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NOVEMBRE 1785.

SUITE DE LA DERNIÈRE PARTIE

DES EXPERIENCES ET OBSERVATIONS DE M. KIRWAN,

Sur les forces attractives des Acides minéraux (1). J'AI enfin parcouru toutes les bafes capables de s'unir avec les acides,

à l'exception de la manganèse & de la platine, que j'ai négligées à deffein ne poffedant pas une affez grande quantité de ces fubftances dans l'état de pureté néceffaire, pour des expériences exactes. J'ai également déterminé la quantité de chacun des acides minéraux néceffaires pour faturer chacune des terres, à l'exception des bafes métalliques, lefquelles demandent toutes un excès d'acide, non-feulement pour parvenir à les diffoudre ( à cause qu'il y a toujours une partie de l'acide qui eft convertie en gaz par fon union avec le phlogiftique du métal) mais auffi pour que leurs diffolutions fe confervent tranfparentes & fans précipité. Il est aifé maintenant de trouver la quantité d'une bafe quelconque, qu'une quantité donnée de chacun des acides minéraux peut prendre; car fi 100 grains d'une bafe quelconque demandent pour leur diffolution au point de faturation une quantité a d'acide, 10000 grains de ce même acide diffoudront

10000

a

grains.

La proportion des ingrédiens que j'ai aflignés aux différens fels neutres paroît au premier abord très-différente de celle indiquée par M. Bergman; j'avouerai même que cette différence dans les résultats m'a tenu pendant quelque tems fort inquiet, ayant la plus haute confiance dans l'adreffe & dans le jugement de cet excellent Chimiste; mais après un examen réfléchi, j'ai enfin trouvé qu'elle étoit plutôt apparente que réelle. En effet, M. Bergman ne s'eft jamais propofe de déterminer la quantité d'acide réel contenu dans chaque fubftance. Il a donné le titre

(1) Voyez le Cahier précédent.

d'acide (fuivant l'ufage des Chimiftes qui l'ont précédé) aux liqueurs qui contiennent cette fubftance dans le plus grand état de concentration poffible, ou du moins dans un très-grand état de concentration; mais qui outre l'acide contiennent encore, fans le moindre doute, une portion indéterminée d'eau. Quant à la quantité d'eau, M. Bergman a entendu communément par-là, l'eau que ces fubftances retiennent dans leur cryftallisation; c'est ainfi que dans le premier volume de fes opufcules (page 152, édit. fr.) il dit que 100 grains de vitriol de fer contiennent 23 grains de ce métal, 39 d'acide vitriolique, & 38 d'eau ; & dans fa Differtation fur les produits volcaniques, §. XII, il dit que 100 grains de vitriol de fer contiennent 24 grains de ce métal, 24 d'acide vitriolique déphlegmé & 52 d'eau. Ce dernier calcul differe à peine du mien, par lequel je trouve dans 100 grains de vitriol de fer 25 grains de ce métal, 20 d'acide vitriolique réel & 55 d'eau; & la petite différence qui fe trouve entre nos résultats vient manifeftement d'une portion d'eau contenue dans fon acide vitriolique déphlegmé. La différence la plus remarquable entre nos résultats eft fur la quantité des acides minéraux que les alkalis demandent pour leur faturation; car fuivant les expériences de MM. Bergman & Scheffer, ils prennent plus d'acide vitriolique que d'acide nitreux, & plus de celui-ci que d'acide muriatique, tandis que fuivant MM. Homberg, Plummeo, Wenzel & moi, cela n'arrive pas ; ceci vient probablement des différens degrés d'évaporation auxquels on a obtenu les cryftaux de ces fels. Voilà pourquoi je n'ai pas voulu me fervir des cryftaux pour ces recherches, mais des fels entièrement defféchés au moyen d'une parfaite évaporation. Pour ce qui regarde la quantité de bafe foit terreufe, foit métallique des autres fels, mes expériences fe font trouvées prefqu'encièrement d'accord avec celles de M. Bergman.

Les avantages qui réfultent de ces recherches font très-considérables, elles tendent ouvertement, non-feulement à l'avancement de la Chimie, dont l'objet eft de fixer d'une manière exacte la quantité & la qualité des parties conftituantes des corps, mais auffi à la perfection de la pratique de cette science.

