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dans fes opérations, fi leurs tentatives pour deviner fa manœuvre & les combinaifons de la matière, les obligent à des travaux pénibles, qui ne peuvent être compenfés que par la gloire d'avoir mis au jour des vérités intéreffantes; il eft d'autres recherches, qui, fans néceffiter autant de fatigues, conduifent cependant au même but flatteur, celui d'étendre les connoiffances de l'homme, de le mettre de plus en plus à portée d'admirer l'Intelligence fuprême, & de jouir de fes œuvres. Telle eft, par exemple, l'histoire naturelle des infectes.

Cette étude eft négligée; elle n'eft pas affez prifée, & mériteroit de l'être. Ingrats! nous chaffons, nous écrafons de petites créatures intéreffantes par leurs couleurs, leur conformation, leurs habitudes & attributs, & fi précieufes par les biens qu'elles nous donnent. L'homme délicat, qui fe plaint des mouches & voudroit qu'il n'y eût pas un infecte fur la terre, ne fonge pas que c'eft de pareils animaux qu'il tient les bougies qui éclairent fa demeure; que c'eft eux qui lui fourniffent la pourpre & la foie dont il fe pare, & que c'eft grâces aux cantharides que lui ou fes amis

ont été retirés des mains de la mort

D'où vient l'éloignement ou dédain que nous fentons pour les infectes, tandis que cette brillante partie du règne animal devroit captiver notre attention? Eft-ce la peur de leur morfure, le dégoût de leur puanteur ou faleté, le mépris de leur petiteffe, le reffentiment des incommodités qu'ils nous caufent, ou bien l'idée que ces petits êtres ne font que la dégradation des productions de la Nature? Ces motifs feroient peu fondés.

A l'exception (je ne compte pas le homar aux fortes ferres, qui peut quelquefois pincer des Pêcheurs marins, ni quelques infectes venimeux de l'Afrique & des deux Indes), à l'exception, dis-jo, do la tarentule & du fcorpion, je ne connois pas d'infecte qui puiffe faire une bleffure dangereufe; encore guérit-on facilement celles-ci, en y appliquant auffi-tôt une goutte d'huile d'olive. Les piqûres de quelques autres infectes, tels que le frêlon, la guêpe, l'abeille, l'araignée des caves, la fourmi rouge, &c., font douloureufes, mais n'ont jamais de fuites. graves. C'est peutêtre, par rapport à nous, une imperfection de la Nature; fupportonslà, comme nous voyons volontiers qu'il exifte des rofes, quoique leurs épines quelquefois nous bleffent.

L'odeur forte, & la figure prétendue hideufe de certains infectes, ainfi que leur faleté, tiennent beaucoup à la fantaisie & à l'inconféquence de l'homme. A fa fantaifie; peu de gens fe plaignent de l'odeur de la morue; & fi elle étoit exhalée par le haneton, on trouveroit cet infecte infupportable, parce que , parce que la mode n'eft pas établie d'en faire un aliment, comme de ce poiffon moitié defféché, moitié pourri. Il en eft de même de la figure révoltante de certains infectes; c'eft l'effet de notre caprice. Il me femble que la beauté réelle confifte dans la parfaite empreinte du type que la Nature deftina à chaque efpèce d'êtres, & la laideur dans

