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décider les questions d'intérêt privé qui peuvent s'élever entre le constructeur et les propriétaires voisins, ni pour attribuer au constructeur des droits sur la chose d'autrui, ce qui serait une expropriation indirecte pour cause d'utilité privée, que nos lois n'admettent pas ;

« L'acte d'autorisation n'ordonne pas non plus qu'une fabrique sera construite, il le permet, il lève une prohibitation faite dans l'intérêt de la sûreté et de la salubrité publiques; mais il ne préjuge rien quant aux intérêts privés, il ne statue, en un mot, que sous la réserve des droits des tiers;

« Attendu qu'il suit de là, 1o que le particulier qui se prétend lésé dans son droit de propriété par l'établissement de l'usine peut en demander la suppression, malgré l'acte administratif qui l'autorise, et que sa demande ne peut être repoussée sous le prétexte qu'il y aurait chose jugée à leur égard ; 2° que la demande en suppression ne doit pas être portée devant l'autorité administrative, qui a épuisé sa juridiction en décidant la question d'intérêt général, mais bien devant les tribunaux ordinaires, seuls compétents pour décider les contestations d'intérêt privé; qu'enfin le jugement qui accueille cette demande n'annulle pas pour cela l'antorisation donnée par le gouvernement, et la laisse au contraire subsister telle qu'elle est; seulement l'effet en est suspendu jusqu'à ce qu'il ait été donné satisfaction au voisin,dont la demande a été reconnue fondée ;

Attendu que ces principes, qui laissent à l'autorité administrative et au pouvoir judiciaire une parfaite indépendance dans la sphère d'action qui leur est attribuée et qui ne sont que la conséquence de la séparation des pouvoirs établis par notre Constitution, se trouvent en outre consacrés par l'art. 2 de l'arrêté royal du 31 janv. 1824, qui contient sur la matière un système complet de législation; cet article déclare, en effet, que, comme on ne peut considérer les dispositons à prendre sur cet objet que sous le point de vue d'une bonne police, et comme, partant,on ne peut regarder toute autorisation d'établir ou de changer des usines que comme accordée de ce chef, elles ne préjudicieront en rien aux actions judiciaires que des particuliers voudraient intenter pour soutenir leurs prétentions à un droit particulier, fondées sur des contrats, sur la possession ou sur d'autres titres semblables, le prononcé du juge demeurant à cet égard libre et aucunement entravé;

<< Attendu qu'il est impossible d'exprimer d'une manière plus claire et plus formelle PASIC., 1851. 1 PARTIE.

que la décision de l'autorité administrative ne modifie en aucune manière les droits des tiers; qu'elle n'est qu'une simple permission accordée sous le rapport de la police, et que c'est devant les tribunaux ordinaires que doit être portée toute contestation sur des droits particuliers, que des tiers peuvent faire valoir à l'encontre de l'existence de l'ùsine;

<< Attendu que la compétence du pouvoir judiciaire n'est pas moins constante, lorsque la demande de suppression d'une usine est fondée sur le non-accomplissement des conditions de l'acte d'autorisation, alors surtout que ces conditions avaient pour objet des mesures jugées nécessaires à l'effet de garantir de tout dommage les propriétés voisines, puisque, encore une fois, c'est une contesta tion d'intérêt privé entre particuliers, dans laquelle l'administration n'a pas à s'ingérer. Dans ce cas, d'ailleurs, ce n'est pas l'acte d'autorisation qui est la cause du dommage: il n'y a donc pas lieu de recourir à l'autorité administrrtive pour en obtenir le redressement. Le fait dommageable, c'est l'inexécution des mesures ordonnées, c'est l'inaccomplissement des conditions imposées au concessionnaire par cette autorité, stipulant dans l'intérêt de la généralité des habitants; l'auteur du fait, c'est donc le concessionnaire lui-même ; lui seul est responsable, et la voie judiciaire est la seule que l'on puisse suivre contre lui; en accueillant une semblable demande, le tribunal n'entrave donc pas l'exercice du pouvoir administratif, il n'annulle pas un acte de ce pouvoir; son intervention tend plutôt à le faire exécuter, puisque l'usinier peut toujours échapper à la demande en suppression, en exécutant les mesures ordonnées; un acte d'ailleurs devenu caduc par cela même que les conditions de l'octroi n'ont pas été exécutées, et dès lors le pouvoir judiciaire a le droit de juger comme si l'octroi n'avait jamais existé ;

