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le Scolastique vivait à la fin du xe siècle. Dom Rivet semble avoir ignoré ce fait, ou il a gardé, sur ce point, un silence significatif.* 2 Dans maints endroits de son poème, Pierre le Scolastique éclate en violentes invectives contre les ennemis de l'apostolat de saint Martial. Or on sait à quelle époque cette question divisa les esprits, et souleva des controverses passionnées c'est dans le premier tiers du XIe siècle. L'an 1034, les décrets des conciles de Bourges et de Limoges et la décision du pape Jean XIX tranchèrent la question. Dès que Rome eut parlé, la cause fut finie. A la fin du XIe siècle, époque à laquelle dom Rivet suppose que vivait Pierre le Scolastique, le débat était clos, et il n'y avait plus d'apologistes ni de contradicteurs. Donc Pierre le Scolastique vivait, non pas à la fin, mais au commencement du XIe siècle.

3o Pierre le Scolastique ne parle ni des conciles de Bourges et de Limoges, ni de la décision du pape Jean XIX relative à l'apostolat de saint Martial. Or, dans un livre où il réunit tout ce qui peut contribuer à la gloire de son héros, il n'eût pas manqué de citer ces importants témoignages; il n'eût pas manqué d'invoquer ces autorités décisives pour imposer silence aux détracteurs qui aboyaient (selon son expression) contre l'apostolat de saint Martial :

Apostolum ne quis latrator
Audeat ulterius negare.

Le P. Bonaventure a eu raison de conclure de ce silence que le moine poète écrivait avant la tenue de ces conciles. Ce n'est là sans doute qu'un argument négatif; mais, dans cette circonstance, cet argument a la plus grande valeur. Donc Pierre le Scolastique vivait non pas à la fin, mais au commencement du XIe siècle.

4o Les arguments que dom Rivet fait valoir en faveur de son système n'ont aucune force. En effet :

Il dit que, « si Pierre le Scolastique eût vécu au commencement du XIe siècle, Adémar ne l'eût pas oublié dans la pompeuse inscription de sa fameuse lettre apologétique de l'apostolat de saint Martial ». Mais, si dom Rivet eût lu cette inscription plus attentivement, il y eût trouvé un Pierre habile architecte, que Nadaud prétend être le même que Pierre le Scolastique. Cette identité serait-elle sans fondement, on pourrait dire que Pierre le Scolastique était mort avant le concile de Limoges de l'an 1028, après lequel Adémar écrivit sa lettre sur l'apostolat.

Dom Rivet ajoute que, « si Pierre le Scolastique eût écrit avant le

concile de Limoges tenu en 1034, il y aurait paru lui-même pour faire valoir son sentiment, ou quelqu'un pour l'appuyer aurait cité ses écrits ». — RÉPONSE: Si Pierre le Scolastique n'a pas parlé dans ce concile, c'est que d'abord il pouvait être mort quelques années auparavant; ensuite, c'est parce que, dans ces conciles, les évêques seuls et les abbés des monastères prenaient la parole, et non pas les simples moines, comme était Pierre le Scolastique. Si son écrit n'a pas été cité, c'est parce qu'on citait les anciennes autorités, et non pas les autorités contemporaines.

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« Mais, ajoute dom Rivet, Pierre le Scolastique s'adresse à un Gérald, homme savant, qui ne peut être que Géraud II, abbé de SaintAugustin, mort en 1104. » Comment prouver cela ? Au commencement du XIe siècle il y avait deux savants abbés du nom de Gérald: l'un, Gérald Ier, abbé du monastère de Saint-Augustin, cité en tête de la lettre d'Adémar; l'autre, abbé de Solignac, cité dans cette même lettre, et qui parut avec éclat et autorité dans les conciles de Limoges il est bien plus naturel de croire que c'est à l'un de ces deux abbés que Pierre le Scolastique s'adresse pour l'engager à combattre avec lui les ennemis de l'apostolat.