l'aberration de cette empreinte. Un faifan eft beau comme faifan, & une araignée eft belle comme araignée. Si elle avoit des pieds d'oifeau, c'est alors qu'elle feroit hideufe; mais enfin, puifque nous avons établi que telle chofe feroit belle & propre, & telle autre hideufe & dégoûtante, nous devrions du moins être conféquens dans nos principes, & éviter fans exception ce qui porte ces derniers caractères. Q'une femme, affife à l'ombre d'un arbre, éprouve le malheur qu'il en tombe une chenille fur fa joue ou fur fa main, elle fait un cri, détourne les yeux, & a grand foin de s'effuyer. Si elle avoit le courage de confidérer de près cette petite bête, elle verroit que, dans fon efpèce, elle eft auffi jolie, auffi propre que fa belle main: & cette femme délicate mangera le même jour les excrémens d'une bécaffe, qui font un hachi d'araignées, limaçons, vermiffeaux, & autres chofes de cette efpèce. L'écreviffe, qui, d'après nos idées, eft un infecte hideux & fale par excellence, eft cependant bien venue fur toutes les tables. Je l'appelle fale, parce que d'ordinaire l'écreviffe porte dans fes jointures d'autres infectes de la claffe des poux, que nous favourons avec fa moelle.

On demandera à quoi bon cette déclamation? Affurément M. Spalanzani & tant d'autres Phyficiens ou Naturalistes n'en ont que faire; mais je voudrois pouvoir engager bien des perfonnes, hommes & femmes, qui vivent à la campagne, & qui ne favent comment paffer leur temps, ou l'emploient d'une manière pitoyable, à confidérer de près les infectes. Quand de la propagation de cette étude, il ne s'enfuivroit pas de nouvelles découvertes, qui cependant font très-poffibles, je croirois avoir fait une bonne œuvre, en indiquant à des gens oifits une jouiffance qui diffiperoit leurs ennuis, & qui n'est ni précédée d'embarras, ni fuivie de dégoûts ou de remords; ils verront, quand il leur plaira, mille merveilles; car l'empire des infectes eft un empire de féerie. Ici, relativement à notre conception, la vérité fe pare des pompons du prestige. La Nature femble abandonner fa marche uniforme & générale pour la reproduction des êtres vivans. Ce n'est plus le développement d'un embryon forti d'un œuf; c'est un animal qui, parvenu à fa parfaite croiffance, eft transformé en un autre animal tout à fait diffemblable. Voyez la chenille-ourfe. Ce ver, hériffé de poils noirs & rudes, paffe un temps de fa vie à fe nourir de toutes fortes d'herbes: parvenu à l'époque où il doit entrer dans fon cercueil, non pour y mourir, mais pour y devenir un autre être, il fe conftruit dans l'épaiffeur d'un buiffon une tente de foie: couché fous ce pavillon, toutes les partics de fon corps fe rapprochent, fe rétréciffent, fa peau velue l'abandonne, & il paroît devenu une masse uniforme, femblable plutôt au noyau de quelque fruit, qu'à un autre être vivant. Après trente ou quarante jours de cet état, qui n'eft ni vie ni mort, la gouffe s'ouvre; & au lieu d'une chenille velue, il en fort une charmante phalène ou papillon de nuit ; au lieu d'un ver vorace, une belle créature

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ailée, parée de pourpre & d'hermine. A quelques modifications près; c'eft-là l'hiftoire de tous les papillons & phalènes. La Nature a réparti à mille espèces diverfes de ces dernières, toutes les richeffes des couleurs, les deffins les plus élégans. Ces petits volatiles fembleroient créés pour réjouir la vue de l'homme, pour égayer fon féjour; tandis que, par des motifs de la Toute-puiffance, qu'il n'eft pas en nous d'approfondir, ils ne viennent au monde que pour vivre dans les ténèbres, & pour devenir finalement la pâture des hiboux & des chauve-fouris: mais on peut s'en procurer un beau fpectacle dans fa chambre, comme je le dirai bientôt. Soulevez un tronc de bois qui ait pofé long-temps fur terre; fous fa base humide vous verrez des vers blancs de la groffeur d'un doigt,. qui fe nourriffent des débris de ce bois macéré. Qui diroit que ces vers informes, qui à peine favent se remuer affez pour atteindre leur pâture feront bientôt transformés en volatiles cuiraffés, portant fur leur cafque des cornes redoutables. C'eft le cerf-volant, qui n'a pas la plus légère reffemblance avec le ver mol, qu'il étoit auparavant; & il en eft ainfi de tous ces infectes écailleux, qu'on défigne fous le nom général de fcarabée. Voyez la libelle bleue, cette demoiselle au corps délié de faphir, aux ailes azurées, qui voltige fi leftement à travers les airs; elle vivoit au fond des eaux fous la forme d'un vilain infecte couleur de terre. Un beau jour, elle fort de fon élément, fe fufpend au-deffus de la furface contre une tige d'herbe : le foleil sèche fa peau grife, qui n'est qu'un fourreau, & qui fe fend tout le long du dos; la demoiselle en fort toute rayonnante de fa beauté, devient habitante de l'air, & abandonne fa vieille dépouille. Voyez la mouche éphémère; elle a été, comme la libelle bleue, pendant près de deux ans, un infecte aquatique: cet infecte fort de l'eau, fon enveloppe crève il s'envole, fe dépouille une feconde fois, & voltige de nouveau, cherche fon femblable, s'accouple, dépofe Les œufs fructifiés, & meurt: fon existence a duré l'efpace de deux à

