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l'arrondissement, sauf les recours au préfet en cas de refus. Ces gardes ne peuvent exercer leurs fonctions qu'après avoir prêté serment devant le tribunal de première instance.

Une explication eût cependant été désirable.

Les gardes jouissent, en effet, de droits considérables, et le caractère officiel dont ils sont revêtus exige qu'ils soient soumis à une discipline sévère et efficace.

Auxiliaires du ministère public dans certaines circonstances, ils peuvent être appelés à remplir les fonctions d'officiers de police judiciaire (C. instr. crim., art. 9); ils peuvent requérir la force publique; ils peuvent dresser, dans l'étendue du territoire de leur mandant, des procès-verbaux qui constatent légalement les délits et les contraventions.

Or, si, comme officiers de police judiciaire, ils sont soumis à la surveillance du procureur de la Républque (ibid., art. 17) et à celle du procureur général (ibid., art. 276), ils échappent à cette surveillance quand ils agissent à un autre titre.

C'est à ce titre seulement qu'ils sont justiciables de la juridiction disciplinaire organisée contre certains magistrats ou fonctionnaires par les articles 280 et suivants du Code d'instruction criminelle.

Vis-à-vis d'eux, une fois qu'ils ont été agréés, l'autorité administrative est complètement désarmée.

II

Par suite, combien d'abus, de tracasseries, de persécutions possibles et réelles, combien de répressions désirables et né

cessaires!

A cet égard, au mois de septembre dernier, un honorable député a, dans un article publié par un journal parisien tracé de main de maître un tableau saisissant de la situation pré

sente.

Il a tout dit et l'a bien dit; je ne puis mieux faire que de le répéter.

« Lors, dit-il, qu'on visite nos provinces du centre, et particulièrement le département du Cher (combien d'autres sont dans le même cas), on remarque que tous les villages sont dominés par un château. Il n'y a pas d'exception. L'église se découvre d'abord, puis, toujours, dans l'endroit le plus élevé, le vaste édifice seigneurial, avec son pare immense, généralement aussi grand que le bourg; enfin, au-dessus, des maisonnettes, pareilles, selon que l'on envisage le tableau du bon ou du mauvais côté, soit à des poussins abrités sous l'aile de la mère, soit à des brebis menacées par la griffe du lion.

<< Autrefois ce château était féodal et représentait bien, en effet, l'implacable domination. Aujourd'hui il est devenu plus bourgeois; il se sépare encore des autres maisons par sa grandeur sa situation, les propriétés qui l'entourent; mais il n'a plus de tours imposantes, ni d'armes farouches. Comme l'habitant, l'habitation a changé d'apparence et d'humeur. C'est toujours l'oppression, mais une oppression qui semble due à la nature même des choses: souveraineté hypocrite de la richesse mise à la place de la force brutale, où les gardes particuliers ont succédé aux archers, comme les jardins anglais aux cours fortifiées.

<< Ainsi le veut la douceur des temps. Mêmes hommes mêmes luttes. Le riche propriétaire hait la République et la liberté ; il se croit des droits supérieurs à ceux des villageois; jadis, c'était parce qu'il était le plus fort, maintenant c'est parce qu'il posséde le plus de terre. La commune, elle, en partie se soumet, en partie se rebelle, toujours comme autrefois. La partie soumise se compose des valets, puis de ceux qui ont peur. Peur de quoi ? me direz-vous. Peur de manquer de travail et de mourir de faim. Car le procédé employé aujourd'hui par l'oppresseur n'est plus l'égorgement; c'est la menace de couper les vivres. Si tu ne votes pas pour mon candidat, tu ne laboureras plus ; si tu fais de la propagande républicaine, tu ne trouveras plus un pré où faire paître ta vache. J'ai en main ton existence, car si je ne tiens pas ta vie, je tiens la terre, sur laquelle et par laquelle seulement tu peux vivre...

L'un des principaux agents de la persécution du petit par le gros est ce garde particulier, exécuteur des vengeances du propriétaire foncier et toujours à l'affût d'un mauvais tour à jouer au paysan.

« En fait de mauvais tours, il en est qui sont incroyables. «< Tout récemment, dans un département limitrophe de celui du Cher, un paysan était traduit en police correctionnelle par un châtelain pour délit de chasse. Le procès-verbal qui servait de base à la poursuite avait été dressé par le garde de ce châtelain; il imputait au prévenu d'avoir tendu des collets et d'y avoir pris un lapin. Or, il fut établi par l'instruction faite à l'audience que le prévenu n'avait pas tendu un seul collet ; quant au lapin, il l'avait bien décroché, mais c'est le garde qui l'avait posé. »

III

Dans le silence des lois spéciales, on s'est demandé si l'on ne trouverait pas dans l'application des principes généraux le moyen de donner à l'autorité administrative les armes que ces

lois lui ont refusées, si le sous-préfet ou le préfet ne pourraient pas retirer l'agrément accordé ou révoquer l'agent agréé.

La question a été discutée pour la première fois en 1879, devant le conseil d'Etat, à la suite d'un recours formé par un garde particulier contre un arrêté du sous-préfet de SaintJean-d'Angély, qui l'avait révoqué. Cet arrêté a été annulé pour excès de pouvoir par un arrêt du 13 juin 1879, rendu contrairement aux conclusions du commissaire du Gouvernement, qui était alors M. Flourens.

Cette jurisprudence a été maintenue l'année suivante, malgré les efforts du ministre de l'interieur, par deux arrêts du 23 janvier 1880, rendus dans des affaires dans lesquelles, au lieu de procéder par voie de révocation, l'autorité administrative avait procédé par voie de retrait de l'arrêt par lequel le garde avait été agréé, et elle a été confirmée par un nouvel arrêt rendu le 12 mai 1882 à la suite d'une révocation.

