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DÉCEMBRE 1785.

EXPÉRIENCES

RELATIVES AU PHLOGISTIQUE ET A LA CONVERSION APPARENTE DE L'EAU EN AIR;

Traduites de l'Anglois de M. J. PRIESTLEY, Dodeur en Droit, Membre de la Société Royale de Londres, &c. par M. GIBELIN, Dodeur en Médecine, de la Société Médicale de Londres, &c.

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LE phlogistique, ou comme on l'appelle quelquefois, le principe de l'inflammabilité, est un des sujets qui ont le plus embarraffé les Chimiftes. Stahl avoit découvert que ce principe, quel qu'il foit, eft capable de paffer d'une substance dans une autre, quelque différentes qu'elles puiffent être par leurs autres propriétés, comme le bois, le foufre, les métaux, & qu'il eft par conféquent la même chofe dans toutes; mais ce qui a donné un air de mystère à cette matière ; c'eft qu'on a cru que ce principe ou cette fubftance ne pouvoit être préfentée à nos fens, fi ce n'eft combinée avec d'autres fubftances, & qu'il étoit impoffible de lui faire prendre féparément aucune forme fluide ou folide. Quelques-uns affuroient auffi que le phlogistique, bien loin de rendre les corps plus pefans, diminuoit au contraire la pefanteur de ceux auxquels il s'unifloit; en forte qu'ils fe croyoient en droit de l'appeller le principe de la légèreté. Cette opinion a eu de grands défenfeurs.

les

Dans ces derniers tems plufieurs célèbres Chimiftes, & entr'autres M. Lavoifier, ont prétendu que toute la doctrine du phlogistique étoir fondée fur une erreur, & que dans tous les cas où l'on croyoit que, corps étoient dépouillés du principe phlogistique, ils ne perdoient vraiment rien du tout ; mais ils acquéroient au contraire quelque chofe, & le plus

fouvent une addition de quelqu'efpèce d'air; qu'un métal, par exemple, n'eft pas une combinaifon de deux chofes; favoir, d'une terre & du phlogistique; mais que dans fon état métallique c'est une fubftance fimple, & que lorfqu'il paffe à l'état de chaux, ce n'eft pas à caufe de la perte de fon phlogifique, ou de toute autre fubftance, mais c'est parce qu'il acquiert de l'air.

Les argumens qu'on apporte en faveur de certe opinion, & fur-rout ceux qui font tirés des expériences que M. Lavoifier a faites fur le mercure, font fi fpécieux, que j'ai été moi même très-porté à l'adopter. A la vérité, mon ami, M. Kirwan, fourenoit toujours que le phlogistique étoit la même chofe que l'air inflammable, & il l'a futhfamment prouvé par beaucoup d'expériences & d'obfervations, tant de moi que des autres. Je ne me fuis cependant rendu à fon opinion qu'après en avoir découvert la vérité par des expériences directes que j'ai faites dans des vues générales & indéterminées, mais avec l'intention de déterminer quelque chote fur un fujet qui m'a donné, ainfi qu'à d'autres, tant de peine & d'embarras.

Je commençai par répéter les expériences dans lefquelles j'avois trouvé que l'air inflammable chauffé jufqu'à rougeur dans des tubes de flintglafs, leur donnoit une teinte noire, & étoit abforbé en grande partie. J'avois découvert que cet effet provenoit de ce que la chaux de plomb du verre attiroit le phlogiftique de l'air inflammable (1). Comme la quantité d'air inflammable contenue dans ces tubes étoit très-petite, quoique j'aie dit que je regardois le réfidu, dans l'un de ces procédés, comme de l'air phlogiftiqué, parce que je n'avois apperçu aucune marque d'ignition en le préfentant à la flamme d'une petite bougie; je n'étois pas fatisfait de cette conclufion, & j'avois d'autant plus envie de répéter cette expérience avec plus de foin, que je n'avois trouvé, dans une des expériences en queftion, qu'une très-petite bulle d'air inflammable dans le tube, où je l'avois foumis à la chaleur.

J'éprouvai cependant de grandes difficultés en répétant ces expériences; & la quantité d'air inflammable fur laquelle on opère dans ces circonftances eft néceffairement fi petite, que le réfultar eft toujours fujer à beaucoup d'incertitude. Je penfai conféquemment que fi je faifois tomber le foyer d'une lentille fur une quantité de flintglafs entourée d'air inflammable, ou plutôt fur de la chaux de plomb feule dans les mêmes circonftances, l'expérience feroit beaucoup plus aifée, & me rapprocheroit davantage de mon objet. L'exécution de ce procédé réuffit fur le champ au-delà de mes efpérances.

