afin de le contraindre à se retirer.

Dans cette foule de ministres que le malheur des tems poussoit succesivement sur les marches du trône, de Grave eut son tour; les orléanistes le portèrent au département de la guerre. Ce fut à lui que Wittgenstein adressa ses plaintes sur les contradictions qu'il éprouvoit; il terminoit sa lettre en déclarant au ministre, que si on cherchoit à l'entraver dans tous ses pas, sa démission étoit remise dès ce moment entre ses mains.

De Grave le prit au mot; il lui écrivit cette lettre laconique !

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