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n'étoit pas sans remède. Louis XVI avoit un penchant irrésistible à l'indulgence; il ne savoit ni ne pouvoit haïr; la passion de la vengeance lui étoit absolument inconnue, et la sévérité même envers les scélérats lui devenoit infiniment pénible. Si d'Orléans se fût jetté dans ses bras, tout eût été oublié; non-seulement Louis XVI ne l'eût pas repoussé, il eût encore fait les avances, il n'eût demandé au prince d'autre garant de son repentir que sa propre parole. Mais pour se déterminer à une pareille démarche, il falloit croire que Louis XVI savoit pardonner, et d'Orléans ne croyoit pas à la vertu.

D'ailleurs le prince étoit retenu par cette mauvaise honte qu'ont les criminels à avouer même les forfaits que chacun leur reproche. La haine qu'il portoit particulièrement à la reine, le fol espoir de régner, les conseils de ses complices qui avoient le même intérêt que lui à échapper au glaive de la justice, tous ces motifs l'engagèrent à combler la mesure de

ses attentats.

On convint d'abord dans son parti d'affecter le plus tendre et le plus ardent attachement à la constitution qu'alloit créer l'assemblée nationale. C'étoit-là le piège où il s'agissoit de prendre le peuple. Si on s'insurgeoit contre le roi, c'est que le roi ne poùvoit pas aimer sincèrement la constitution qui affoiblissoit son autorité. Si on portoit d'Orléans au rang suprême, c'est que lui seul

d'entre les princes étoit patriote, c'est qu'il auroit un intérêt personnel à chérir, à maintenir les loix qui l'auroient élevé sur le trône.

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On ne parla plus en conséquence que de constitution. Les Jacobins feignirent pour elle le respect le plus religieux; ils dévouèrent aux proscriptions tous ceux qui ne manifestoient pas pour elle une obéissance aveugle; ils donnèrent à leur société le nom de société des amis de la constitution. Les plus ardens de ces prétendus amis de la constitution furent les Valence, les Sillery, les Laclos, les Sieyes, les Robespierre, les Manuel, les Pétion, les Menou, les Biron, les Montesquiou, les Marat, les Hébert, les Fauchet, les Condorcet, les Brissot, les Gorsas, les Carra, les Garat, les Boissy-d'Anglas, les Dubois de Crancé, les Rabaut de St. Etienne, les St. Fargeau, les Treilhart, les Danton, les La-Vicomterie, les Grégoire, les Camus, les Coustard, les Louvet, les Thuriot, les Merlin, les Villette, les Clootz, les Latouche, les Rewbell, les Collot d'Herbois, les Tallien, les Chénier, les Martineau. Tous ces gens-là invoquant sans cesse le serment civique qu'ils avoient prononcé, crioient continuellement, la constitution ou la mort! L'événement a prouvé combien ce zèle étoit hypocrite. Cette constitution n'étoit comme le disoit un écrivain royaliste, qu'un marche-pied pour élever les jacobins à la toute-puissance, et ils ne dési

roient la toute-puissance que pour mettre d'Orléans à la tête des affaires, dans la vue de partager avec lui les trésors de la France.

rés.

Bailly et la Fayette gênoient les conju

On résolut de les dépouiller de leur place, de donner la Mairie à Pétion, et le commandement de la garde nationale au brasseur Santerre. Par celui-ci d'Orléans auroit disposé de toute la force armée de Paris, par l'autre il se seroit de nouveau rendu maître des subsistances.

Quant à la famille royale, on revint au plan qui n'avoit jamais été abandonné, de susciter au roi tant de désagrémens, de l'environner de tant de menaces et de dangers, que sa patience se lassât, et qu'il se déterminât enfin à abandonner la capitale et l'assemblée nationale. Alors il en auroit été de Louis XVI comme de Jacques II, on auroit crié que sa fuite étoit une abdication.

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Jamais conspiration ne fut plus universelle que celle qui se fit pour contraindre le roi à la retraite. D'Orléans, la Fayette, les constitutionnels, les impartiaux, les roya listes, tous y entrèrent. Comment le malheureux Louis XVI auroit-il résisté à ce mouvement général qui le poussoit à une démarche dont les suites devoient être pour lui et pour ses amis, si cruelles? Voilà ce que les contemporains n'ont pas assez pris en considération, et ce que la postérité pesera avec impartialité avant de prononcer son juge

ment sur le plus infortuné des rois qu'ait eu la France.

On connoît trop les vues de d'Orléans pour qu'il soit necessaire que je motive l'intérêt qu'il avoit au succès de cette conspiration. La Fayette pensoit que si le roi donnoit dans ce piège, on prouveroit sans peine que ce n'étoit pas précisément la capitale, mais la cause de la constitution que Louis XVI abandonnoit. Cette vérité reçue, la Fayette ne doutoit pas qu'on ne le chargeât lui-même de mettre en vigueur cette constitution; il se seroit ainsi vu roi par interim.

Le petit nombre de partisans de la constitution qui s'étoient détachés de la faction d'Orléans, croyoit qu'il falloit rendre le roi si misérable, le réduire à un tel esclavage, qu'il ne put pas refuser sa sanction à l'acte constitutionnel. Ceux qui pensoient ainsi entendoient qu'on laissât Louis XVI bri ser ses fers, mais qu'au moment où il croiroit jouir de toute la plénitude de sa liberté, on le ramenat dans sa prison. C'étoit aussi l'avis de la Fayette.

Les impartiaux et les royalistes qui n'attribuoient les malheurs de la France, qu'à l'état de foiblesse, d'humiliation et de servitude où l'on retenoit Louis XVI, désiroient sincèrement qu'il reprît avec sa liberté, le pouvoir de mettre fin à l'anarchie. Ils ne comprenoient pas que les François pussent être ni respectés au dehors, ni heureux au

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dedans, si leur roi n'étoit considéré, et ils croyoient que Louis XVI méritoit de l'être. Ils allèrent jusqu'à proposer à l'assemblée nationale de lui déférer au moins pendant trois mois la dictature. Cette proposition n'ayant pas réussi, ils ne virent d'autre remède aux malheurs publics, que de placer le monarque dans un lieu d'où il pût dicter des' loix aux anarchistes.

Les impartiaux en conseillant au roi de prendre ce parti, se flattoient que touché de leur zèle et de leur fidélité, il finiroit quand il auroit reconquis son autorité, par se jetter dans leurs bras. Ils comptoient qu'alors il prendroit parmi eux ses ministres, et qu'on parviendroit à lui persuader que s'il ne falloit pas tout accorder aux novateurs, il ne falloit pas non plus leur tout refuser, et que le véritable moyen de déjouer toutes les factions, c'étoit d'offrir, et d'accorder à la France un parlement tel que celui qu'avoient les Anglois. Il y avoit sans doute de l'erreur dans ce raisonnement, mais du moins ce n'étoit que par des moyens paisibles, et non sur des monceaux de cadavres, que les impartiaux prétendoient élever leur édifice.

Les royalistes n'étoient guidés que par le religieux attachement dont ils faisoient profession pour la personne du roi, et que par leur amour pour l'antique constitution du royaume, sans entendre pour cela qu'il fallûr laisser subsister quelques abus qu'un laps

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