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Une dernière raison de dom Rivet, c'est que Pierre le Scolastique parle d'un Hildebert qui ne peut être qu'Hildebert du Mans, mort en 1034. C'est encore là ce que nous nions. C'est faire trop d'honneur à Pierre le Scolastique que de supposer que ses poésies fussent approuvées par le fameux Hildebert du XIIe siècle. On trouve, au commencement du XIe siècle, un Hildebert, moine de SaintMartial, dont la mort, arrivée en 1025, est indiquée dans une chronique éditée par Labbe (Bibl. nov., T. I, p. 334). Cette mention prouve qu'Hildebert était un personnage assez important pour que Pierre le Scolastique pût s'appuyer de son suffrage.

Ainsi toutes les objections que fait dom Rivet sont de nulle valeur, et les raisons positives que nous avons données en faveur de notre opinion restent dans toute leur force. Donc Pierre le Scolastique vivait à la fin du xe siècle et au commencement du xie.

(La suite au prochain Bulletin.)

L'abbé ARBELLOT.

ESQUISSE BIOGRAPHIQUE.

La Société Archéologique a manifesté le désir de voir ses membres s'occuper de biographies plus ou moins substantielles des hommes célèbres de la province.

Je déplore, plus que personne, qu'il soit resté, dans sa ville natale, si peu de documents sur la vie de Léonard Limosin, honoré de la protection bienveillante de quatre rois de France, François Ier, Henri II, François II et Charles IX, dont le premier, surnommé le père des lettres et des arts, le combla de faveurs, et lui conféra les titres de son peintre et de valet de sa chambre.

Cet habile émailleur mérite mieux qu'une notice aussi pauvre de faits intéressants. Humble et simple manoeuvre, je n'en crois pas moins devoir réunir les matériaux que j'ai pu me procurer dans mes incessantes recherches au milieu des titres des archives du pays : je me croirai payé de mes peines si, à l'aide de ces détails pieusement (1) recueillis par moi, un meilleur architecte élève bientôt un plus digne monument à la mémoire d'un de nos grands artistes limousins.

On s'accorde généralement à fixer la naissance de Léonard à Limoges vers l'an 1505. Un acte tout récemment découvert par moi dans le terrier du prieuré conventuel de St-Gérald de cette ville lui donne pour père François Limosin, couratier et hopte (courtier et aubergiste). Ce contrat, daté de 1544, est relatif à la maison qu'occupaient Léonard et Martin Limosin frères, émailleurs, Grande-Pousse, qui devait au prieur sept sous six deniers de cens. Cette maison payait, dès 1510, sous le nom de maison des Limosin, quatre livres de rente à St-Gérald; leur autre maison, rue BasseManigne, devait cinq sous de rente. En 1527, elle était sous le nom de François Limosin.

(1) Pius est patriæ facta referre labor.

rue

Le registre des reconnaissances de ce même prieuré, au 21 mars 1541, désigne en ces termes la maison de la rue GrandePousse habitée par les deux frères : « Leur maison, qui fut des Simonet (Barthélemy Crispian dit Simonet, hôte, 1480), contigue à celles de Géraud Lagorce dit Peyrou et de Martial Botineaud, et par derrière à leur maison de la grande rue Manigne; au devoir de sept sols six deniers de rente et d'accapt ».

Le nouveau terrier de Fournier, fo 107, décrit ainsi, au 22 mars 1544, la maison des deux frères Limosin rue Manigne : « Maison composée de deux caves, haute et basse, bas de maison (rez-de-chaussée), cuisine basse et porche, chambres à divers étages, degrés (escaliers) et greniers, confrontant à la moitié de maison de Joseph Nouhailler, vendue à sieur Morel (Maurille) Limousin de Neuvic; à celle de Lombardie, balancier, et de Nicolas aîné frères ».

Un acte plus récent, dont je parlerai à sa date, constate la vente de ces maisons par M. Limousin de Neuvic à M. Senemaud, gendre de M. de Razès; M. Senemaud fils les vendit récemment à M. Chastenet, fabricant de flanelles. M. Boyer en est le propriétaire actuel.

