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A l'égard du démon et des diableries, on rappelle mal à propos le xvre siècle; car, à aucune époque autant qu'à celle-là, par aucun orateur aussi souvent que par Luther, ce Mirabeau de la réforme, le démon ne fut évoqué et mis en scène, non pas plaisamment ni par forme d'allégorie, mais sérieusement et à titre d'individualité réelle et distincte.

Vous parlez du bûcher de Vanini, crime et honte d'une réaction fanatique; mais ces mots n'ont pu passer sous votre plume sans vous remettre en mémoire le bûcher de Servet, crime et honte plus grands encore du réformateur Calvin !

Pourquoi raviver des souvenirs de haine et de vengeance? Charité, charité ! c'est-à-dire sollicitude et assistance aux humbles et aux souffrants; absence d'envie et de convoitise à l'égard des puissants et des heureux; indulgence, amour pour tous ceux qui composent avec nous le grand corps social: telle est la loi qui de l'Ecriture doit passer dans le fait, de la prédication dans les mœurs, et à laquelle doit obéir fidèlement tout véritable ami de l'humanité, tout soldat dévoué du progrès.

Vous nous mettez en garde contre la bonhomie apparente de Baluze, et vous présumez qu'il eût volontiers porté la torche au bûcher d'une victime de l'intolérance.

Mais quelle parole, quelle circonstance pourriez-vous signaler qui justifiât une imputation si grave, si odieuse, et que contredit la vie tout entière de notre savant? Et, si votre accusation n'est point appuyée de preuves directes, convaincantes, j'en appelle à vousmême, ne devez-vous pas regretter de vous en être rendu l'organe, et d'avoir jeté le premier outrage à une mémoire qui a tant de droits à nos admirations et à votre respect?

Oh! bien plutôt conservons avec piété, exaltons avec ferveur ces gloires si pures, vraiment nationales, qui ne traînent point après elles, comme tant d'autres gloires, un triste et lugubre cortége de douleurs et d'infortunes! En elles consiste notre plus précieux héritage, dépôt sacré qui nous fut légué par nos pères, et que nous devons transmettre intact à nos enfants.

Aussi faisons-nous des vœux pour que le chef-lieu du département de la Corrèze élève un monument en l'honneur du plus illustre de ses fils, ou que du moins l'une de nos rues ou places publiques reçoive son nom, afin de perpétuer au milieu de nos concitoyens le souvenir de celui qui ne désira la célébrité que pour la partager avec sa ville natale.

M. DELOCHE.

FRAGMENTS DU POÈME DE SAINT MARTIAL.

Pierre le Scolastique ou l'Ecolâtre (Petrus Scolasticus) est un poète limousin du moyen-âge sur lequel l'histoire n'a pas écrit une ligne. Les deux mots qui composent son nom sont les seuls éléments que nous ayons pour composer sa biographie. Il faut bien que l'auréole de la gloire ne l'ait pas couronné pendant sa vie, puisque nos vieux chroniqueurs n'ont fait mention ni de ce poète ni de son livre. Sa destinée a été tellement obscure que les quelques savants modernes qui se sont occupés de lui ne sont pas d'accord sur l'époque où il a vécu. Les uns prétendent qu'il vivait à la fin du Xe siècle; les autres ne le font vivre qu'à la fin du siècle suivant. Au reste, pour déterminer l'une ou l'autre de ces deux époques, ils avaient un monument littéraire que nous n'avons plus aujourd'hui : nous voulons parler du poème latin en neuf livres que Pierre le Scolastique avait composé sur saint Martial et les choses relatives à l'apôtre de l'Aquitaine Codex Petri Scolastici de apostolo Christi sanctissimo viro Martiale rebusque ad ipsum pertinentibus.