«Par ces motifs, le tribunal, après avoir entendu M. Keppenne, subst. du procureur du Roi, dans ses conclusions contraires, déclare la société défenderesse mal fondée dans son exception d'incompétence, et la condamne aux dépens de l'incident; ordonne aux parties de plaider plus amplement au fond, etc. »

La société de la Vieille-Montagne interjeta appel de ce jugement, et, devant la Cour d'appel de Liége, elle conclut à ce qu'il plût à la Cour réformer le jugement dont était appel; émendant, déclarer que les tribunaux étaient incompétents pour statuer sur le débat, renvoyer la société appelante de l'action qui lui était intentée par l'intimé.

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Ces conclusions étaient fondées sur ce que l'incompétence des tribunaux résulte formellement du décret impérial du 15 octobre 1810, art. 11, décret qui n'a pas été abrogé.

Le défendeur soutenait que ces conclusions portaient non-seulement sur l'exception d'incompétence, mais encore sur le fond. Quant au demandeur, il se bornait à conclure à cet égard à ce qu'il plût à la Cour mettre l'appellation au néant, etc.

Le 24 mai 1849, la Cour d'appel de Liége rendit l'arrêt suivant :

Dans le droit, la société de la VieilleMontagne est-elle fondée dans son exception d'incompétence?

« Considérant que l'action a pour objet de faire interdire la fonderie de zinc de la société appelante, et que cette action est motivée sur le dommage causé à la propriété de l'intimé par les émanations des fours à réduction de l'établissement;

« Considérant que l'érection de l'usine dont il s'agit a été autorisée par arrêté royal du 25 janv. 1838; qu'au point de vue de l'intérêt général la loi du 21 avril 1810 met sur la même ligne que l'exploitation des mines les fourneaux à fondre les minerais, et défère au gouvernement le droit d'accorder les permissions pour ceux-ci, comme les concessions pour l'exploitation par des règlements d'administration publique;

« Considérant que l'intimé n'a pas demandé à prouver que la société de la VieilleMontagne n'aurait pas rempli les conditions de son octroi; que l'expertise qu'il sollicite ne servirait qu'à démontrer l'insuffisance des mesures ordonnées par l'administration; que s'il en est ainsi, comme cela paraît certain, l'intimé doit se pourvoir auprès du gouver`nement, qui s'est réservé par l'arrêté précité de prescrire au besoin d'autres mesures, et même de retirer la permission; mais que l'autorité judiciaire est sans compétence à cet égard, et ne saurait faire droit à la demande sans détruire un titre assimilé par la loi à un acte de concession, et conféré dans l'intérêt public par le pouvoir compétent;

« Considérant que l'intimé n'a pas reproduit en instance d'appel sa demande en cessation des travaux concernant les fours projetés par la société appelante, et qu'au surplus il n'a point un intérêt né et actuel qui puisse motiver cette demande ;

«Par ces motifs, la Cour, statuant sur les conclusions des parties, sans s'arrêter à la demande subsidiaire d'expertise, met l'appellation et le jugement dont est appel au

néant; émendant, déclare que les tribunaux ne sont pas compétents pour statuer sur la demande en suppression de la fonderie de zinc dont il s'agit; déclare pour autant que de besoin non recevable, quant à présent, la demande en cessation des travaux des fours projetés par la société appelante; condamne l'intimé aux dépens des deux instances; or-. donne la restitution de l'amende. »

Pourvoi en cassation par Osy, qui le fonde sur trois moyens.

1er Moyen : Violation des art. 11, 92 et 107 de la Constitution, de l'art. 10 de l'arrêté du 31 janvier 1824, des art. 537, 544, 545, 639, 1143, 1184, 1370 et 1385 du C. civ.; violation et fausse interprétation des art. 73 inclus 80 de la loi du 21 avril 1810, sur les mines, et de l'arrêté royal du 25 janv. 1838.