trois heures.

La république des fourmis, l'induftrie des abeilles, les rufes du fourmillon font connus généralement mais combien d'autres tableaux auffi intéreffans ne fourniffent pas les infectes, & dont le commun des hommes ne fe doute feulement pas! Si des gens aifés & oififs vouloient prendre la peine de les obferver, d'en réunir le fpectacle fous leurs yeux, ils fe procureroient une jouiffance continuelle & infiniment agréable. Mais je fens les objections à faire : on n'aime pas à prendre des habitudes nouvelles; & puis comment raffembler les infectes, élever les uns, traiter les autres, les préparer, arranger, & fur-tout comment les garantir enfuite de l'altés ration? J'aurai le plaifir de lever ces petits obftacles.

Une vie folitaire, où les devoirs de mon emploi n'exigent qu'une partie de mon temps, a tourné mon goût du côté de l'étude des infectes. Epris de plus en plus des plaifirs tranquilles que je devois à ces recherches, je me

Tuis appliqué à trouver les meilleurs moyens d'en conferver les produits, fur-tout de me procurer beaucoup d'efpèces de chenilles, de les élever, d'en obtenir des phalènes & papillons, & de les monter d'une manière auffi agréable qu'affurée contre le temps & les infectes deftructeurs. Je m'estimerai heureux fi, en publiant ma méthode, je puis contribuer quelque peu aux progrès de cette partie de l'Hiftoire Naturelle, qui, quoiqu'extrêmement attachante, eft fi peu cultivée. Auffi-tôt que mes matériaux feront mis en ordre, je publierai un petit Ouvrage où je traiterai de la meilleure manière de fe procurer des chenilles, de les élever fans grand embarras, les conduire fans accident jufqu'à l'époque de leur cryfalidation, conferver les cryfalides en bon état, manier les papillons & phalènes qui en proviennent, fans les altérer, les conferver facilement, & pendant des années, jufqu'au temps où on veut les monter ; j'y joindrai la defcription d'une méthode que j'ai inventée de préparer les chenilles dans l'apparence de leur état naturel; une autre manière de monter promptement & facilement toutes les espèces d'infectes; de façon qu'ils préfentent le coup-d'œil le plus agréable, & font à l'abri de toute déprédation, au point que, placés dans une Collection, il n'eft plus befoin d'y veiller, pas plus que fur un coquillage ou une tablette de marbre. A cette expofition, purement mécanique, je joindrai la defcription de diverfes phalènes, & de leurs chenilles, que j'ai élevées, & qui ne font pas encore connues des Naturalistes.