IV

En présence des abus précédemment signalés, nous estimons que l'état de choses consacré par cette jurisprudence doit être modifié.

A ces fins, nous avons l'honneur de soumettre à l'approbation du Sénat la proposition suivante :

Proposition de loi.

Article unique. Les arrêtés administratifs, agréant les gardes particuliers, peuvent être rapportés. Considérant que s'il appartient à l'Administration, à moins d'exceptions formellement prévues par la loi, de retirer aux agents ou employés nommés par elle le mandat qu'elle leur a confié, elle ne saurait user de cette faculté lorsqu'elle ne lui est réservée par aucune disposition législative, à l'égard des agents qui ne sont pas nommés par elle et qui doivent seulement obtenir son agrément.

char

EXTRAIT DU RAPPORT fait au nom de la commission gée d'examiner la proposition de loi de M. J. Bozérian, relative aux arrêtés administratifs agréant des gardes particuliers, par M. J. Bozérian, sénateur.

Messieurs, avant d'aborder la discussion de la présente proposition de loi, il n'est peut-être pas sans intérêt de rappeler quelques souvenirs historiques.

Au lendemain de la mémorable nuit du 4 août 1789, dans laquelle on entendit sonner l'heure de la destruction des droits féodaux, l'Assemblée nationale supprima, par un décret, le droit exclusif de chasse et de garennes ouvertes, et accorda à tout propriétaire le droit de détruire ou de faire détruire sur ses possessions toute espèce de gibiers, sauf à se conformer aux droits de police.

On ne peut se défendre d'un véritable sentiment d'émotion quand, dans le troisième paragraphe de l'article 3 de ce décret, on voit l'Assemblée donner mandat à son président de demander au roi le rappel des galériens et des bannis pour simple fait de chasse, l'élargissement des prisonniers alors détenus, et l'abolition des procédures existant à cet égard.

Ce sentiment fait place à un autre sentiment, quand, dans le second paragraphe de ce même article, on voit l'assemblée déclarer qu'il serait pourvu, par des moyens compatibles, avec le respect dû aux propriétés et à la liberté, à la conservation des plaisirs du roi.

Il fut pourvu à cette conservation, d'ailleurs bien éphémère, par le décret du 28 avril 1790 dont l'article 16 réserva exclusivement pour Sa Majesté la chasse dont les parcs attenant aux maisons royales de Versailles, Marly, Rambouillet, Saint-Cloud, Saint-Germain, Fontainebleau, Compiègne, Meudon, le bois de Boulogne, Vincennes et Villeneuve-le-Roi.

Quelques mois plus tard, l'Assemblée nationale eut encore à s'occuper de la chasse.

S'il faut en croire le préambule du décret que nous venons de citer, la chasse était devenue une source de désordres menaçants pour la conservation des récoltes; il était urgent d'y mettre un terme.

C'est dans un but de préservation, non du gibier, mais des récoltes, que l'article 1er de ce décret défendit, sous certaines peines, à toutes personnes, en quelque temps et quelque manière

1. Cette commission est composée de MM. Leclerc, président; Regismanset, secrétaire; Léonce de Sal, Gilbert, Gaillard, de Verninac, J. Bozérian, Guindey, Fousset

(Voir les nos 22-63, Sénat, session 1891.)

que ce fût, de chasser sur le terrain d'autrui sans le consentement du propriétaire.

Aux termes des articles 8 et 9, ces peines devaient être prononcées sommairement par les municipalités du lieu du délit, d'après les rapports des gardes-messiers, hangards ou gardes champêtres, qu'à cet effetle conseil général de chaque commune était autorisé à établir.

Ces gardes devaient être reçus et assermentés par la municipalité (art. 9); leurs rapports faisaient foi de leur contenu jusqu'à preuve contraire (art. 10).

Dans ce décret, il n'est pas question des gardes particuliers; cela se comprend, puisque, comme on le voit, c'était l'intérêt général, celui des récoltes, et non l'intérêt privé, celui du gibier, qui préoccupait le législateur.

L'institution des gardes champêtres fut maintenue par le décret du 28 septembre 1791 sur la police rurale.

La section VII de ce décret leur est consacrée.

L'article 1er déclare que « pour assurer les propriétés et conserver les récoltes » il pourra être établi des gardes champêtres dans les municipalités, sous la juridiction des juges de paix, et sous la surveillance des officiers municipaux.

Ces gardes devaient être nommés par le conseil général de la commune et pouvaient être changés ou destitués dans la même forme.

Cette situation fut modifiée par le décret du 20 messidor an III, qui rendit obligatoire l'établissement des gardes champêtres dans toutes les communes rurales (art. 1er).

D'après l'article 2, ces gardes ne purent être choisis que parmi les citoyens dont la probité, le zèle et le patriotisme étaient généralement reconnus.

Ils devaient être nommés par l'administration du district, sur la présentation des conseils généraux des communes.

C'est ce décret, dont l'article 4 accorda pour la première fois à tout propriétaire le droit d'avoir pour ses domaines un garde qualifié de garde champêtre, comme le garde communal; ce garde devait être agréé par le conseil général de la commune et confirmé par l'administration du district.

La loi du 3 brumaire an IV, dite Code des délits et des peines, reproduisit cette disposition dans son article 40, et obligea les propriétaires à agréer leurs gardes par les administrations municipales. Enfin la loi du 28 pluviôse an VIII (art. 9) conféra aux sous-préfets l'attribution conférée antérieurement à ces administrations. Dans les arrondissements des chefs-lieux de préfecture, cette attribution fut confiée aux préfets. Tel est l'état actuel.

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