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pour combattre l'ancienne tradition de Norwege fur les dangereux effets du Gramen offifragum; mais ils s'y prennent différemment. Haller dit que les mauvais effets qu'on attribue en Norwege à cette plante, qui eft connue depuis long-tems, ne prouvent pas qu'en Suiffe où elle n'eit rare, elle foit nuifible. On peut lire avec fruit les autres Auteurs que j'ai cités, & voir quels font les principes fur lefquels ils fondent leurs opinions, qui font pour la plupart fupérieures à de fimples conjectures.

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Simon Pauli, dans fon Botanicon quadripartitum, Ouvrage qui fe reffent du tems où il a été compofé, dit que la plante dont il avoit donné une courte description, après le préfent qu'il reçut de Norwege fans la fleur, & qu'il met au nombre des herbes, ne pouvoit être rapportée à aucune claffe des plantes connues, mais qu'elle étoit extraordinairement nuifible dans toute fa fubftance aux bêtes à corne. Il fe peut que les bêtes qui en avoient brouté, fe reffentiffent de fa trop grande force, & que cela les eût amaigries & affoiblies, de forte qu'elles pouvoient à peine faire un pas. C'eft ce qui le mettoit en droit, à ce qu'il croyoit, de lui donner la dénomination qu'il avoit employée.

La première occafion, comme nous l'avons dit d'abord, fut fournie par la Lettre que le Colonel Danois, George Reichwein, écrivit à Simon Pauli, de Chriftiana en Norwege, le 24 août 1666; avec l'envoi de la plante, il lui marquoit qu'elle croiffoit dans l'intérieur de la Norwege, & que, comme dans nos contrées, elle paroiffoit dès l'entrée du prin tems, avant toute autre herbe: ajoutant qu'elle étoit fi nuifible aux beftiaux, que leurs os en étoient tout ramollis, ou devenoient caffans comme un bâton. Cependant ils n'en mouroient pas d'abord, & même on pouvoit les guérir en leur faifant prendre de la poudre d'os pilés, pour laqueile on fe fervoit des os du bétail qui étoit mort de cette maladie, les gens de la campagne ayant toujours provifion de cette poudre pour l'employer à cet ufage.

D'autres relations de Norwege portoient que quand une bête à corne avoit brouté de cette herbe, fes os fe brifoient, ou devenoient fi mous qu'elle ne tardoit pas à périr, à moins que la poudre fufdite ne la

Lauvâr,

Cependant Marchalck, dans les A. Haffn. contredit le remède & la cure en queftion, affurant n'en avoir jamais entendu parler. Il convient auffi qu'il n'y a rien de certain dans tout ce qu'on dit de cette maladie, de fes caufes & de fes fymptômes. Enfin, il n'avoit point ouï dire que cette herbe fût nuifible à aucune autre espèce de bétail.

Jean Treubler révoque en doute tout l'expofé de Simon Pauli, ayant lui-même recherché & obfervé cette plante dans les terres marécageuses où elle croît naturellement, & l'ayant trouvée en grande quantité autour des villages de ces contrées.

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A présent une circonftance qu'il ne faut pas négliger d'observer,

c'est

c'eft que le prétendu Gramen offifragum paroît avec un petit nombre de chétives espèces d'herbe à l'entrée du printems, au milieu ou vers la fin du mois de mai, & jufqu'au commencement, dans les prairies baffes, humides & froides, qui font encore nues. Cette plante fraîche eft petite en comparaison des autres; elle ne dure pas long-tems, elle eft difperfée & perd bientôt fa force avant que l'on chaffe au pâturage les bêtes à fuivant l'ufage de l'économie champêtre. Car dans cette faifon les prairies font remplies d'une abondance de plantes & d'herbes de toute espèce, meilleures ou moindres les unes que les autres, dont le bétail peut amplement fe nourrir & fe raffafier, au cas qu'on ne le tînt pas encore quelque tems dans les étables, pour lui donner de meilleur fourrage.

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Il peut cependant arriver que le bétail affamé de verdure, broute dans la première faifon l'herbe verte & fucculente de la plante en queftion, & qu'il en trouve en affez grande quantité, comme il broute auffi les jeunes feuilles & boutons d'autres plantes âcres qui pouffent vers le même tems. Il ne feroit pas furprenant qu'il fût alors fujet à plus d'accidens fâcheux que de coutume, qu'il "devînt foible & caduc; & c'eft en effet ce que caufent plufieurs plantes du printems, au grand dommage des troupeaux, quand on les fait aller parmi des buillons où la chaleur du foleil a fait pouffer trop tôt ces plantes nuifibles, fans qu'il y en ait encore fuffifamment d'autres propres à empêcher ou à diminuer leurs effets.

