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au fort de l'action, et céderoit par sa mort la place de commandant de la garde nationale, à son vainqueur. Il est vraisemblable aussi que le prince en attirant la Fayette à Vincen nes, avoit en vue de diviser les forces du général, et de l'empêcher par cette diversion, de pórter du secours au château.

Tandis en effet que la Fayette combattoit Santerre, le jardin et les cours des Tuileries se remplissoient d'un peuple innombrable. Les menaces qui partoient de cette foule, faisant croire que la famille royale étoit en dan ger, donnèrent lieu de craindre qu'on ne voulût renouveller les scènes des 5 et 6 octobre. Quatre cents royalistes armés de pistolets et de leur épée, se réunirent dans la chambre du roi, fortement résolus de verser plutôt tout leur sang, que de laisser outrager la famille royale.

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Cette résolution mit en fureur les bandits que d'Orléans avoit envoyés au château. Trop lâches pour attaquer de front cette pe tite troupe, ils cherchèrent à l'intimider par leurs menaces; ils crièrent que les royalistes s'étoient rassemblés au château en armes, dans l'intention de livrer un combat au peuple, et qu'en conséquence il falloit les égorger tous. Des officiers de la garde nationale vinrent avertir ces mêmes royalistes qu'ils s'étoient perdus, et qu'ils perdroient avec eux la famille royale, s'ils ne déposoient pas sur-le-champ leurs armes; c'étoit là, dirent ces officiers, le seul moyen de faire tomber

le bruit qui circuloit autour du château, et d'appaiser le peuple. On fit au roi les mêmes. représentations, et on lui ajouta que s'il s'élevoit une querelle, on ne manqueroit pas de dire qu'il avoit été l'aggresseur. Les ministres l'engagèrent à ne point négliger l'avis qu'on lui donnoit.

Je

Le roi en conséquence, pour mettre fin à tout ce bruit, adressa aux personnes réunies. dans sa chambre, l'invitation suivante: " vous prie, Messieurs, de déposer ici les armes que le zèle pour la défense de ma personne pourroit vous avoir fait apporter, et de vous prescrire la plus grande modération sur tout ce que pourroient faire commettre à cet égard l'erreur, la prévention et les fausses interprétations."

Cette invitation fut reçue comme un ordre. Chacun enveloppa ses armes dans un monchoir; les uns les déposèrent sur une commode, d'autres dans des coffrets qui étoient auprès du lit du roi. Pendant que ce dépôt se faisoit, la garde nationale s'emparoit de l'escalier et de toutes les pièces qui y conduisoient.

Les royalistes étant bien loin d'imaginer qu'on voulût profiter de leur désarmement pour les outrager avec impunité, se retirèrent séparément, lorsqu'ils eurent déposé leurs armes. A mesure que les soldats de la Fayette, appercevoient l'un d'eux, ils sen emparoient et le poussoient brutalement jusqu'au bas de l'escalier. Là on livroit ces malheureux

gentilshommes à la canaille qui leur faisoit endurer mille souffrances. Ceux-là étoient traînés dans la boue, ceux-ci étoient foulés aux pieds, d'autres étoient frappés avec des crosses de fusil. Plusieurs furent grièvement blessés; il y en eut même deux ou trois qui moururent des suites de leurs blessures. Sans l'intrépidité de quelques grenadiers et autres braves gens que renfermoit la garde nationale, il y a tout lieu de croire que la plus grande partie de ces amis du roi eut péri sur la place même.

Cette aventure, comme l'on pense bien, pénétra de douleur Louis XVI; elle finit pour lui personnellement, d'une manière bien humiliante. Sur les onze heures du soir, la Fayette revenant de Vincennes, et tout fier de sa victoire sur Santerre, entra dans les cours du château. Bien loin de dégager les gentilshommes qui se débattoient avec la foule, il chanta en passant devant eux, et fit chanter autour de lui, ça ira. Ces cris de joie qui contrastoient avec les plaintes de ces infortunés, ajoutoient à l'horreur de leur position. La Fayette, se déshonora complettement dans cette circonstance. I falloit avoir perdu tout sentiment d'humanité, pour se plaire ainsi à aggraver des tourmens qu'il étoit de son devoir de faire cesser.

Le général en montant au château, șe fit suivre d'une foule bruyante qui poussoit' des hurlemens effroyables. Il entra dans la chambre du roi, parla avec beaucoup d'insolence

au duc de Villequier, premier gentilhomme du monarque, et de sa seule, autorité, ouvrit ou plutôt enfonça la commode et les coffrets où les armes avoient été déposées; il les en retira, et les remit à ceux qui l'environnoient, en leur disant de les porter à Gouvion. Elles n'arrivèrent point chez Gouvion; elles furent pillées dans les cours, et les gentilshommes à qui elles appartenoient, ne les revirent jamais.

Cette journéee qui versa peut-être dans l'ame de Louis XVI, autant d'amertume que celles des 5 et 6 octobre, fut appellée par les orléanistes, la journée des poignards, comme pour donner à entendre que quatre cents amis du roi avoient voulu poignarder le peuple. de Paris. C'eût été certes un véritable prodige, que quatre cents hommes eussent formé un tel dessein, et que d'un autre côté, le peuple eût quitté de lui-même ses fauxbourgs, pour aller se présenter aux poignards qui devoient l'égorger. C'est pourtant là une de ces fables que quelques personnes regardent encore aujourd'hui comme une vérité, tant il est vrai que les plus grossières absurdités trouvent toujours des esprits tout prêts à les croire.

On peut juger par la scène que je viens de décrire de tout ce que Louis XVI avoit à souffrir dans sa prison. Les persécutions qu'on lui suscitoit, étant journalières, et ne différant que par la forme qu'on leur donnoit, il lui devint impossible d'endurer plus long

tems des affronts d'autant plus sanglans pour i, qu'il étoit revêtu d'un caractère sacré, et que depuis l'enfance il étoit accoutumé au respect et à l'obéissance des autres hommes; sa patience fut à bout.

A l'impossibilité de souffrir les chagrins dont on l'abreuvoit, et dont il ne voyoit pas le terme, se joignit le désir si naturel de récouvrer sa liberté, et encore la considération, de ce qu'il croyoit devoir à sa conscience. Il étoit après tout, par la place qu'il avoit héritée de ses ayeux, le roi, le protecteur, le père de ses sujets. Il voyoit la royauté détruite, tous les pouvoirs méconnus, tous les crimes impunis, la sûreté des personnes mise par-tout en danger, et l'anarchie établie audessus des loix; il lui étoit évident que tant qu'il resteroit à Paris, l'ombre d'autorité qu'on lui laissoit, seroit insuffisante pour réprimer aucun des maux du royaume. Il résolut donc de se rendre aux instances qui lui étoient faites de s'éloigner de la capitale. Il vint ainsi tomber dans l'abîme où le traînoient les orléanistes, les constitutionnels et le parti de la Fayette.

Cette resolution arrêtée, le roi se proposa de se rendre d'abord à Montmédy, place forte. Il pensoit qu'il seroit là en sûreté avec sa famille; il y trouvoit encore l'avantage qu'étant près de la frontière, il auroit pu s'opposer à toute espèce d'invasion de la France, si on avoit voulu en tenter une, et se porter lui-même par-tout où il y auroit

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