Nadaud a signalé trois manuscrits de ce poème l'un qui se trouvait dans le chartrier de Saint-Martial; l'autre, dans la bibliothèque de M. de Thou:-qui nous dira ce que sont devenus ces deux manuscrits? - le troisième, le plus important de tous, celui qu'avait lu Nadaud, et qui avait été consulté par dom Rivet et les Bénédictins de l'Histoire littéraire de la France, était un manuscrit, peint au xire siècle, qui provenait de l'abbaye de Saint-Martial, et qui se trouvait, avant la révolution, à Limoges, dans la riche bibliothèque de M. de L'Epine, secrétaire général de l'intendance. Il est très-regrettable que ce savant distingué, qui connaissait tout le prix de ce livre, ne l'ait pas légué, pour en assurer la conservation, à quelque établissement public : car ce précieux manuscrit, le seul peut-être qui nous restât du poème du Scolastique, s'est

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perdu, comme les poésies de Géraud de Borneilh (1), dans les mains inintelligentes des héritiers de M. de L'Epine. Eh bien! c'est sur ce poète ignoré, dont les œuvres se sont perdues, que nous entreprenons de faire une étude archéologique. Voilà certes un labeur ingrat; voilà une entreprise hardie sinon téméraire : c'est là, du reste, tout son mérite, et ce n'est qu'à ce point de vue qu'elle peut offrir un intérêt quelconque à nos lecteurs.

A dire vrai, quoique, - selon toute vraisemblance, - le poème du Scolastique soit perdu, toutefois il en reste encore quelques fragments. Ainsi nous en avons découvert le commencement dans un manuscrit de la Bibliothèque impériale. De plus un cahier de Nadaud, que M. Auguste Du Boys a mis obligeamment à notre disposition, renferme, en deux pages, une courte analyse de ce poème. Dans d'autres manuscrits de cet infatigable antiquaire, nous avons pu glaner quelques vers inédits. Puis le P. Bonaventure, dans les deux volumes in-folio qu'il a composés sur saint Martial, s'appuie assez fréquemment sur l'autorité de Pierre le Scolastique, à qui il emprunte de nombreuses citations. En réunissant tous ces fragments épars, en les groupant, dans un ordre méthodique, à la place qu'ils occupaient autrefois, on parvient, sinon à avoir une idée complète du poème, au moins à en avoir une esquisse qui dédommage un peu de la perte qu'on a faite de ce précieux monument.

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En parlant du prix de ce poème, dont nous exhumons quelques fragments de la poussière et de l'oubli, nous ne voulons pas le présenter comme un chef-d'œuvre littéraire et comme un type d'élégante versification. Pierre le Scolastique vivait dans un siècle de fer est-il étonnant que son style soit empreint de rouille, et se ressente un peu de la barbarie de son siècle? Si l'on y trouve çà et là quelques bons vers, on en trouve beaucoup plus de médiocres, et un plus grand nombre encore de mauvais. Mais, quel qu'il soit, ce poème mérite d'être apprécié par les antiquaires. D'abord c'est un monument du pays, qui jette quelques clartés sur plusieurs points de notre histoire locale; puis c'est un curieux specimen de la littérature limousine au moyen-âge un livre où se trouvent révélés l'esprit et les tendances de cette époque. Les numismates contemporains étudient les monnaies barbares du moyen-âge avec autant d'attrait et de passion que les antiquaires d'autrefois en mettaient à étudier les magnifiques médailles de la civilisation romaine: ces

(4) ALLOU, Monuments de la Haute-Vienne, p. 125, note 2.

monnaies barbares révèlent souvent des faits inconnus, et suppléent au silence des historiens: ainsi le poème barbare du Scolastique, qui éclaire quelques faits obscurs du moyen-âge, ne mérite pas moins notre étude et nos investigations que les chefs-d'œuvre immortels de ces grands poètes qui ont tracé un sillon lumineux dans l'histoire.

ARTICLE PREMIER.

A QUELLE ÉPOQUE A VÉCU PIERRE LE SCOLASTIQUE ?

Avant de citer les fragments qui nous restent de Pierre le Scolastique, il est une question préalable qui se présente, et qu'il faut éclaircir: A quelle époque a vécu Pierre le Scolastique ?