Le demandeur commence par établir que le voisinage crée un quasi-contrat qui oblige chacun des voisins à user de sa propriété de manière à ne pas nuire à celle de l'autre, et que s'il a contrevenu à cet engagement tacite, il est dû une réparation qui peut aller au point de faire interdire au voisin l'usage dommageable qu'il fait de sa chose (art. 537, 544, 1143, 1370 et 1382 du C. civ.; Pothier, 2° appendice au Tr. du contrat de société, no 225, 241 et 239; Toullier, t. 11, no 145; Pardessus, Tr. des servitudes, no 201).

Il cite encore plusieurs arrêts de la Cour de cassation et des Cours royales de France, qui l'ont ainsi décidé.

Ces principes, dit-il, sont également applicables, lorsqu'il s'agit d'un établissement soumis à la nécessité d'une autorisation administrative non-seulement les tribunaux sont compétents pour allouer une indemnité pécunière au voisin qui éprouve un préjudice par suite de l'exploitation d'un établissement industriel autorisé, mais ils sont également compétents pour interdire cette exploitation dans un intérêt privé, s'il n'est pas possible de remédier au dommage permanent qu'elle occasionne.

Le motif en est que l'administration, tout en se préoccupant des intérêts privés qui pourraient se trouver lésés par l'établissement d'une usine, ne fait cependant autre chose, en autorisant l'établissement, que lever l'obstacle qui s'y opposait, et statuer sur une question de police et d'intérêt général, la seule qui soit de sa compétence.

Le demandeur cite à cet égard le Répertoire administratif de M. Tielemans, vo Fabriques, p. 225 et 228.

Il résulte de là que l'autorisation ne porte aucune atteinte aux droits des tiers, et c'est aussi ce que statue l'art. 10 de l'arrêté du 31 janvier, qui porte textuellement que l'autorisation d'établir ou de changer des usines ne pent être considérée que comme étant accordée sous le point de vue d'une bonne police, sans préjudicier aux actions judiciaires que les particuliers voudraient intenter pour soutenir leurs prétentions à un droit particulier fondé sur des contrats, sur la possession ou d'autres titres.

A la vérité l'art. 15 de cet arrêté renvoie à la loi du 21 avril 1810 pour les établissements qui ont pour objet de mettre en œuvre des minerais, mais ce n'a point été pour soustraire ces usines à l'application des règles que l'arrêté lui-même a établies, c'est uniquement pour conserver les autres mesures de police que la loi sur les mines avait édictées; aussi l'arrêté d'autorisation du 25 janvier 1838, dont la société défenderesse se prévaut, vise-t-il l'arrêté du 31 janvier 1824, dont il fait application dans son préambule, et porte-t-il que l'autorisation d'établir une usine n'est donnée que sous le point de vue d'une bonne police, et sans préjudice aux droits et actions des tiers en réparation du dommage qui serait causé ultérieurement à leur propriété.

C'est une erreur de croire, dit le demandeur, que les permissions dont il est parlé dans la loi sur les mines soient d'une autre nature que les permissions exigées par le décret du 15 oct. 1810, et par l'arrêté royal de 1824 pour la formation des établissements industriels en général.

D'après le décret de 1810, un règlement d'administration, c'est-à-dire un décret délibéré en conseil d'État, était requis pour ces derniers comme pour les établissements dont s'occupe la loi sur les mines.

L'arrêté du 31 janvier 1824 exige l'autorisation du chef de l'État pour les établissements dont s'occupe son art. 1".

Si la loi sur les mines détermine dans son art. 74 les formalités à remplir, soit pour porter les demandes en permission à la connaissance des tiers, soit pour mettre le gouvernement à même de statuer, on trouve des formalités analogues dans les art. 3, 4 et 5 du décret de 1810 et dans les art. 4 et 12 de l'arrêté de 1824.

Si, d'après l'art. 76 de la loi sur les mines, les permissions ont une durée indéfinie, à moins qu'elles n'en contiennent la limitation, il n'est pas douteux que ce caractère de per

pétuité ne soit commun aux autorisations exigées par le décret de 1810 et l'arrêté de 1824.