1o. Perfonne n'ignore que les Chimiftes anciens, & même quelquesuns des modernes, ont décrit d'une manière fort inexacte plufieurs procédés importans: ils caractérisent fouvent, par exemple, l'énergie de l'acide dont ils ont fait ufage dans leurs opérations par la quantité d'alkali fixe, de terre ou de métal qu'une quantité donnée du même acide peut neutralifer ou diffoudre; or, les obfervations précédentes nous indiquant immédiatement la quantité d'acide réel néceffaire pour produire des effets femblables, le furplus de ce qu'on a employé n'étoit donc que de l'eau, connoiffant de plus aujourd'hui les quantités refpectives d'acide & d'eau, il eft aifé de trouver d'après les Tables précédentes la pefanteur Spécifique de l'acide & d'en préparer un de la même force. Schlutter,

1

dans fon Traité fur l'art des effais (1) (le meilleur qui ait paru fur cette matière) dit que la meilleure eau-forte pour féparer l'argent de l'or eft celle dont une livre diffout une demi-livre d'argent; par conféquent 1000 grains de la même eau-forte diffoudront 500 grains d'argent. Or, nous avons vu par les expériences précédentes que 100 grains d'argent d'aloi demandent pour leur diffolution 38 grains d'acide nitreux réel; 500 grains d'argent demanderont donc 190 grains d'acide, & par conféquent 1000 grains de l'eau-forte employée par Schlutter devoit contenir 190 grains d'acide réel & 810 grains d'eau ; ayant enfuite recours à la Table de l'acide nitreux, nous trouvons par la règle des proportions que la pefanteur fpécifique de cet acide doit être à-peu-près 1,261; car 190: 810:: 393 d'acide: 1075 d'eau. Cette proportion eft à la vérité un peu plus forte que celle que j'ai employée, mais Schlutter a fait ufage de la chaleur du bain de fable.

2°. L'importance de ces recherches pour l'art de la Pharmacie n'eft pas moins évidente, fur-tout relativement aux médicamens compofés avec des fubftances métalliques dont le degré d'énergie dépend de la proportion des ingrédiens, & de leur action réciproque,

3°. Ce degré de précifion doit auffi contribuer beaucoup à la perfection des arts de la teinture & de l'émail, les procédés dont on fe fert pour préparer les ingrédiens étant très-incertains. C'eft ainfi que l'opération du pourpre minéral ou précipité de Caffius par la méthode ordinaire, manque fouvent, parce que la force des acides employés n'eft pas bien déter

minée.

4°. L'ufage que l'on peut faire de ces connoiffances dans l'analyse des eaux minérales & dans l'effai des minéraux, a été bien développé par l'illuftre Bergman dans les excellentes Differtations qu'il a données fur cette matière (2). J'ajouterai encore que la connoiffance de la quantité d'acide néceffaire pour la diffolution des fubftances métalliques peut nous fournir un nouveau moyen, non-feulement pour les diftinguer les unes des autres, mais auffi pour diftinguer celles qui font pures de celles qui font alliées, & même pour connoître la quantité & la nature de l'alliage. C'eft ainfi que 100 parties d'argent pur demandent moins d'acide nitreux pour être diffoutes que 100 grains d'argent au titre. En diffolvant dans l'acide muriatique, une fubftance métallique quelconque fuffisamment diffoluble dans cet acide, l'on peut connoître fi elle contient la moindre parcelle d'argent, de mercure ou d'arfenic, qui y font prefque infolubles, ou d'antimoine, de cobalt, de nickel ou de bismuth, qui n'y font folubles qu'en petite quantité.

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Volume premier, page 332 de la Traduct. Françoife.
Opufcul. tom. II, pag. 351 & 404 de l'édition Franc.

Mais l'objet principal que je me fuis propofé depuis peu dans ces recherches, a été de déterminer le degré d'affinité ou d'attraction qui existe entre les acides minéraux & les différentes bafes avec lesquelles ils peuvent fe combiner; objet de la plus grande importance, puifqu'il doit fervir de fondement à la Chimie confidérée comme fcience. Je n'ignore pas que l'on a beaucoup travaillé fur cette matière, & que l'on a fait plufieurs obfervations générales; mais celles mêmes qui paroiffent le plus folidement établies fe font trouvées fujettes à plufieurs exceptions, ce qui a donné naiffance à la diverfité des Tables d'affinité qui exiftent, & qui a fait même douter à des Chimiftes du premier ordre que l'on pût jamais parvenir à découvrir une loi générale. Ces Savans auroient cependant mieux fait (comme le dit très-bien le judicieux Bergman) d'obferver attentivement toutes les circonftances des anomalies qui proviennent fans doute de l'action de quelques forces nouvelles, & d'établir des règles adaptées aux phénomènes obfervés dans l'action de ces puiffances antagonistes.

C'eft-là le plan que j'ai fuivi; mais avant de le développer, je dois confidérer mon fujet plus en grand.

