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toute la Nation de la libre circulation defdits grains dans le Royaume. Je ne faurois donc mieux faire que de le rapporter. J'y joindrai quelques obfervations qui renfermeront ce qui me reste à dire fur ce fujet.

ESSAI

SUR LA POLICE GÉNÉRALE

DES GRAINS.

Segetes, alimentaque debita dives

Pofcebatur humus .

Ovid. Met. L. I.

Es fruits de la terre font les richeffes les

Lplus réelles des Nations. Tout ce que

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l'art

fait ajouter à la nature ne produit que des richeffes de convention, fujettes à la viciffi tude des temps, & aux caprices des ufages. L'agriculture feule ne peut éprouver ces révolutions; c'eft toujours de la culture des terres ; c'eft de cette fource féconde que coulent tous les biens dont nous jouiffons, & elle ne peut s'altérer fans caufer des dérangemens dans toutes les parties du Gouvernement,

Depuis que les arts & les fciences ont élevé la France au degré de fplendeur où elle eft parvenue; depuis qu'un commerce plus étendu a répandu chez nous une aifance que nous ne connoiffions point, il paroît que nous fommes plus appliqués aux productions de

nous

l'art qu'à celles de la nature. Cette richesle primitive aux mains les plus viles, femble n'intéreffer l'Etat que dans les temps difficiles. L'abondance ramene bientôt la fécurité : nous remédions aux befoins preffans; nous fongeons rarement à les prévenir.

Si la France eft auffi abondante qu'il y a lieu de le croire; fi fes terres fécondes produifent plus de fruits que n'en demande la fubfiftance de fes habitans, pourquoi fommesnous quelquefois dans la néceffité d'aller chercher chez nos voisins cette denrée fi précieuse & fi néceffaire? N'y a-t-il pas lieu d'être furpris que les Etats qui produifent le moins de grains, foient ceux qui nous en fourniffent le plus? Dans les temps de difette, la Hollande, peu fertile, fert de grenier à la France feptentrionale. La Barbarie, cet Etat fi mal po licé, vient au fecours de nos contrées méri dionales; cependant dans ce pays il n'y a point de loix particulieres pour la police des grains; & la France en a de permanentes & de momentanées, fuivant les occurrences. Cette réflexion feule peut faire penfer qu'il y a quelques vices, dans les Réglemens, fur lefquels nous fondons l'administration & le commerce de nos grains.

En vain nos lois font-elles dictées Par la prudence, & confacrées par l'ufage. Si nous fommes plus expofés aux inconvéniens de la difette que les Etats moins fertiles, on ne fauroit s'empêcher de croire que ces loix fi fages en apparence, font cependant défectueufes, & qu'elles ne favorifent point affez, ou la culture de nos terres, ou le commerce des grains. Avant d'en examiner les difpofitions, il eft à propos de remonter à leur origine.

PREMIERE OBSERVATION.

Les premieres & véritables richeffes d'un Etat font les terres, ou plutôt les fruits qu'elles produifent. Tontes les autres richeffes font fictives & ne tirent leur valeur que de l'ufage qu'on en fait, ou de notre imaginations. Quelques-unes n'ont d'autre prix que celui que le caprice leur donne; & les autres ne confiftent que dans la préparation des productions de la terre & des animaux qu'elle nourrit, relativement aux alimens & aux vêtemens de l'homme : ces fecondes richeffes dépendent des premieres, & ne font que le fruit de l'induftrie de l'homme. Que deviendroient nos manufactures & nos fabriques, fi la culture de la terre étoit négligée ? Nos manufactures royales de drap ne font établies que pour donner une certaine préparation à nos laines: il faut donc avoir des troupeaux pour ne pas manquer de matieres premieres, fans lef quelles lefdites manufactures rentreroient dans le néant. Les laines font donc les richeffes foncieres & princi

pales, & les manufactures ne font que des richeffes fecondaires & dépendantes de nos troupeaux: mais ces troupeaux d'où viennent-ils ? N'eft-ce pas la terre qui les nourrit ? Si donc la terre nourrit les troupeaux, elle est la caufe de la laine; & elle mérite véritablement le nom de richeffe, d'où toutes les autres dérivent: la plupart ne font que de convenance, & leug valeur n'eft, pour ainfi dire, que momentée. Les richeffes de la terre font de néceffité, & d'une abfolue néceffité; ce font les alimens néceffaires à l'homme, & ces alimens fe renouvellent chaque année. par la vertu de fécondité que la bénédiction de Dieu a communiquée à la terre. Mon verger me donne des fruits pour me nourrir & me défaltérer, & par la culture & quelques petits foins, la récolte en fera abondante; ma vue eft contentée, & mes befoins font fatisfaits. Mon verger eft donc une véritable richesse puifque par lui-même & indépendamment d'aucune convention il fournit à fon poffeffeur, quel qu'il foit, les fruits que chaque arbre doit porter fuivant fon efpece. Il n'en eft pas de

même des autres richeffes fecondaires ; elles diminuent plutôt qu'elles n'augmentent en valeur. La bague que je porte au doigt, ne me procure point d'autre avantage que le plaifir que je trouve à la porter; elle ne peut fatiffaire à aucun de mes befoins; & fi je fuis preffé de la faim, & que je n'aie que cette richeffe pour acheter les vivres qui me font néceffaires; fi ceux à qui je la propofe ne l'eftiment pas autant que je fais, ou ils n'en voudront pas, ou ils ne m'en donneront que le quart de la valeur que je lui fuppofois. Ce n'eft donc pas une richeffe qui puiffe être comparée à celle de mon verger, il n'eft donc pas raifonnable de préférer l'art de faire des bagues à l'art de cultiver la terre, puifque la culture de la terre donne des richeffes bien plus utiles que n'eft la bague. Il eft facile de faire l'application de cette comparaifon à toutes les autres profeffions: cependant, comme c'est le génie & les talens qui captivent notre admiration, nous aurions tort de ne pas eftimer un ouvrier, qui, par la hardieffe de fon pinceau & la délicateffe de fon ciseau, semble animer

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