La loi sur les mines charge le ministère public de poursuivre la révocation de la permission en cas de contravention; mais l'article 7 de l'arrêté de 1824 renferme des dispositions analogues, et en France on applique les mêmes règles aux autorisations données en vertu du décret de 1810.

Enfin le législateur n'a pas eu, dans la loi sur les mines, un autre but que celui qui a dicté les dispositions du décret de 1810 et de l'arrêté de 1824; ce sont toujours et uniquement des mesures de police qu'il a voulu prescrire.

La Cour de Liége assimile à tort à la concession d'une usine une permission donnée pour l'établissement d'une fonderie de minerais la concession exproprie le propriétaire du sol, elle est toujours perpétuelle et irrévocable, la permission d'établir des fourneaux ne peut jamais être donnée sur le terrain d'autrui, elle peut n'être accordée qu'à temps, et elle peut être révoquée dans certains cas.

Si, comme le dit encore la Cour de Liége, les permissions sont accordées dans l'intérêt public, parce que l'exploitation des substances métalliques intéresse le commerce et la prospérité du pays, il faut en dire autant de tous les autres établissements industriels. La vérité est que, dans tous les cas, il faut respecter à la fois l'ordre public et les droits des tiers, et que l'autorité administrative n'a à se prononcer que sur ce qui concerne l'ordre public.

Vainement enfin la Cour de Liége dit-elle qu'on ne pourrait faire droit à une demande de l'espèce sans détruire un acte posé par l'autorité administrative dans les limites de sa compétence; c'est une erreur, puisque la permission n'est accordée que sous la réserve des droits des tiers, qui demeurent sous la protection des tribunaux, seulement ceux-ci ne pourraient apprécier le mérite de l'acte administratif sous le rapport de la police et de l'intérêt général.

La Cour de Liége a donc contrevenu à l'article 92 de la Constitution, qui attribue exclusivement aux tribunaux les contestations sur des droits civils. Elle a faussé le caractère de l'autorisation donnée à la demanderesse, elle a méconnu le vœu de l'art. 10 de l'arrêté de 1824, et si la permission dont s'agit avait eu la portée que l'arrêt attaqué lui attribue, l'art. 107 de la Constitution fai

sait à la Cour un devoir de n'y avoir aucun égard.

L'arrêt attaqué enlève à la propriété foncière les garanties consacrées par les art.537, 544, 1143, 1370 et 1382 du C. civ. Il grève la propriété foncière d'une sorte de servitude en faveur de l'industrie, contrairement à l'art. 639 du C. civ. Enfin il consacre une expropriation pour cause d'utilité privée, contrairement aux art. 545 du C. civ. et 11 de la Constitution.

2. Moyen-Violation des textes invoqués à l'appui du premier moyen; violation des art. 157, 343, 451, 452, 470, 475 du C. de pr. civ.; violation du décret du 1er mai 1790.

Aux termes de l'arrêté d'autorisation du 25 janv. 1838, la société demanderesse devait établir ses fourneaux de réduction de la calamine dans la partie centrale de l'usine au milieu des bâtiments élevés et spacieux, dont l'intérieur devait être suffisamment garanti de l'action du vent pour y retenir et condenser les émanations de ces fours.

Le demandeur avait soutenu que la société de la Vieille-Montagne n'avait point obéi à cette prescription, et dès lors les tribunaux ne pouvaient se déclarer incompétents pour connaître d'une demande en démolition d'une usine fondée sur ce que le fabricant a manqué aux conditions de son octroi.

Il est vrai que l'arrêt attaqué porte dans un de ses considérants que l'intimé n'a pas demandé à prouver que la société de la VieilleMontagne n'aurait pas rempli les conditions de son octroi, que l'expertise qu'elle sollicite ne servirait qu'à démontrer l'insuffisance des mesures ordonnées par l'administration. Mais si par là la Cour a entendu reconnaître la compétence des tribunaux sous ce rapport, et déclarer la demande non fondée, elle a violé les textes cités plus haut.

