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dire, et devant ceux qui ont été chargés d'en

connoître.

"Telles sont, Messieurs, les obligations. que je viens contracter en ce moment. Je me dois de les remplir. je le dois à cette Assemblée dont j'ai l'honneur d'être membre, je le dois à la Nation entière.

66 "Il est temps de prouver que ceux qui ont soutenu la cause du peuple et de la liberté, que ceux qui se sont élevés contré tous les abus, que ceux qui ont concouru de tout leur pouvoir à la régénération de la France; il est temps de prouver que ceuxlà ont été dirigés par le sentiment de la jústice, et non par les motifs odieux et vils de l'ambition et de la vengeance.

"Ce peu de mots que j'ai mis par écrit, je vais, Messieurs, le déposer sur le bureau, pour y donner toute l'authenticité qui dépend de moi."

Ainsi Biron avoit promis avec la plus grande solemnité, que d'Orléans donneroit des éclaircissemens; celui-ci annonce avec la plus grande solemnité, qu'il va les donner, et au lieu de les présenter, il finit par dire qu'il les donnera. Cette manière de se justifier complettoit la démonstration que le prince méritoit en effet le décret de prisede-corps qu'il avoit plu à l'Assemblée de détourner de dessus sa tête.

Ils parurent cependant ces prétendus éclaircissemens. Le chevalier de Ferrierre publia le mémoire apologétique auquel il tra

vailloit

vailloit depuit tant de mois. Il parut sous le titre de Mémoire à consulter, et consultation pour M. Louis-Philippe-Joseph d'Orléans. C'étoit un écrit judiciaire dans le genre de ces factums que les plaideurs publioient autrefois pour l'instruction des juges. L'écrit paroissant dans cette forme, devoit être signé par des avocats. Il étoit naturel que le choix tombât sur ceux, qui formoient le conseil du Prince. Ces avocats appellés Leroi, Henrion de Pensey, Ferrey, Benoist, avoient des lumières, et jouissoient d'une bonne réputation. On comprit qu'ils ne voudroient pas être les apologistes de grands criminels, comme avoit dit le marquis de Bonnay. On alla chercher ces apologistes parmi les moins estimés d'entre les avocats. Ce furent Bonhomme de Comeyras, Hom et Rozier. Les deux derniers étoient absolument inconnus ; le premier avoit été protégé par Elie de Beaumont, et c'étoit la son seul titre de recommandation.

Une gratification pécuniaire et l'espoir d'obtenir la faveur du prince, déterminèrent ces trois légistes à signer l'ouvrage de Ferriere. Leurs noms furent pour le public une preuve qu'il falloit qué la cause de d'Orléans fut bien mauvaise, puisqu'il n'avoit pu trouver que d aussi pitoyables défenseurs. Le fond de l'apologie convertit cette preuve en démonstration. Ce n'étoit qu'une méchante et calomnieuse déclamation contre le Châtelet et les témoins. Elle étoit si pesamTome III. G

ment écrite que les hommes les plus prévenus en faveur des coupables, n'en pu rent lire trois pages. Malouet l'un des hommes les plus éloquens de ce siècle, l'ensevelit dans un néant dont elle n'est plus sortie, par un petit écrit de deux pages, qu'il intitula Mémoire à consulter chez les Nations étrangères, par M. Malouet. Chacun courut après les deux pages, et laissa là la lourde apologie.

Cette ressource ayant manqué, Ferriere s'avisa de jetter dans le public une autre brochure apologétique, et pour engager les ennemis même de d'Orléans à la lire, il lui donna un titre injurieux au Prince, l'intitula: Le duc d'Orléans traité comme il le mérite, Dans une matière aussi grave, employer une manière aussi burlesque de rétablir la réputation du premier prince du sang, c'étoit convenir qu'on n'avoit rien de solide et de sérieux à opposer en sa faveur. Ce nouvel écrit n'étoit au reste qu'un méchant pamphlet qu'on se repentit d'avoir acheté, dès qu'on en eut lu quelques lignes.

Tel fut donc l'effet que produisit et l'im puissance des moyens employées par les panégyristes de d'Orléans, et l'éclat donné à la procédure du Châtelet, que chacun et en France et en Europe, resta convaincu que le prince étoit un vil scélérat qui pour as souvir sa vengeance et son ambition, avoit versé le sang des gardes-du-corps, et avoit

voulu répandre celui du roi et de la famille. royale. Sa conjuration ne fut plus un problême pour personne. Tout le monde vit dès-lors clairement qu'il étoit à la tête d'une faction qui agitoit et perdroit infailliblement la France. Dès-lors aussi l'on prévit que ce monstre pourroit bien faire un mal infini à son pays; mais que jamais il n'en seroit le roi. La haîne en effet qu'on lui portoit depuis si long-temps, s'alluma à cette occasion avec une telle force, que cent mille bras l'eussent arraché du trône, s'il s'y fût assis. Le mépris que ses propres partisans nourrissoient contre lui au fond de leur cœur, eût contribué à ne mettre qu'un instant entre son élévation et sa chûte. L'amour, la considération des actions grandes et brillantes, voilà ce qui maintient les rois, voilà ce qui élève les usurpateurs.

Ainsi les exécrables forfaits des 5 et 6 octobre, bien loin de favoriser les projets de d'Orléans, furent précisément ce qui apporta à leur exécution un obstacle insurmontable. Sa faction même en devint moins nombreuse; quelques membres du côté gauche s'en détachèrent, sinon avec bruit, du moins avec la ferme résolution de la combattre, dès que l'occasion s'en présenteroit à eux. Mirabeau qui avoit de l'esprit, finit lui-même par exécrer le prince, et par rougir d'avoir si longtems combattu sous ses étendards. Cette hideuse procédure du Châtelet fut pour lui la tête de Méduse; elle le remplit de dépit,

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de désepoir et d'un sombre chagrin qui le
minoit visiblement..

Dans les premiers mouvemens de sa colère,
il s'emporta contre le Châtelet. Je poursuivrai
s'écria-t-il un jour dans le sein de l'Assemblée
nationale, je poursuivrai les juges de ce tribu-
nal jusqu'au TOMBEAU. Et moi, lui cria un
royaliste, je vous déclare en leur nom, qu'ils
vous poursuivront jusqu'au TOMBEREAU. Ce mot
fut un trait empoisonné qui perça son cœur,
et y laissa le germe de la mort.

Quelque circonspection que Mirabeau mit dans sa conduite, il fut aisé de s'appercevoir qu'il abandonnoit et les Jacobins et d'Orléans. Devenu suspect à la faction, il ne sut plus quelle marche tenir; après bien des vacillations, il se vendit sourdement au parti royaliste. Les ministres firent la sottise de l'acheter quand il n'avoit aucun service à leur rendre. Dépouillé en effet de la faveur populaire, il ne pouvoit plus leur nuire. C'étoit la vipère à qui on a arraché son dard. D'ail leurs Mirabeau comme tous ceux de son espèce, se vendoit, et ne se livroit pas.

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Enfin au bout de quelques mois, er après une maladie de trois ou quatre jours extraordinairement douloureuse, Mirabeau mourut non sans soupçon de poison. Le malheureux au reste périt comme il avoit vécu; il périt blasphêmant Dieu, et maudissant sa propre mère. Telle fut la fin de cet homme plus fameux que célèbre, plus original qu'éloquent,

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