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HISTOIRE DE LA VILLE ET DU CANTON D'UZERCHE

Par M. Combet, Avocat, membre du Comité Archéologique de la Corrèze, correspondant du ministère de l'instruction publique pour les travaux historiques.·

1re et 2 livraisons (1).

Les deux modestes livraisons consacrées à l'histoire d'Uzerche confirment parfaitement la vieille maxime: Nimium ne crede colori. Le dirai-je ? n'ayant pas l'honneur de connaître M. Combet, quand un intermédiaire m'a prié d'écrire un mot sur cette publication trop timide, faite en 1853 et en 1854, par livraisons, l'une de 32, et l'autre de 48 pages, à première vue, ma franchise native s'est effrayée de l'alternative également pénible de se déguiser un peu pour flatter, ou d'être dure en restant ce qu'elle doit être.

Une lecture attentive m'a prouvé qu'il eût mieux valu m'inspirer du sentiment chrétien, qui porte toujours à juger favorablement l'inconnu.

L'histoire d'Uzerche manque de préface; elle n'a même pas été précédée d'un prospectus qui résumât la pensée de l'auteur. M. Combet se défie par trop de lui-même, d'autant plus qu'il possède parfaitement son sujet, comme le prouvent les six chapitres déjà parus, chapitres dont la disposition simple et naturelle indique pour le plan général l'ordre chronologique.

Tout ce que nous ont appris les chroniqueurs sur cette partie si intéressante du Limousin, depuis la conquête des Gaules par JulesCésar jusqu'au milieu du XIIe siècle (1149), se trouve élégamment raconté. Cette élégance apparaît dès la première page par la description topographique d'Uzerche. Pourtant l'auteur évite l'amplification; ses récits sont en général rapides et dictés par un patriotisme éclairé. Et pourquoi M. Combet ne serait-il pas fier de sa ville natale, dont André Duchêne a dit :

<< Uzerche, seconde ville du Limousin, belle et tempérée, ville >> assise sur le torrent de Vezère, et presque imprenable selon le

(4) En vente à Limoges, chez MM. Leblanc et Marmignon, à raison de 1 fr. la livraison. L'ouvrage aura cinq livraisors.

» jugement des hommes. Ses défenses sont les eaux de tous côtés. » Il n'y a que deux avenues, mais si fortes qu'on' dit communément » que qui a maison à Uzerche a château en Limousin. »

Aussi M. Combet paraît heureux de rappeler que la forteresse bâtie par Pépin fut pendant quelque temps la résidence de l'évêque de Limoges, chassé par la guerre de sa ville épiscopale détruite et de son palais incendié; ce qui, pendant une dizaine d'ans, rendit Uzerche capitale de tout le Limousin. Il raconte encore comment, après un siége de sept ans, les habitants d'Uzerche, que la famine allait forcer à se rendre, chassèrent de leurs murs les Sarrasins au moyen d'un heureux stratagème dont le souvenir glorieux est rappelé par les armoiries de la ville. Enfin les petits-fils de Louis-le-Débonnaire, Louis et Pépin furent élevés dans le fort d'Uzerche. ·

Mais la gloire principale de cette ville, c'est son monastère : M. Combet s'en occupe spécialement dans ses deux livraisons. Les nobles et les saints personnages qui en furent abbés jusqu'en 1149 passent successivement sous les yeux du lecteur. La vie de Maurice Bourdin (l'antipape Grégoire VIII) remplit seule un chapitre.

Naturellement un auteur limousin devait un peu flatter le portrait de ce légat ambitieux, idole de l'empereur, et porté sur le trône pontifical, au mépris des saints canons, par un prince déclaré en plein concile (1112) ennemi de l'Eglise. Toutefois, et je suis heureux® de rendre ce témoignage, la foi éclairée de M. Combet lui dicte toujours un langage convenable et une conclusion catholique quand il parle des moines, du duel judiciaire, de la querelle des investitures, etc., à propos desquels même des auteurs célèbres ont fait tant de déclamations peu dignes de leur gravité.·

M. Combet a plus que de la littérature, il est un érudit consciencieux, et nous annonçons avec plaisir la publication prochaine des trois livraisons qui doivent compléter l'intéressante histoire d'Uzerche. Nous comptons même que l'accueil favorable fait à ses deux livraisons excitera l'auteur à donner les documents inédits qu'il promet sur le département de la Corrèze.