En effet, dans cette hypothèse, elle devait confirmer à cet égard le jugement dont appel qui avait ordonné aux parties de plaider au fond, et elle devait renvoyer la cause devant le premier degré de juridiction. Au lieu de cela elle évoque le fond, tandis que, d'une part, le jugement, en tant qu'il ne contenait qu'un simple préparatoire, en tant qu'il ordonnait de plaider au fond, la compétence du tribunal admise n'était pas susceptible d'appel (art. 451 et 452 du C. de pr. civ.), et tandis que, d'autre part, toute demande doit parcourir deux degrés de juridiction (décret du 1er mai 1790), et qu'aux termes de l'art.473 du C. de pr., les Cours d'appel ne peuvent

évoquer que dans le cas où elles infirment le jugement.

M. Osy n'avait pas même conclu au fond, la Cour ne pouvait donc statuer contradic-. toirement au fond sans méconnaître le vœu des art. 343, 157 et 470 du C. de pr. civ.

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3o Moyen: Violation des art. 157, 343, 451, 452, 470 et 473 du C. de pr. civ.; violation du décret du 1er mai 1790; violation des art. 544, 1143, 1370 et 1382 du C. civ.

Le demandeur avait conclu en première instance à ce qu'en tout cas il fût fait défense la société de la Vieille-Montagne de donner. suite à la construction des nouveaux fours qu'elle élevait dans l'intérieur de l'usine, sans avoir au préalable l'autorisation voulue. La Cour considère que M. Osy n'a pas reproduit cette demande en instance d'appel, et qu'il n'a point un intérêt né et actuel qui puisse la motiver. Comme le 1o juge s'était borné à rejeter l'exception d'incompétence et à ordonner aux parties de plaider au fond, il ne pouvait être question de soumettre à la Cour un objet de demande dont le 1er juge était resté saisi. La Cour n'avait pas le droit d'évoquer le fond ni de statuer contradictoirement sur ce point du débat.Ici se représente donc l'excès de pouvoir signalé dans le second moyen.

De plus, le demandeur avait incontestablement action pour demander l'interdiction des nouveaux fours, parce qu'il est de jurisprudence qu'en matière de nouvel établissement il suffit de pouvoir alléguer un préjudice prochain (arrêt de cassation de France des 2 oct. 1829 et 14 août 1832). La Cour a donc violé, sous ce rapport, les garanties dont la loi a entouré l'exercice du droit de propriété.

Réponse de la société défenderesse au premier moyen. La défenderesse soutient que le régime du droit commun n'est pas applicable en cette matière, parce qu'il produirait des résultats funestes, en détruisant la sécurité des établissements industriels.

On ne peut admettre que ces établissements restent constamment exposés à des demandes de suppression qui se renouvelleraient sans cesse, parce que les tribunaux ne peuvent statuer par voie réglementaire. A la vérité on ne peut sacrifier à l'industrie les droits qu'elle aurait contrariés, mais une transaction était indispensable entre des intérêts rivaux et opposés. D'après notre législation, pour autoriser la création d'une usine insalubre ou incommode, il faut apprécier les intérêts divers, rechercher si les inconvénients auxquels elle donnera lieu sont con

sidérables, s'ils ne sont pas compensés par certains avantages, et si en définitive l'intérêt général n'exige pas que l'usine soit érigée. Ces questions ne peuvent être soumises qu'à l'autorité administrative, parce qu'elles doivent être décidées d'une manière définitive à l'égard de tous, ainsi l'exige l'intérêt de l'industrie, et parce que cette autorité veille à tout ce qui concerne l'intérêt public.

