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nement; ils virent par-là que la majorité des membres de ces comités n'étoit pas de leur

bord.

Le rapport fini, les orléanistes le combattirent vivement; ils parlèrent longuement, et ne furent point interrompus. Quand tous. leurs orateurs eurent successivement occupé la tribune, Barnave y parut; il jetta alors, son masque, prononça un discours éloquent, combattit de front ceux qu'il appella des factieux, et ne dit rien qui ne fût à l'avantage du monarque. Les orléanistes frémirent de rage, mais leur fureur fut impuissante. Bar-. nave fut appuyé par tout son parti, par les royalistes, par les impartiaux; de sorte que cette fois la très-grande majorité se tourna contre les jacobins; leur défaite fut complette. On se borna à prononcer des décrets. d'accusation contre le marquis de Bouillé er quelques-uns des officiers qui devoient favo riser son projet; on rendit au roi la portion de liberté dont il étoit privé depuis son re tour de Varennes; on le laissa maître de l'éducation de son fils. L'histoire doit même cette justice à la Fayette et à Bailly, que, dès ce moment, ils se prêtèrent avec zèle à procurer au monarque tous les adoucissemens que comportoit sa situation.

Après cette démarche, Barnave et les siens rompirent ouvertement avec les jacobins. Ils abandonnèrent leur société, et allè rent former un club au couvent des religieux Feuillans; ses membres prirent aussi le titre

d'amis de la constitution; ils eurent pour premier président, Bouche, et pour premiers secrétaires Salles et Antoine.

Cette désertion et l'événement qui l'avoit précédée, changèrent en autant de furies les jacobins restés dans le parti de d'Orléans. Robespierre comme un homme qui avoit perdu le jugement, crioit à haute voix dans les rues Mes amis, tout est perdu, car le roi est sauvé. On se porta à tous les spectaclés pour les faire fermer, comme si la nondestitution du roi eût été une calamité publique. Ce mouvement fut si brusque que tous les spectacles en effet furent fermés à l'exception de l'Opéra où la Fayette accourut, et dispersa les bandits qui assiégeoient la

salle.

Les orléanistes ne se bornèrent pas à ces troubles; ils soudoyèrent des légions de brigands et d'assassins. Tout-à-coup ces misérables couvrirent le champ de Mars. Pendant qu'ils s'y rendoient, Brissot rédigeoit dans la société des Jacobins une pétition, pour que ces scélérats la signassent, et la portassent ensuite à l'assemblée nationale. L'objet de cette pétition étoit de demander derechef le jugement et la destitution de Louis XVI. Brissot qui feignoit comme tant d'autres de n'être pas orléaniste et de vou. loir une république, étoit réellement à cette époque un des hommes de d'Orléans, La pétition en est elle-même une preuve; car le dernier article ménageoit à d'Orléans

le trône Ce fait est avoué par la femme Roland dans ses mémoires. (1) Brissot lui même en convint depuis devant le tribunal révolutionnaire; mais il prétendit que la phrase dans laquelle on insinuoit que Louis étant censé avoir abdiqué par sa fuite, il falloit lui choisir un successeur, fut insérée par Laclos (2).

La pétition étant rédigée; un nommé d'Anjour et un autre orléaniste dont le nom ne me revient pas, la portèrent au Champde-Mars, et fournirent aux signataires deux mains de papier, six plumes et une bouteille d'encre.

Le premier exploit de ces signataires fut de massacrer de sang-froid deux malheureux invalides qui déjeûnoient paisiblement au Champ-de-Mars, et de mettre leurs têtes sur des piques.

La Fayette et Bailly envoyèrent à onze reprises différentes, invitation aux attroupés de se séparer. Ceux-ci insultèrent les porteurs de l'invitation, et bien loin de se séparer, quelques-uns d'entr'eux se répandirent dans la ville pour recruter de nouveaux bandits. Leur nombre ne faisant que s'accroître, la sédition devint allarmante. Des

(1) Pag. 42.

(2) Voyez procès de J. P. Brissot, imprimé chez Clément, p. 11I.

espions répandus parmi eux rapportèrent que la signature de la pétition n'étoit qu'un pré texte pour former un grand rassemblement, et qu'à l'entrée de la nuit, on devoit se porter au château, y égorger la famille royale, et proclamer d'Orléans roi.

La Fayette allarmé de cet avis, voulut voir ce que sa présence produiroit parmi les rebelles, il s'avança vers le champ-de-Mars; mais comme il alloit y entrer, un de ces scélérats lui tira un coup de fusil qui rata. La fermentation devenant extrême, ce fut une nécessité de déployer une grande force. Bailly et les autres officiers municipaux parurent avec le drapeau rouge, et la Fayette revint escorté d'un nombreux détachement de la garde nationale.

Les séditieux bien loin d'obéir aux trois sommations qui leur furent faites de se retirer, firent pleuvoir une grêle de pierres sur la garde nationale, et lui tirerent même plusieurs coups de pistolet. Elle eut ordre de faire feu; elle obéit. La terreur se mit alors parmi ces brigands. En un clin-d'œil ils abandonnèrent le Champ-de-Mars, et se sauvèrent avec la plus grande précipitation, remplissant Paris de leurs plaintes et d'impréca tions contre Bailly et la Fayette. Il y eut de leur côté onze morts et treize blessés, et du côté de la garde nationale un mort et deux blessés.

Le maire et le commandant ne surent pas profiter de leur avantage. Le premier étoit

un

un véritable idiot en affaires; la politique du second comme on a dû le remarquer souvent dans le cours de cette histoire, n'alloit jamais au-delà du moment; il ne savoit rien faire pour l'avenir. Ils auroient dû au sortir du Champ-de-Mars, se transporter aux Jacobins, et fermer leur antre, de-là se rendre à l'assemblée nationale, et en exiger la dissolution de cette infernale société.

Faute d'avoir pris cette double mesure, ils ne re irèrent absolument aucune utilité de l'expédition du Champ-de-Mars. La caverne des jacobins continua à être le rendezvous de tous les conjurés orléanistes. Ceux-ci engendrèrent tant de calamités, tant de désordres, que l'assemblée nationale désespéra du salut de la chose publique. Elle crut la France sur le point d'être déchirée tout-à-lafois et par la guerre civile et par les armes des puissances étrangères. Les fléaux que commençoit à engendrer la circulation des assignats, la difficulté de procurer des subsistances à la capitale, achevèrent de la décourager elle se confessa incapable de tenir plus long-tems, les rênes du gouvernement. On se hâta de faire un triage dans cet amas informe de projets de loix qu'on avoit enfantées dans le cours de plus de deux années; on lia les articles qu'on adopta, de manière que leur ensemble ne ressembloit pas mal à une . longue suite de sommaires de chapîtres; on y cousit quelques lambeaux de la constituTome III.

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