Il est tout fimple qu'une longue occupation dans cette partie m'ait fourni les occafions de voir des chofes neuves. J'en ai vu qui méritent l'épithète de merveilleufes. Je n'en traiterai pas, parce qu'un homme de bon Tens doit fe garder de raconter du merveilleux, lorfqu'il ne peut pas le prouver, quelque convaincu d'ailleurs qu'il puiffe être lui-même de la vérité. J'ai trouvé quelques infectes peu ou point connus, & fait d'autres obfervations intéreffantes, dont je parlerai, parce que je puis les confta

ter par

le fait.

Si vous voulez, Monfieur, me faire l'honneur d'inférer mes remarques dans votre Journal, je préfenterai à vos Lecteurs, de temps en temps, un article relatif à l'hiftoire naturelle des infectes, & j'enverrai en même temps l'objet dont il fera queftion, au fuperbe Cabinet de M. Gigot d'Orcy, Receveur général des Finances, demeurant à la place Vendôme, afin que les Amateurs réfidans à Paris puiffent vérifier le fait par leurs yeux, s'il leur en prenoit envie. Voici par où je commencerai.

Ténia trouvé dans le corps d'une Chenille.

Lever folitaire habite dans les inteftins de l'homme, des quadrupèdes, des oifeaux, des poiffons; il vit auffi dans les chenilles. J'ai élevé cette

année une espèce de chenille grande & velue, que j'appelle Chenille du coignaffier, parce qu'elle mange de préférence des feuilles de cet arbre, quoiqu'elle fe nourriffe auffi d'autres feuilles, & du gramen ou herbe commune des prés. Cette chenille doit être connue en France comme par-tout; mais j'ignore le nom que lui donnent les Naturalistes François. Roefel la repréfente & en fait la defcription dans fon Traité allemand fur les Infectes, tom. I, tab. 35 a. Qu'on me permette de lui conferver le nom de chenille du coignaffier; j'aurai lieu d'en parler encore deux ou trois fois, à cause d'autres remarques intéreffantes qu'elle m'a fournies. Pour revenir à mon fujet préfent, je dis qu'ayant élevé plufieurs de ces chenilles, j'en remarquai une dans le nombre, dont la couleur étoit d'une teinte plus foncée, tirant, au lieu de fauve, fur le violet. Cette bête fe remuoit peu, ne grandiffoit point, & mangeoit cependant avec plus de voracité que les autres. L'envie de la conferver, à caufe de fa couleur fingulière, me fit prendre le parti de la difféquer, pour la préparer & deffécher d'après ma méthode. A l'ouverture du corps, j'en vis toute la capacité occupée pas un ver blanc, entortillé comme feroit un fil auquel on auroit fait plufieurs lacs. J'eus peine à le démêler par le moyen de deux aiguilles. Ce ver mourut peu d'inftans après avoir été expofé à l'air; fon corps étoit un peu applati, & compofé d'une infinité d'anneaux à peine vifibles à l'œil fimple. Je n'ai pu appercevoir par le microscope aucune différence entre les deux extrémités finiffantes en pointe déliée, ni par conféquent diftinguer la tête. Ce ver avoit 13 pouces de long, environ quatre fois la longueur de la chenille. Je crois qu'on ne peut le ranger que dans la claffe des Ténias. Les Amateurs à Paris peuvent voir chez M. d'Orcy la chenille telle qu'elle étoit vivante, & fon ténia à côté d'elle.

Je fuis, &c.

DE L'ÉLÉVATION DES PRINCIPALES MONTAGNES, ET DE DIVERSES AUTRES PARTIES DE LA LOMBARDIE AUTRICHIENNE;

QUOIQUE

Par le P. ERMENIGILD PINI.

UOIQUE la Lombardie Autrichienne ait fon fol peu élevé au-deffus du niveau de la mer, & qu'elle en foit peu éloignée, on trouve néanmoins des montagnes d'une hauteur très-confidérable dans la partie haute de ce pays. Cette circonftance, qui m'a paru mériter l'attention des Phyficiens & des Minéralogiftes, jointe à d'autres raifons, m'a porté à dérer

miner

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