Je mis pour cet effet fur un morceau de creufet brifé, incapable de donner de l'air, une quantité de minium, que j'avois entièrement privé

(1) Voyez les Expériences & Obfervations fur différentes branches de la Phy fique, &c. tome II, page 147.

d'air, & l'ayant placé fur un fupport convenable, je l'introduisis dans un grand récipient rempli d'air inflammable renfermé par le moyen de l'eau. Auffi-tôt que le minium fut féché par la chaleur que je lui faifois subir, je le vis noircir, & couler enfuite fous forme de plomb parfait, en même l'air diminuoit confidérablement, l'eau s'élevant dans le récipient. Je confidérois ce procédé avec le plus vif empreffement d'en connoître le réfultat; car je n'avois alors aucune opinion fixe fur ce fujet; & par conféquent je ne pouvois décider, fi ce n'eft au moyen d'une épreuve directe, fi l'air fe décompofoit dans ce procédé, en forte qu'il reftât un réfidu de quelqu'autre efpèce, ou s'il étoit abforbé tout entier. La première opinion me paroiffoit la plus probable par la raison, que fi le phlogistique étoit un être réellement exiftant, je m'imaginois que l'air inflammable devoit être compofé de cet être & de quelqu'autre chofe. Cependant je me flattois alors qu'il feroit en mon pouvoir de déterminer d'une manière très-pofitive, fi le phlogistique eft joint ou non à une bafe dans l'air inflammable, & de quelle nature eft cette base fi elle exifte. Car voyant le métal actuellement réduit, & en quantité considérable, dans le même tems que l'air étoit diminué, je ne doutois pas que la chaux n'abforbât réellement quelque chofe de l'air; & cette chofe produisant l'effet de la réduire en métal, ne pouvoit être que ce que les Chimiftes ont unanimement appelé phlogiflique.

Avant que cette première expérience fût terminée, je jugeai que fi le phlogistique avoit une bafe dans l'air inflammable, elle devoit être trèspeu confidérable; car le procédé continua jufqu'à ce qu'il ne reftât pas plus de place dans le récipient qu'il n'en falloit pour opérer fans crainte de l'endommager. J'examinai enfuite avec beaucoup d'empreffement l'air qui restoit, & je trouvai qu'il ne différoit nullement de celui que j'avois employé en commençant cette expérience, & qui avoit été retiré du fer par le moyen de l'huile de vitriol. Je fus conféquemment très-certain que cet air inflammable ne contenoit pas autre chofe que le phlogistique; car environ quarante-deux mefures de cet air furent réduites à cinq, dans cette occafion.

Afin de conftater avec le plus grand foin un fait de fi grande importance, je fis fortir après cela d'une quantité de minium tout le phlogiftique, ou toute autre fubftance qui auroit pu prendre la forme d'air, en l'expofant à une chaleur rouge, après l'avoir mêlé avec de l'efprit de nitre; & l'ayant employé auffi-tôt après, de la manière, dont j'ai parlé plus haut, je réduifis cent une mefures d'air inflammable, à deux mefures. Pour juger de fon degré d'inflammabilité, je préfentai la flamme d'une perite bougie à l'orifice d'une fiole qui en étoit remplie ; & je comptai jufqu'à treize petites explosions (je bouchois la fiole avec mon doigt après chaque explosion) tandis que de l'air inflammable récemment fait

ne fit dans les mêmes circonstances que quatorze explofions qui feulement étoient plus fortes.

Je n'hésitai point à conclure, après cette expérience, que cet air inflammable avoit paffé tout entier, & fans décompofition, dans le plomb qui s'étoit formé dans cette occafion; & fi l'on confidère les circonstances néceffaires de ce procédé, l'on trouvera extraordinaire, que même en admettant la vérité de cette conféquence, le réfultat foit fi décidément & fi clairement en fa taveur; car, en premier lieu, il faut mettre la plus grande attention à retirer d'abord du minium tout l'air qu'il peut donner, & employer ce minium avant qu'il ait pu abforber d'autre air de l'atmof phère; il faut en outre que l'eau, qu'on emploie en affez grande quantité, & qui s'échauffe dans ce procédé, ait été pareillement purgée d'air autant qu'il eft poffible. Quand même j'aurois trouvé, dans ces circonstances, , que le petit réfidu de deux mefures, fur cent ane, étoit de l'air phlogiftiqué, ou de l'air fixe, je n'aurois pas été défappointé (1); & cela ne m'auroit pas empêché de conclure que le phlogistique eft la même chofe que l'air inflammable, contenu dans les métaux dans un état de combinaison, tout de même que l'air fixe eft contenu dans la craie & dans les autres fubftances calcaires : étant l'un & l'autre également capables d'être dégagés de nouveau fous la forme d'air.

