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abandonner les loix de la juftice, que ceux qui ne travaillent que pour la fociété, & dont les travaux font non-feulement utiles, mais encore d'une abfolue néceffité, foient confidérés relativement au fervice qu'ils rendent; & que leur fueur foit récompenfée par quelques petits avantages. Cependant comment en ufons-nous avec les gens de la campagne? Il nous femble que c'eft une autre espece d'hommes, par le mépris dont nous les accablons; nous pâliffons au feul mot de difette ou de famine & celui d'abondance porte la joie dans nos cœurs. Pourquoi donc rougiffonsnous de careffer les mains qui affurent notre tranquillité? Avouons-le, nous fommes bien injuftes & bien inconféquens, & fuivant les apparences nous ne nous corrigerons pas de long-temps, tant la dépravation du luxe nous a pervertis. Il y a de l'injuftice & de l'ingratitude dans le jugement que nous portons des Cultivateuts de la terre; il y a bien plus: nous les opprimons volontairement & de propos délibéré & notre humanité ne s'afflige point de l'efpece de cruauté que nous exerçons à leur égard: ces termes paroîtront

forts & hafardés. Oui, ils font forts, mais non pas déplacés ; & je souhaiterois bien volontiers que la vérité me permît de les fupprimer. Je foutiens que l'oppreffion eft manifefte, dès que nous exigeons des Cultivateurs de la terre un travail pénible & continuel, & que nous faifons les plus grands efforts pour les priver de là fubfiftance la plus commune pour l'entretien de leur vie. En effet, que faifons-nous? Nous voulons que le Laboureur partage avec nous la récompenfe de fa fueur & de fa vigilance; nous nous imaginons même que nous avons droit à le forcer de nous céder le fruit de fes récoltes à un vil prix, tandis que nous voulons qu'il achete chérement jufqu'aux inftrumens dont l'agriculture ne peut pas fe paffer; nous ne difons pas: Nous voulons que les gens de la campagne meurent de faim. Non, nous ne le difons pas; mais nous les contraignons à mener une vie languiffante & à périr de mifere, & nous nous applaudiffons de les avoir réduits dans un fi pitoyable état. Il ne faut pas de longs raifonnemens pour mettre cette vérité dans tout fon jour. N'est-il pas vrai

que tout travail mérite un falaire? N'eft-il pas vrai que le moindre des falaires eft la fubfiftance de celui qui travaille? Or fi le Laboureur, en travaillant, ne peut fe procurer la fubfiftance abfolument néceffaire, il fera plus malheureux que les Efclaves, qui trouvent dans la protection des loix l'obligation impofée aux maîtres de

les nourrir & de les entretenir. Si donc le Laboureur manque d'alimens & de vêtemens les plus communs, il menera certainement une vie miférable, c'est un fait. Il ne faut qu'avoir des yeux pour voir que le Laboureur eft dans l'impoffibilité de fe procurer les chofes même les plus communes pour l'entretien de la vie, tant que le bled & les autres denrées qu'il recueille ne feront pas dans la valeur proportionnée aux autres marchandises dont il a befoin. La raifon en eft évidente il donne plus pour avoir moins; il fe ruine, & l'agriculture périra avec lui. Par Laboureur, je n'entends pas le mercenaire feulement; j'y comprends le propriétaire de terres; car le premier eft moins à plaindre que le dernier. Le premier n'a droit de jouir

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que de fon travail; & s'il n'eft pas content dans un lieu, il peut paffer dans un autre; au lieu que le dernier eft attaché où fe trouve fon héritage; il le cultive; mais en le cultivant, il doit en retirer un fruit proportionné à fon étendue & à fa valeur. La fociété eft même intéreffée que tout poffédantbien jouiffe paifiblement, non-feulement de la portion de terre que les loix lui affurent, mais encore qu'il y trouve les moyens de fa fubfistance proportionnée à fon état, relativement à la valeur des autres biens de la fociété. Les biens fonds font la véritable richeffe de toute fociété ; c'eft la feule réelle, & qui ne lui manquera jamais. Les autres richeffes font fictives, & ne produifent qu'en vertu de certaines conventions; au lieu que les terres donnent par elles-mêmes toutes les années des récoltes qui fervent à la nourriture, au vêtement & à l'ornement de l'habitation de l'homme; d'où il fuit qu'elles font la feule richeffe néceffaire a l'homme. L'homme a donc grand tort de préférer des biens imaginaires à celui de l'agriculture, puifque fans ele, tous les autres biens ne feroient

d'aucune valeur. Ce principe pofé, je demande pourquoi on a augmenté fi confidérablement, depuis environ deux cents ans la valeur de toutes les chofes dont le Laboureur a befoin pour les néceffités & pour les commodités de la vie, & que le produit de fes récoltes n'a pas augmenté dans la même proportion? Il y a deux fiecles qu'une paire de fouliers coûtoit cinq fols, la mesure de bled valoit deux livres. Cette même mefure de bled, de la même qualité, ne vaut aujourd'hui qu'environ douze livres, & la paire de fouliers coûte au moins quatre livres. C'est cette différence qui ruine le Cultivateur des terres; fait languir notre agriculture, & fera un obftacle invincible à fon rétabliffement. Il eft facile de s'en convaincre, en calculant quelle eft la recette & la dépenfe du Cultivateur.

Je fuppofe que les terres qu'il poffede produifent so mefures de bled, & je raifonne ainfi. Il y a deux cents ans que ces so mefures de bled valoient 100 1. ci ..

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100 1.

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80 1.

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