La compétence de l'autorité administralive en cette matière est reconnue par la loi du 22 janvier 1790, le décret-loi du 15 oct. 1810, l'arrêté du 31 janvier 1824, et spécialement pour les fonderies de minerais par la loi du 21 avril 1810. Lorsque l'autorité administrative a prononcé, l'usine autorisée par elle acquiert une existence légale; chacun doit respecter l'usage auquel elle est destinée, et l'autorisation ne peut plus être révoquée, même par le gouvernement, à moins qu'il ne s'en soit réservé le droit ou que l'établissement ne sorte des limites qui lui ont été assignées. On ne peut donc reconnaître aux tribunaux le droit d'ordonner la suppression de l'usine sur la plainte des particuliers lésés, sans détruire la séparation et l'indépendance des pouvoirs. Aussi le décret du 15 oct. 1810 porte-t-il dans son art. 20 que c'est le gouvernement qui statue sur la suppression de l'usine en cas d'inconvénients graves pour la culture, et cette disposition est encore en vigueur, puisque l'arrêté du 31 janv. 1824, qui n'en renferme et ne pouvait en renfermer l'abrogation, maintient, dans son art. 14, toutes les dispositions du décret de 1810, qui ne lui sont pas contraires. Ces principes acquièrent plus de force encore en ce qui concerne les fonderies de minerais, si l'on consulte la loi du 21 août 1810, à laquelle renvoie l'article 15 de l'arrêté de 1824. Les usines à fondre et à élaborer les minerais sont en rapport direct et immédiat avec l'exploitation des mines dont elles forment en quelque sorte le complément indispensable, car à quoi servirait l'extraction des matières s'il n'était pas permis de les travailler pour les livrer au commerce et à l'industrie. Aussi la même loi règle-t-elle l'exploitation des mines et celle des usines pour la fonte des minerais les concessions pour les unes et les permissions pour les autres sont placées sur la même ligne dans les dispositions de cette loi (art. 5, 6, 73 et 74 de la loi de 1810), et cette similitude a été signalée dans les discussions de la loi. On ne peut donc pas plus demander la suppression d'une usine autorisée sous prétexte du préjudice qu'elle occasionne, qu'on ne peut demander celle d'une mine concédée. Aussi Stanislas Dujar

din disait-il que les usines ainsi établies avec l'autorisation du gouvernement sont placées sous sa protection spéciale, ce qui exclut nécessairement la compétence des tribunaux. La demanderesse ajoute que, sous la loi du 16-28 juillet 1791, il fallait un acte du corps législatif pour autoriser l'établissement d'une usine pour fondre le minerai : il est certain que, sous ce régime, les tribunaux n'auraient pu frapper d'interdiction un établissement de ce genre, puisqu'ils ne peuvent suspendre ou anéantir les effets d'une loi. Or si l'autorité appelée à donner les permissions a changé, le caractère de ces permissions est resté le même, elles confèrent toujours les mêmes droits. C'est en effet une erreur de prétendre que la permission n'est qu'une simple mesure de police; pourquoi faudrait-il, dans la procédure administrative sur la demande en autorisation, faire appel à tous les intérêts, et provoquer toutes les oppositions, et ne pas se borner à consulter les autorités locales, si la permission ne constituait pas un titre qui assure l'existence légale de l'usine à l'égard de tous? Le système du demandeur est contraire à l'esprit dont le législateur était animé lorsqu'il introduisait la nécessité d'une autorisation, esprit dont on retrouve la trace dans le préambule de l'arrêté de 1824, qui nous apprend que, par ces dispositions nouvelles, on a voulu prévenir toute incertitude pour les fabricants. Sans doute l'autorisation réserve les droits des tiers; mais quels droits? Ce ne peut être le droit de demander la suppression de l'usine sur l'existence de laquelle il a été définitivement prononcée par l'autorité administrative. Ce ne peut être que les droits que n'éteint pas virtuellement l'arrêté d'autorisation ou plutôt la loi, conformément à laquelle l'arrêté est rendu, c'est-à-dire, une simple action en dommages-intérêts ou réparation pécuniaire. C'est ce que prouve encore l'art. 11 du décret du 10 oct. 1810, qui porte que les établissements antérieurement existants continueront à être exploités librement, sauf les dommages dont pourront être passibles les entrepreneurs de ceux qui préjudicieraient aux propriétés de leurs voisins, dommages qui seront arbitrés par les tribunaux.

Aucun des arrêts cités par le demandeur n'attribue aux tiers le droit de demander aux tribunaux la suppression de l'établissement; sans doute encore lorsqu'il existe entre les parties un contrat qui prohibe l'établissement d'une usine sur cette propriété, on pourra se pourvoir devant les tribunaux pour maintenir les effets du contrat: en effet l'autorisation serait alors contraire à la loi (arti

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