Je me fervis enfuite d'une chaux de plomb qui avoit été préparée de même que la première, mais qui étoit reftée quelques femaines expofée à l'air ; & je trouvai que lorfque j'eus réduit par fon moyen cent cinquante mefures d'air inflammable à dix mefures, ce réfidu étoit de l'air phlogiftiqué. Mais en examinant cette chaux féparément, au moyen de la chaleur, dans un vaiffeau de verre, je trouvai qu'elle donnoit une quantité confidérable d'air phlogistiqué.

Je dois obferver qu'il ne faut pas que le minium ait été porté à l'état de verre de plomb parfaitement compact, parce qu'il feroit alors trop réfractaire pour être aifément réduit par ce procédé. J'ai employé une fois cette fubftance: je ne pus que la fondre; mais il en fortit une fumée notre très abondante qui donna une teinte de la même couleur à l'intérieur du récipient. C'est une expérience que je répéterai avec

attention.

Il eft bon d'observer auffi que le plomb que j'obtins dans l'expérience dont j'ai fait mention ci-deffus, ne différoit nullement de tout autre plomb, & que la quantité entière d'air inflammable avoit été retirée du fer par le moyen de l'huile de vitriol.

(1) Il eft à fouhaiter que le verbe-defappointer paffe dans notre langue avec fes dérivés. Il me paroît rendre avec précision une idée que nous ne pouvons exprimer. jufqu'ici que par des périphrafes, & il n'eft point dur à l'oreille. Si cependant on aime mieux lire attrappé ou déçu, au lieu de désappointé, je ne m'y oppofe

pas.

Lorfque j'ai employé de l'air inflammable tiré du bois, il a fallu plus de tems pour réduire le minium, & j'ai eu plus de peine à en venir. à bout. Quarante mefures de cet air inflammable furent réduites à vingtcinq. Je trouvai alors que la chaleur de la lentille ne produifoit que du verre de plomb & non du métal. L'air étoit cependant encore inflam-. mable, & contenoit une petite quantité d'air fixe. J'ai quelques raifons. de penfer que cette efpèce d'air inflammable qui brûle avec une flamme léchante eft compofée de l'union intime de l'air fixe avec l'air inflammable de nature explofive qu'on retire des métaux. Les expériences que j'ai faites avec cette forte d'air inflammable que l'on recueille dans le procédé pour faire le phofphore, & qui brûle avec une flamme jaune léchante, m'ont offert le même réfultat que celles où j'ai employé l'air inflammable tiré du bois & brûlant avec une flamme blanche & léchante.

Après avoir obtenu ce réfultat remarquable avec l'air inflammable, j'éprouvai tout de fuite de la même manière toutes les autres espèces d'air; mais le minium dans aucune ne me fournit que du verre de plomb, fi ce n'eft dans l'air alkalin & dans l'air acide vitriolique. Je n'obtins point de métal dans l'air fixe, dans l'ai nitreux, dans l'air phlogiftiqué, dans l'air acide marin, dans l'air fpathique, non plus que dans l'air commun & dans l'air déphlogistiqué. Il n'y eut dans l'air acide vitriolique qu'une petite quantité de plomb réduite; & j'ai obfervé que cette efpèce d'air communique à l'air commun une certaine portion du principe de l'inflammabilité, quoiqu'elle ne le phlogistique pas à beaucoup près auffi fortement que le fait l'air nitreux; quoique ce dernier & l'air phlogistiqué contiennent certainement du phlogiftique, il paroît par ces expériences qu'ils le retiennent avec trop de force pour le céder au minium dans ce procédé, quoique l'air nitreux le communique fi promptement à l'air refpirable. Les expériences que je fis pour réduire la chaux de plomb dans les efpèces d'airs dans lesquelles cet effet ne put avoir lieu, me préfentèrent quelques phénomènes particuliers: mais avant de les rapporter, il faut que je répète ces procédés, & que j'en note les cir conftances avec plus d'exactitude.

Dans l'air alkalin, le minium paroît fe réduire en plomb auffi promptement que dans l'air inflammable, & je crus même voir que le plomb s'y formoit avec plus de facilité. Cet effet confirme & éclaircit d'une manière remarquable, le fingulier phénomène que j'avois précédemment obfervé (1); favoir, que, lorfqu'on tire l'étincelle électrique dans une quantité donnée d'air alkalin, elle fe convertit en trois fois autant de pur air inflammable. Cette expérience eft d'une nature fi extraordinaire,

(1) Voyez les Expériences & Obfervations fur différentes branches de la Phy

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