ROY-PIERREFITTE.

Parmi les illustrations du Limousin il n'en est pas qui soit restée jusqu'à nos jours plus incontestée que celle de notre savant Baluze. Depuis près de deux siècles, tous les esprits sérieux rendaient hommage à l'auteur de la collection des Capitulaires, de l'histoire des Papes d'Avignon et de la Maison d'Auvergne; tous les hommes studieux saluaient avec gratitude et respect le nom de celui à qui la science historique et philologique était tant redevable; la postérité sanctionnait sans réserve le jugement de ses contemporains, et la ville de Tulle, qui lui donna le jour, était depuis ce temps désignée par les écrivains qui d'aventure la mentionnaient par ces mots, qui disaient sa seule gloire Patrie du célèbre Baluze.

Et voilà qu'un écrivain a élevé la voix pour crier aux lettrés et aux érudits des deux siècles écoulés qu'ils se sont trompés, à la postérité qu'elle a été abusée, à ceux d'aujourd'hui que cette gloire est une gloire usurpée (1).

Il ne sera pas dit que de si injustes et si ingrates paroles soient restées sans réponse : non pas que la renommée du grand homme dont notre ville natale s'honore d'avoir été le berceau ait en aucun temps besoin d'un champion ses œuvres sont là qui parlent pour lui; et d'ailleurs, si un débat pouvait jamais s'ouvrir sur leur mérite, nous remettrions à de plus dignes que nous le soin de les défendre. Mais n'est-il pas à craindre que les lecteurs du feuilleton auquel nous faisons allusion ne supposent que nos compatriotes ont accueilli, je ne dis pas avec faveur, mais sans protestation, l'inconcevable attaque dirigée contre la mémoire de Baluze ? C'est donc en leur nom, et avec la conscience d'un commun devoir à accomplir, que nous

(1) L'auteur d'un feuilleton du journal l'Union Corrézienne, nos des 21 et 26 juin 1855, avec une superbe, un dédain, un ton de supériorité que le fond de l'article est loin de justifier, va jusqu'à dire que notre grand érudit répand sur les questions qu'il touche les ombres de son cerveau; qu'il ne s'élève jamais au dessus du commérage; il lui refuse même, et avant tout, le sens critique... Eufin l'on voit clairement que le feuilletoniste n'a point lu les œuvres de l'écrivain qu'il attaque, et qu'il croit pouvoir porter un jugement d'après quelques passages du seul livre dont il paraisse avoir pris connaissance (l'Histoire de Tulle), et très-superficiellement sans doute, car il en parle avec aussi peu de justesse dans l'appréciation que de modération dans la forme.

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venons retracer les traits principaux d'une vie qui fut si remplie d'un caractère qui ne se démentit jamais, et rappeler enfin les œu→ vres d'un savant qui fut l'une des lumières du XVIIe siècle, et qui fera éternellement l'orgueil de son pays.

Né à Tulle, le 24 décembre 1630, de Jean-Charles Baluze, jurisconsulte, et de Catherine Teyssier, Étienne Baluze fit avec succès ses premières études, au lieu même de sa naissance, dans le collége des Pères de la société de Jésus.

En 1646, il se rendit à Toulouse, et passa huit années au collége de St-Martial (1). Il y développa tout d'abord les qualités naturelles d'une intelligence vive et prompte et d'un esprit laborieux et appliqué. Suivant la volonté de son père, il entreprit l'étude du droit civil; mais il nous apprend lui-même que, ayant peu de goût pour cette science, il s'adonna plus volontiers à l'histoire et aux belleslettres, et fut bientôt admis dans l'intimité des éminents prófesseurs qui brillaient alors à Toulouse, tels que Pierre Caseneuve, Pierre Poussin, Antoine d'Hauteserre, et de Ch. de Montchal, archevêque de Toulouse.

A peine âgé de vingt-deux ans, il publia son Anti-Frizonius (2), petit livre rempli d'érudition, où il relevait les erreurs commises par Pierre Frizonius dans sa Gallia Purpurata. Peu de temps après, parut sa dissertation sur le temps où vécut saint Sadroc, premier évêque de Limoges (3), et, l'année suivante, il mit au jour une nouvelle dissertation sur saint Clair, saint Lau, saint Ulfard et saint Baumar, patrons de l'église cathédrale de Tulle, et dont les reliques y étaient conservées (4).