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Le terrier rouge du notaire Deschamps, folio 66, fait une autre mention de la reconnaissance de Léonard et Martin Limosin frères, émailleurs, pour leur maison de la rue Basse-Manigne, montant des Pousses à l'Andeix, au 22 mars 1544: « Elle étoit contigue à celles de Martial Betoullas et d'Etienne Dumonteil; maison qui appartint antérieurement et successivement à M. Limousin de Neuvic; à Bernarde Audoin veuve Barelier; à Martiale Rebière, fille de Jean Barelier, teinturier; puis adjugée à Jacques Montgeorge, et, en dernier lieu, aux émailleurs ci-dessus ». Le 19 décembre 1758, elle était la propriété de M. Senemaud, négociant, fondalité de St-Pierredu-Queyroix, à qui elle devait six sous de rente annuelle et perpétuelle. L'acte est signé Deschamps.

Ces maisons, encore réunies, portent le no 6, rue des GrandesPousses, et 11, rue Manigne.

Ces actes prouvent surabondamment que Léonard et son frère Martin habitaient, en mars 1544, ces maisons, et qu'ils y exerçaient leur industrie; il est à croire même qu'ils y étaient nés, car j'ai vu dans des contrats que Simonet vendit la sienne peu après l'an 1480, et qu'elle était dans la famille Limosin en 1510, et bien avant cette époque.

On ne peut savoir que par présomption de quel maître Léonard aurait appris la peinture sur émail, puisque son père tenait

l'auberge de St-Georges, comme l'établit un acte concernant Léonard II et François Limosin. Léonard Penicaud dit Nardou (1), dont on connaît un émail daté de 1503, a pu être son parrain et son maître. Léonard Limosin a imité, dans ses ouvrages, la manière de ce Penicaud, le plus ancien des émailleurs de Limoges connus depuis la Renaissance. Les Courteys, les Raymond, Court dit Vigier, étaient ses contemporains aucun d'eux n'a pu, d'après le rapprochement de leurs âges, lui enseigner l'émaillerie.

Il faut qu'il se fût déjà fait connaître par son habileté, puisqu'on est d'accord qu'il fit en 1528 le voyage de Paris, et qu'il fut admis à l'école de Fontainebleau; il se voua en 4530 à l'émaillerie.

Ses premiers émaux signés sont de 1532; il data presque toujours ses œuvres, sur lesquelles on peut suivre les progrès et la décadence de son talent.

C'est probablement vers cette époque que le roi François Ier accueillit à sa cour notre émailleur, et lui commanda des peintures pour la décoration de son palais. L'abbé Guibert, dans sa Description de Fontainebleau, parle d'émaux faits sur les dessins du Rosso (maître Roux), des médaillons d'Apollon et de Diane, et de quantité d'autres dans les plafonds et les panneaux, qu'on ne peut attribuer qu'à notre Léonard.

C'est ici le lieu de réfuter l'opinion de quelques écrivains sur le vrai nom de notre compatriote.

On a prétendu que son royal bienfaiteur lui avait donné celui de son pays natal pour le distinguer de Léonard de Vinci, peintre italien; mais, outre la juste observation de M. le comte de Laborde, qui rappelle que Léonard de Vinci était mort onze ou douze ans avant que Léonard Limosin eût acquis de la renommée à Paris, les actes que j'ai cités plus haut, dont les originaux sont aux archives de la préfecture et de l'Hôtel-Dieu; les mentions des divers terriers, en donnant le vrai nom de son père, et celui dont lui-même signait ses productions et ses actes, notamment un de 1561, que je rapporterai à cette date, tranchent nettement la question : le nom de la famille de Léonard était bien Limosin, et Limoges en posséda long-temps diverses branches considérées. Ce nom s'altéra comme celui de la province, et finit par se prononcer Limousin.

C'est aux musées du Louvre et de Cluny, dans les collections

(1) Ce Léonard Penicaud qui fit graver les initiales de son nom L. P. en monogramme sur le poinçon adopté par sa famille.

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