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Gouvernement donnera à la vente de nos denrées fur les étrangeres, pour la confommation qui s'en doit faire dans le Royaume. Or voici comme je raifonne. Si nos récoltes font abon dantes, nous avons beaucoup plus qu'il ne nous faut, & les Cultivateurs feront ruinés par l'arrivée des mêmes denrées de l'étranger en franchife des droits d'entrée dans le Royaume. Que ferons-nous de notre fuperflu, & comment trouverons-nous de quoi payer les charges, & de quoi fournir aux frais d'une nouvelle exploitation? I n'y a au contraire que la libre expor tation de ce fuperflu qui puiffe maintenir la valeur de nos grains à un prix proportionné aux dépenfes que la culture exige. Bien loin donc de permet tre dans de pareilles circonftances l'importation du bled étranger dans le Royaume, fous le prétexte d'une plus grande abondance, qui nous devient plus qu'inutile, la protection que mérite notre agriculture, femble exiger que les grains étrangers, s'ils ne font pas prohibés, puifqu'on appréhende cant de déclarer cette prohibition, ils doivent du moins être impotés à

droit d'entrée qui faffe donner la préférence aux denrées nationales. Cette raifon me paroît de la derniere évidence; que fi au contraire nos récoltes font mauvaises, le propriétaire des terres ne peut payer les impofi

tions & fournir aux frais de culture qu'autant que les denrées augmenteront de valeur en raifon de leur moindre quantité. On ne peut donc en faire venir de l'étranger fans diminuer la valeur des nationales. Il eft donc plus qu'inutile, & même pernicieux, d'en faire venir dans un temps d'abondance puifque nous en avons plus qu'il n'en faut; & il fera ruineux pour les propriétaires des terres, & les Cultivateurs qui feront dans l'impoffibilité de payer le prix de leurs fermes, fi on en introduit tant que nos récoltes seront ordinaires, à moins que par une impofition aux entrées du Royaume,

ne conferve aux denrées nationales la valeur que la rareté doit leur don ner naturellement. L'agriculture est la grande fabrique du Royaume; les fruits de la terre font les ouvrages qui en proviennent; fabrique d'autan: fupérieure aux manufactures les plus pri

vilégiées, qu'elle eft d'une néceffité abfolue, qu'elle ne peut pas corrompre les imœurs, & qu'elk-occuper dans tous les temps toutes fortes de perfonnes, fans diftinction d'âge, ni de fexe. Les autres fabriques n'ont d'utilité que lorfque celle-ci manque, & qu'on cherche à s'en procurer les avantages par des échanges; l'agriculture eft une espece de création dont la providence confie à nos foins, & à un travail facile le renouvellement, Pourquoi donc dans les autres efpeces de fabrique, empêche-t-on l'entrée dans le Royanme des ouvrages étrangers qui pourroient nuire à la confommation de ceux qui en proviennent, dans la crainte d'en arrêter l'activité, & que dans la culture des terres on fuit une méthode diamétralement oppofée, fondée uniquement fur un vieux préjugé & une fauffe compaffion contre le véritable intérêt de la nation? On veut que les denrées de premiere néceffité foient à un bas prix; rien de plus jufte, pourvu que tout ce qui eft néceffaire à l'ufage de la vie fuive proportionnellement la même valeur; car de vouloir que le Cultivateur vende à bon marché

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la récompenfe de fon intelligence, de fes foins & de fa fueur, & qu'il achete cherement tout le refte, quand même il ne feroit pas obligé de contribuer aux impofitions générales, la justice est violée; il ne pourra plus ni travailler ni vivre même dans la mifere; il abandonnera une profeflion fi ingrate, & cherchera un afyle dans les villes où la pareffe eft plus favorifée que les tra vaux de la campagne, & nos terres demeureront en friche: malheur qu'on n'appréhende pas affez, & qu'une trifte expérience rend déjà trop commun dans quelques Provinces.

Voici le portrait que l'Auteur d'une petite brochure pour l'établiffement d'un Hôpital des enfans trouvés en Bretagne, fait de ces pauvres habitans de la campagne: » Que n'eft-on » à portée de voir ce miférable labou »reur, excédé de travail, dévoré par la faim, les yeux égarés, la marche chancelante, regagner le foir fa » chaumiere & demander à fa femme »en rentrant as-tu du pain? Mon ami, lui dit-elle, repofe-toi, det main nous en aurons. Demain! O » Ciel! que ce terme eft long pour qui

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meurt d'inanition! Le fommeil re» pare à moitié durant la nuit fes for» ces épuifées, & le jour qui renaît

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l'appelle de nouveau à fon travail. » Alors il tourne vers fa trifte moitié des regards d'attendriffement: doux » befoin qui rapproche les êtres fenfi»bles, tu les confoles dans leur afflic» tion! le cœur defire, le cœur parle » & l'Etat compte un nouveau Ci» toyen; mais quel individu vient de » naître du fein de la mifere & de la » foibleffe? Aucri marqué pour fa naif» fance, il n'en a pas la force. Sa » malheureuse mere, privée des fe» cours que reçoivent nos animaux do

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meftiques dans cette crife de la na»ture, n'a pas un drap pour fon ufage, pour envelopper fon enfant; un » peu de paille, des feuilles feches re» nouvellent fa couche enfanglantée ; qu'offrira-t-elle à fon nouveau né » pour entretenir le fouffle de vie qui » l'anime? Un lait appauvri par le be» foin, aigri par l'amertume de la » douleur: Peut-être encore n'a-t-elle: » rien à lui offrir: alors on porte l'en» fant chez une voifine qui manque elle-même du néceffaire; mais qui

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