Ces premiers ouvrages lui avaient déjà acquis un certain renom, et, en 1656, Pierre De Marca, archevêque de Toulouse, alors résidant à Paris, et l'un des plus savants hommes du XVIIe siècle, l'appela auprès de lui, et le fit participer à ses propres travaux. C'est à cette collaboration que l'on doit l'achèvement du traité de l'Accord du sacerdoce et de l'empire, ou des Libertés de l'église gallicane, dont le jeune

(1) Collége fondé au xive siècle, pour vingt étudiants limousins, par le pape Innocent VI (Etienne Aubert), né au château des Monts près Pompadour, mort à Avignon le 12 septembre 1362. Vil. Papar. Avenion., t. 1, p. 917 et seq.

(2) In-12, imprimé à Toulouse, 1652.

(3) Cette dissertation a été éditée à Tulle, en 1653, in-12.

(4) Dissertatio de sanctis Claro, Laudo, etc., in-8°. Tutela, 1656. J'en ai trouvé, à la bibliothèque de Sainte-Geneviève de Paris, un exemplaire provenant du legs testamentaire de la bibliothèque de l'archevêque Letellier.

Tulliste écrivit les quatre derniers livres. A l'une des éditions qu'il publia après la mort du docte prélat, il ajouta un Traité des légats et des notes importantes pour la défense des opinions de l'auteur (4).

C'est en 1662 que mourut P. De Marca. Le premier il avait deviné les aptitudes de son protégé, encouragé ses efforts et déterminé sa vocation. Aussi la plus vive affection régnait-elle entre ces deux hommes, et ce fut un moment de cruelle épreuve que celui où la destinée vint trancher le lien qui unissait à la fois ces deux belles intelligences et ces deux nobles cœurs (2).

Baluze ne consentit jamais depuis à s'attacher aussi intimement à la personne d'autres prélats français, et, malgré les offres brillantes qui lui furent adressées de divers côtés, il préféra garder son indépendance.

Il conserva toujours vivant le souvenir du bienfaiteur de sa jeunesse, et un sentiment de pieuse reconnaissance lui imposa la lourde tâche de terminer et publier l'ouvrage capital et resté inachevé du docte archevêque, le Marca Hispanica, ou description historique et géographique de la Catalogne et des pays circonvoisins. La préface, qui est un admirable résumé de l'ouvrage, le iye livre tout entier, qui n'est pas le moins intéressant, les tables et le riche appendice qui le terminent sont l'œuvre de Baluze (3). Déjà, par ses soins, les opusculés du même auteur avaient été soigneusement mis en lumière (4).

Cette application dévouée du célèbre érudit à l'achèvement et à la publication des œuvres de son vénérable patron n'est-elle pas un trait de caractère ? Cette fidélité dans la gratitude et dans l'affection ne témoigne-t-elle pas de la bonté de son cœur? ne proteste-t-elle pas d'avance contre une accusation de fausse bonhomie sur laquelle nous reviendrons plus bas?

(1) Trois éditions de cet ouvrage ont été publiées en 1663, 1669 et 1704.

(2) Il faut lire dans la lettre que Baluze écrivit après la mort de celui qu'il appelle son excellent Mécène l'expression vraie, naturelle, de cette douleur filiale : «Venio ad fatalem illum et acerbum diem quo vir optimus nobis ereptus est. Falluntur profecto qui existimant diem adimere ægritudinem hominibus, et dolores quantumvis magnos vetustate mitigari. Dies enim non modo non levat luctum hunc meum, sed etiam quotidie auget. » Epistola Steph. Baluzii de vita et morte Petri De Marca, in-8°. Parisiis, p. 92. Dès 1622, Baluze était pourvu d'un canonicat dans l'église de Reims; car. dans cette lettre, il en prend déjà le titre. Il

ne reçut du reste jamais que la tonsure.

(3) Ce livre, dont le succès a été si grand et si mérité, a paru en 1688. (4) C'est en 1681 que cet ouvrage a été édité.

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