Page images
PDF
EPUB

ment, des émissaires qui eurent la commission de découvrir parmi les officiers, des hommes assez vils pour se vendre à la faction, et vendre avec eux les soldats dont la fidélité leur étoit confiée.

Dans quelques régimens tous les officiers, sans exception, restèrent fidèles au roi; mais dans le plus grand nombre, il s'en trouva d'assez infâmes pour s'offrir à partager les crimes du duc d'Orléans.

Le prince sentit tout le prix de leur défection, et combien elle pouvoit servir à ses vues; il leur fit prodiguer l'argent et les caresses, les flatta de l'espoir d'obtenir les premières places de l'armée, et attira à Paris les plus dévoués d'entr'eux.

Pour lier ceux-ci à la conspiration il voulut qu'ils fussent reçus au club des jacobins, et quand ils furent bien imbus des détestables principes qu'on professoit dans cet antre, il les renvoya à leur régiment, distiller aux malheureux et trop crédules soldats, le poison qu'ils avoient recueilli.

Ces officiers jacobins, traîtres à leur devoir, à l'honneur, à leur roi, n'étant plus retenus par aucun frein, se jettèrent avec fureur dans le parti du prince; ils soufflèrent la discorde dans leur corps ; ils prêchèrent l'insubordination aux soldats; ils leur distribuèrent de l'argent, les comblèrent de caresses, et les enivrèrent de tous les genres de plaisir qui pouvoient les égarer et les pervertir. Ces malheureux soldats trompés,

séduits, aveuglés, ne s'arrachoient des tavernes et des bras des prosituées, que pour se livrer à tous les excès de la rébellion. Ils méconnurent, ils insultèrent, ils frappèrent même ceux de leurs chefs qui vouloient arrêter un désordre dont ils ne prévoyoient que trop les

suites funestes.

La présence de ces chefs qu'on pouvoit appeller l'honneur et la gloire des drapeaux françois, importunoit et nuisoit ; leurs places étoient promises; il fallut s'en défaire; les officiers jacobins les environnèrent de tant d'assassins, que pour mettre leur vie en sûreté, ils furent contraints de fuir une patrie qui pour prix du sang qu'ils avoient versé pour elle, ne leur offroit plus que l'opprobre ou la mort.

Les orléanistes ne manquèrent pas de prétextes pour justifier aux yeux du public, les horribles persécutions qu'on suscitoit aux ofciers fidèles. Tantôt ils avoient rejetté avec indignation, le nouveau serment décrété pour les troupes; tantôt ils avoient refusé aux soldats le partage des masses; tantôt ils s'étoient opposés à ce que ceux-ci fussent admis dans les sociétés des jacobins. Ces diverses imputations furent présentées avec l'art le plus perfide, et de manière à persuader ceux qui ne vouloient ou ne savoient rien approfondir, que toute la loyauté, tout le patriotisme étoient du côté des officiers orléanistes.

Insensiblement cette contagion de révolte

gagna toutes les garnisons, et par-tout les largesses précédèrent l'insurrection. Laclos et les deux Lameth répandirent à Metz plus de trois cent mille livres. Le baron Davigneau distribua à Nancy plus de cent mille livres. Ce Davigneau étoit capitaine au régiment de Mestre-de-Camp. D'Orléans lui avoit promis la place de commandant de ce corps, qu'il obtint en effet. Cet officier, jacobin fanatique souleva les soldats de son régiment, ceux du régiment du Roi et de Château-Vieux. Les Carabiniers eurent leur tour; on tenta aussi leur fidélité. Le baron de Malseigne, officier plein de bravoure et d'énergie, les retint long-tems dans le devoir. On promit cent louis à celui d'entr'eux qui couperoit la tête à Malseigne. Celui-ci fut tour-à-tour attaqué par une partie d'entr'eux, et défendu par l'autre. Il courut les plus grands dangers, fit des actions vraiment héroïques, et parvint en se faisant jour l'épée à la main à travers une foule d'assassins, à mettre sa vie en sûreté.

A Nantes, d'Hervilly fut frappé par ses soldats; ceux du régiment de Provence menacèrent de pendre tous leurs officiers; ceux de Touraine tournèrent leurs bayonnettes contre le vicomte de Mirabeau leur colonel; il se défendit avec une intrépidité dont il y a peu d'exemples; il leur échappa, et malgré eux, emporta les cravates des drapeaux, dans la crainte qu'ils ne les profanassent.

A Perpignan, de Saillan fut assiégé par

trois mille cavaliers ou fantassins qui ne pu rent parvenir à se rendre maîtres de sa per

sonne.

Ceux des corps qui au milieu de cette frénésie, restèrent purs, furent en France comme en pays ennemi. Les officiers orléanistes les menaçoient journellement de les faire charger par leurs soldats. Il y eut de ces corps intacts qui passèrent souvent les nuits entières sous les armes. Le régiment suisse Ernest fut cerné, désarmé, et contraint de. gagner la Suisse, sans armes ni munitions de guerre. Les treize cantons virent cette violation scandaleuse du droit des gens et des traités qui nous lioient avec eux, sans en demander aucune sorte de satisfaction. Les orléanistes jugèrent dès-lors qu'il seroit possible de leur faire impunément toutes les sortes d'affronts.

L'armée navale ne fut pas plus exempte que celle de terre, des intrigues de la faction. A Toulon, le comte d'Albert de Rioms chef 'd'escadre et un des meilleurs officiers de mer de ce siècle, fut sur le point d'être jetté à la mer par les matelots de son bord.

Obligé de me borner, je ne présente ces déplorables événemens qu'en masse. Les détails appartiennent à l'histoire générale de notre révolution; c'est à elle à présenter dans toutes ses parties le tableau du soulèvement de nos deux armées de terre et de mer. En contemplant ce triste effet des manoeuvres de d'Orléans, tout militaire, officier

ou soldat, apprendra que son bonheur re pose sur la fidélité et l'observation exacte de la discipline; il se convaincra qu'un guerrier qui oublie ce qu'il doit à son honneur et à son serment, se couvre de mépris, se perd, et précipite la patrie dans des malheurs épouvantables. Quel amas de désordres et de calamités n'a pas engendré la séduction pratiquée par d'Orléans parmi les gens de guerre! Ceux des militaires françois que l'or ou les intrigues de ce prince ont égarés, et qui auront survécu à nos troubles, frémiront lorsque l'histoire leur présentera le dénombrement des soldats ou tués ou blessés par suite de l'insubordination de l'armée; ils seront épouvantés quand ils liront la liste de ceux de leurs parens ou amis que leur désobéissance a fait périr sur l'échafaud.

Les temps de délire ne dureront pas toujours; la justice redescendra sur cette terre désolée qu'elle a trop long temps abandonnée. La patrie alors sondant la profondeur des plaies que lui a faites le soulèvement des armées, gardera toute son indulgence. pour les soldats qui ont donné dans les piéges dont on les avoit environnés de toutes parts; mais elle déploiera toute son indignation, toute sa sévérité sur les officiers jacobins qui ont abusé de la simplicité de ces soldats et du crédit qu'ils avoient sur leur esprit pour les perdre, et nous perdre avec eux.

« PreviousContinue »