L'affinité chimique ou l'attraction eft cette puiffance qui unit les parties invifibles des corps entr'elles d'une manière fi intime qu'il n'eft plus poffible de les féparer par des moyens purement méchaniques, & elle differe par-là des attractions magnétique & électrique. Elle differe également de l'attraction de cohéfion, en ce que celle-ci a lieu entre les particules de prefque toutes fortes de corps, dès que l'on met en contact immédiat leurs furfaces réciproques, au lieu que l'attraction chimique n'agit pas avec ce degré d'indifférence, mais qu'elle force plutôt deux corps déjà unis à fe féparer pour s'unir à un troifième, d'où lui eft venu le nom d'attraction éledive. L'attraction de cohéfion a fouvent lieu entre des corps qui n'ont pas d'attraction chimique entr'eux; les régules de cobalt & de bifmuth, par exemple, font dans ce cas. Ils ne s'uniffent pas par la fufion; cependant ils contractent une adhésion fi forte qu'il faut un coup de marteau pour les féparer.

Lors donc que deux corps fe trouvant dans un état de divifion confidérable, comme par exemple, lorfqu'ils font tous les deux dans l'état de vapeurs ou dans celui de fluidité, refufent de s'unir chimiquement, l'on peut conclure que dans le premier cas ils ont peu d'affinité entr'eux, que dans le fecond, ils n'en ont qu'une très-foible; lors au contraire que pour s'unir entr'eux il fuffit que l'un foit dans l'état liquide, l'on peut dire qu'ils ont une grande affinité, & c'est ce qui arrive pour la plupart entre les acides & les alkalis, les terres & les métaux.

&

M. Geoffroy a donné comme une règle générale pour le calcul du degré d'affinité des corps, que lorfque deux fubftances font unies entr'elles & que l'une des deux quitte l'autre pour s'unir à une troisième,

celle qui s'unit à la troisième a plus d'affinité avec elle qu'elle n'en avoit avec celle qu'elle a quittée. Cela n'eft pas douteux lorfqu'il n'y a que deux puiffances en action: ainfi lorfque la félénite eft décomposée par un alkali fixe cauftique, il eft évident que l'alkali a plus d'affinité avec l'acide qu'avec la terre. Mais il y a des cas où la décompofition paroiffant fimple eft en effet double; c'eft-à-dire, qu'il y a plus de deux puiffances agillantes; & alors il n'eft pas aifé de connoître laquelle eft la plus forte, ni par conféquent quel eft leur degré d'attraction. L'acide vitriolique, par exemple, s'unit avec l'alkali fixe non cauftique & en chaffe l'acide méphitique; cependant il ne s'enfuit pas néceffairement que l'acide vitriolique attire ou foit attiré par l'alkali avec plus de force que l'acide méphitique; parce que quoique cette décompofition foit en apparence' fimple, elle eft réellement double, car en même tems que l'acide méphitique abandonne fon alkali à l'acide vitriolique, celui-ci à son tour abandonne fon feu à l'acide aériforme, & la décompofition peut avoir lieu même dans la fuppofition que les deux acides aient un degré égal d'affinité avec l'alkali. Pour parvenir à avoir quelque certitude dans cette matière, il faut donc déterminer le degré de force de chaque puiffance attractive, & le défigner par des nombres.

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M. de Morveau eft le premier qui se soir apperçu de la néceffité de ce calcul, & il a donné en nombres une Table du degré de puiffance attractive du mercure avec tous les autres métaux, mais cette méthode n'est pas fufceptible d'être généralifée. M. Wenzel s'eft occupé du même objet, mais fa méthode est beaucoup plus défectueuse. Voici en quoi elle confifte. « Pour connoître, dit-il, le degré d'affinité de l'acide nitreux avec les différentes fubftances qui peuvent fe combiner avec lui, que l'on prenne des cylindres égaux de chacun des différens métaux, que l'on couvre leur furface, à l'exception de l'un des bours, avec de l'ambre jaune fondu, qu'on les expofe enfuite à l'action d'une quantité égale du même acide nitreux, & que l'on tienne note du tems de la diffolution de chacun de ces métaux; l'on trouvera par-là que l'affinité de l'acide nitreux avec chacun de ces métaux, eft en raifon inverse du tems néceffaire pour la diffolution d'une quantité égale des mêmes » métaux ». Et comme ce Chimifte favoit fort bien que l'acide nitreux, à un degré de concentration déterminé, n'agiffoit pas également fur chacune des fubftances métalliques; il a prefcrit d'employer l'acide délayé dans de certains cas, & non délayé dans d'autres, fauf à tenir compte de ces différences dans le calcul; mais indépendamment de ce qu'il n'a fait état ni des alkalis ni des terres, il eft impoffible de tirer des réfultats obtenus par fa méthode, aucune conclufion même pour les métaux ; car l'acide nitreux attaque avec beaucoup plus de rapidité l'étain & le régule d'antimoine que le plomb & le cuivre; il eft cependant connu que l'affinité de cet acide avec le plomb eft bien plus forte que celle qu'il

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