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Sur cette question, comme sur beaucoup d'autres, les savants ne sont pas d'accord: les uns, tels que Bonaventure, Honoré de SainteMarie, Nadaud, Févret de Fontette, prétendent que Pierre le Scolastique vivait à la fin du xe siècle et au commencement du siècle suivant; les autres, comme dom Rivet et sans doute aussi les Bénédictins qui ont travaillé sous sa direction à l'Histoire littéraire de la France, dom Duclou, dom Poncet, dom Colomb, ne font vivre Pierre le Scolastique qu'à la fin du XIe siècle (1099). Exposons d'abord cette dernière opinion, et citons textuellement l'article que dom Rivet a consacré au poète de saint Martial :

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>> Pierre, qui fait l'objet de cet article, est simplement qualifié Scolastique dans les monuments qui parlent de lui, sans qu'ils parlent de quelle église ou monastère il était. Mais la nature de son ouvrage semble ne devoir point laisser de doute qu'il ne remplit cette dignité à Limoges, soit à Saint-Etienne, qui est la cathédrale, soit à l'abbaye de Saint-Martial. On n'a pas le même secours pour déterminer le temps précis auquel il a écrit, quoiqu'il paraisse certain qu'il l'a fait après le xe siècle et avant la fin du xire. La

preuve de la première époque se tire de son propre ouvrage, qui est une paraphrase en vers des Actes de saint Martial, et l'autre, de l'écriture du manuscrit qui la contient, écriture qui paraît aux connaisseurs avoir précédé le xIIIe siècle.

» Cela posé, l'on ne peut parvenir à fixer le temps de son ouvrage que par la voie des conjectures. On en fera de façon et d'autre, qui seront, pour la plupart, sinon hasardées ou fausses, au moins incertaines. On pourra d'abord conjecturer que notre Scolastique, se déclarant partisan de l'apostolat de saint Martial, comme il fait effectivement, aura écrit au temps que cet apostolat faisait plus de bruit, c'est-à-dire vers les années 1028 et 1030, peu avant que se tint le grand concile de Limoges sur ce sujet : conjecture qui paraît appuyée sur ce qu'il n'en fait aucune mention dans son ouvrage, où il semble qu'il ne devait pas l'oublier.

» Mais, quelque spécieuse que paraisse cette conjecture, elle ne se peut soutenir, n'étant appuyée que par une preuve négative, qui se trouve détruite par une autre beaucoup plus forte. En effet, il n'est pas croyable que, si le Scolastique Pierre avait fleuri dès 1028, Adémar de Chabanais (1) l'eût oublié dans la pompeuse inscription de sa fameuse lettre apologétique de l'apostolat de saint Martial, qu'il a adressée à tous les gens de lettres de sa connaissance, éloignés comme voisins, qu'il savait être disposés en faveur de cet apostolat. De même, si Pierre avait écrit avant le concile de Limoges tenu en 1034, est-il croyable ou qu'il n'y eût pas paru luimême pour y faire valoir son sentiment, ou que quelqu'un, entre ce grand nombre de savants qui y parlèrent en faveur de la même opinion, n'eût pas cité son écrit pour l'appuyer? D'ailleurs la véritable raison pourquoi il ne fait aucune mention des conciles sur cet apostolat est qu'ils n'entraient pas dans son dessein, ne s'étant proposé que de mettre en vers le texte en prose des Actes de saint Martial.

» Tout ceci concourt à rendre plus vraisemblable l'opinion que nous allons établir, savoir que notre Scolastique n'écrivait qu'à la fin de ce xre siècle. C'est de quoi l'on ne peut raisonnablement douter, pour peù d'attention qu'on donne à ce que dit l'auteur sur la fin du premier livre de son ouvrage (mss). Il y nomme deux personnes célèbres, qui vivaient alors, et du témoignage desquelles il s'autorise pour donner du relief à son travail. L'un est un Gérard, qu'il exhorte à prendre la plume, pour tâcher, comme lui, de fermer la

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(1) MABILLON, Annal., T. IV, append., p. 717, I.

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