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de quatorze siècles avoit amenés, et contre lesquels ils avoient été les premiers à s'é-lever.

Telles étoient les vues des divers partis ; tous désiroient l'éloignement du roi ; il s'accordoient sur ce point, mais ils différoient sur les motifs qui les portoient à former ce désir. Ils différèrent également sur les moyens d'obtenir l'accomplissement de leur vou. Les impartiaux et les royalistes s'en tinrent aux conseils; les orléanistes et les gens de la Fayette eurent recours à tous les genres de persécution. Ce sera une bien lamentable histoire que celle de toutes les humiliations dont on abreuva le monarque et sa famille pour lui rendre sa situation insupportable. On lui avoit permis d'abord quelques promenades au bois de Boulogne et sur les boulevards: il lui avoit même été accordé plus d'une fois d'aller jusqu'à Saint-Cloud. On commença par lui retrancher cette dernière promenade, et cela se fit avec l'indécence la plus révoltante. Les chevaux étoient attelés; le roi étoit dans son carosse avec sa famille. Tout-à coup des gens du peuple envoyés par d'Orléans, et des gardes nationales même entourent la voiture, et signifient insolemment au monarque qu'il ait à rentrer dans le château. Louis XVI ne tient aucun compte d'un ordre semblable; il ordonne à son tour au cocher d'avançer. Aussi-tôt on se jette sur les chevaux; les uns les arrêtent, les autres mettent en joue la

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famille royale; ceux-là l'injurient; ceux-ci s'adressant particulièrement à la reine, vomissent ces expressions sales et dégoûtantes dont la canaille fait retentir les lieux de débauche. Il y eut même un grenadier de la -garde nationale qui osa accompagner ces horribles propos, de gestes impudiques. Ce forcené se mit dans ce honteux état de nudité dont la prostituée la plus effrénéé ne pourroit sans rougit contempler la hideuse image.

Louis XVI lutta pendant, trois quarts-. d'heure contre ces frénétiques. La Fayette présent à cette scène, et voyant que le monarque persistoit à ne pas céder, s'approcha de sa personne, et lui dit: "Sire, je vais faire déployer le drapeau rouge pour écarter tous ces séditieux. Il est vraisemblable que si la Fayette eût en effet montré le drapeau rouge, il se seroit engagé un combat pendant lequel la famille royale auroit couru les plus grands dangers. Peut-être même n'attendoit-on que ce signal pour se porter contre elle aux derniers excès. 66 Monsieur, répon

dit le monarque au général, je n'ai aucun avis à vous donner sur ce que vous croyez que la constitution vous autorise à faire; mais je vous avertis, je vous préviens que je ne veux pas que l'on répande une goutte de sang pour moi."

Le drapeau rouge ne fut pas déployé; la Fayette ne donna même aucun témoignage qu'il voulût sincèrement la fin de ce scandale. L'assemblée de son côté qu'on avoit avertie,

ne

ne prenant aucune mesure pour le faire cesser, et la nuit s'avançant, Louis XVI fut obligé de renoncer à sa promenade de SaintCloud, et de rentrer avec sa famille dans le château.

Insensiblement ce château et le jardin qui l'accompagne, furent les seuls endroits qu'il fut permis à cette famille infortunée de parcourir. Tous les genres de désagrément vinrent se réunir à la rigueur de cette détention. Le monarque étoit journellement outragé ou dans sa personne ou dans ce qu'il avoit de plus cher. Plus d'une fois on interrompit la célébration même des saints mystères pour l'insulter lui ou son épouse. On lui reprochoit, tantôt d'être indulgent pour les royalistes, tantôt d'avoir des ministres qui n'étoient pas assez constitutionnels, tantôt d'entendre la messe de prêtres dont le patriotisme, disoit-on, étoit suspect.

Chaque soir, les personnes attachées à cet infortuné monarque, se rendoient auprès de lui, et s'efforçoient par les espérances qu'ils lui donnoient, de lui faire oublier les chagrins de la journée. Toute étiquette, toute gêne étoient bannies de ce cercle. Là Louis XVI ne paroissoit point en monarque; c'étoit un ami au milieu de ses amis. On conversoit familièrement; chacun épanchoit en toute liberté les affections de son ame, les sentimens de son cœur, les pensées de son esprit. Le monarque et son épouse sortoient toujours de ces entretiens, plus calmes et plus Tome III. H

forts pour les assauts du lendemain. Ils ne trouvoient point de courtisans dans cette réunion d'hommes qui se pressoient autour d'eux; mais regrettant peu le respect dont les environnoit l'ancienne cour, ils goûtoient avec volupté, ils s'enivroient des témoignages d'une amitié tendre et pure. On résolut de priver Louis XVI de cette consolation, la seule qu'il pût goûter dans sa prison; et voicí comme on s'y prit.

Pendant plusieurs jours, d'Orléans remplit la ville de troubles et de séditions, On crioit que les jours du roi n'étoient pas en sûreté, et qu'il alloit être massacré dans une insurrection générale. Ceux qui par leur service étoient plus particulièrement attachés à la personne du monarque, reçurent différentes lettres où on leur donnoit avis de ne plus l'abandonner. D'après tout ce qui s'étoit passé, de telles allarmes ne pouvoient pas paroître destituées de fondement. Les royalistes se réunirent chaque jour et en plus grand nombre, autour de la famille royale. Dans une de ces séditions journalières et partielles qu'excitoit d'Orléans, ceux qu'on avoit mis en mouvement, se portèrent contre le château. Soit qu'ils ne voulussent que faire une feinte attaque, soit que la bonne contenance qu'on faisoit autour de la famille royale, les intimidât, ils se bornèrent à proférer quelques 'menaces, et se retirèrent.

Quelques jours après, la rumeur fut épou vantable et générale. Il se répandit que les

séditieux qui avoient menacé le château, alloient l'attaquer avec des forces considérables. Le bruit courut aussi qu'on venoit d'arrêter dans les appartemens du roi, un homme armé de poignards. Il se faisoit en même tems un mouvement extraordinaire dans les fauxbourgs. Tout-à-coup une populace nombreuse ayant à sa tête Santerre, se montra à la barrière du Trône, et gagna avec précipitation Vincennes. Elle y fit dans le château des dégâts considérables, et allarma tous les habitans pour leurs propriétés et pour leur vie.

La Fayette monte aussi-tôt à cheval, et suivi d'une forte portion de sa garde nationale, court à Vincennes, présenter le combat à cette populace. Santerre pour la première fois déploya l'étendard contre la Fayette; il osa lui tenir tête, et lui blessa même quelques hommes. Mais le commandant de la garde nationale dont l'armée étoit mieux équipée et plus nombreuse que celle de Santerre, remporta une victoire complette; il resta maître du champ de bataille, et fit quarante prisonniers qui s'étoient retranchés dans le donjon où ils se battoient en désespérés. Quant à Santerre, il abandonna honteusement la partie, et courut se réfugier dans un asyle où il resta caché plusieurs mois.

Il est assez naturel de penser que d'Orléans avoit mis Santerre aux prises avec la Fayette, dans l'espoir que celui-ci périroit

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