Mais auffi-tôt que des plantes ou herbes fines, tendres, fucculentes, douces & balfamiques paroiffent, le bétail ne s'approche plus de celles qui font devenues dures, coriaces & fans goût, telles que le Gramen offifragum, & diverfes autres plantes hâtives: & cette aversion du bétail augmente, quand à cette dureté fe joint quelque mauvaise odeur, ou quelque mauvais goût; il faudroit qu'il n'y en eût abfolument point d'autres pour qu'elles fuffent broutées. Le cas a quelquefois lieu quand on fait paffer le bétail affamé d'un pâturage à un autre; il fe jette d'abord fur ce qu'il trouve, & dévore à fon grand dommage quantité de plantes qu'il ne fauroit digérer, ou qui font trop marécageufes.

Comme il s'agit proprement ici des effets de la plante de Norwege, on s'imagine, parce que le bétail devient quelquefois d'une fi grande maigreur que l'épine du dos perce, que cette épine eft brifée; & comme les bêtes attaquées de ce mal font foibles & ont beaucoup de peine à fe foutenir, on attribue ces fymptômes à la même caufe, c'est-à-dire, à P'herbe en question.

On rencontre à-peu-près les mêmes circonftances ou du moins de fort approchantes dans notre bétail, & fur-tout dans les jeunes veaux qui prennent leur crû dans des endroits où abondent toutes fortes de fleurs & de plantes falutaires, fans qu'on y ait jamais apperçu une feule tige de

Gramen offifragum. Le défaut de plantes & d'herbes affez tendres pour ces jeunes animaux, malgré la quantité des autres, fuffit pour les rendre maigres & foibles; ils traînent les jambes & ne fauroient avancer.

On eft affuré par les relations les plus récentes de l'année dernière & de celle-ci, que la fracture des os peut être une fuite de la trop grande dépravation des humeurs, & qu'elle a effectivement lieu avec des fymptômes plus ou moins confidérables, dans la Marche électorale de Brandebourg & aux environs, parmi les bêtes à cornes tant jeunes que vieilles, dans des lieux où il ne croît point de Gramen offifragum. Čes accidens arrivent principalement dans les terroirs nouvellement défrichés, & qui n'ont pas encore été fuffifamment préparés ; les pâturages y font fort maigres & dénués des meilleures efpèces d'herbes; ou s'il s'y en trouve, elles viennent foiblement & en petite quantité. De pareils terroirs ont été des centaines d'années fous des eaux croupiffantes, & leur fonds vifqueux eft mêlé de débris de coquilles & d'autres matières qui ne fauroient contribuer à la végétation.

Comme il vient de fe manifefter dans notre pays une maladie particulière, qui avoit été jusqu'à présent tout-à-fait inconnue, & dont le brisement des os eft un fymptôme; on a commencé à faire des obfervations exactes, tant fur le bétail encore en vie, que fur les os brifés ou amollis des animaux tués, & l'on s'apperçoit que c'est une maladie propre aux os, qui vient de la mauvaife nourriture & de la dépravation des

humeurs.

Quand on conviendroit que la plante de Norwege fe feroit quelquefois rencontrée au printems dans nos pâturages, le bétail n'auroit pu en brourer qu'une quinzaine de jours, pendant lefquels il auroit eu dans les étables de bon fourrage, dont la proportion l'emporte de beaucoup fur le peu d'herbes que la campagne fournit alors. Après cela il broute pendant trois ou quatre mois dans les mêmes pâturages toutes les fortes d'herbes & de plantes qu'ils produifent. Qu'on juge fi la plante en question, dans le cas même de fon exiftence, ne doit pas être pleinement déchargée de toute accufation.

Mais comme la bonté des pâturages va du plus bas degré au plus élevé, il y en a quelquefois qui ne produifent que des plantes fi chétives & fi peu nourriffantes, fans un mêlange fuffifant d'autres meilleures, que le bétail fouffre de la faim, ou eft obligé de fe mal nourrir pendant quelques mois. A la fin fa conftitution s'altère, & les organes de la digeftion s'affoibliffant de plus en plus, tous les fucs nourriciers fe corrompent; ce qui a principalement lieu dans le jeune bétail qui croît à force, & dont les os n'ont pas toute leur confiftance. C'eft en raffemblant toutes ces circonftances que je me propose de donner bientôt dans un autre Mémoire l'hiftoire de cette maladie des os, & d'expliquer les caufes de leur brisement. Les Lecteurs intelligens pourront les deviner d'avance d'après ce que nous avons dit, &

ils n'ajouteront plus aucune foi à la tradition fabuleufe des prétendus effets prodigieux d'une feule plante qu'on a crue nuifible fans aucun fondement.

OBSERVATIONS

Sur la conftruation & l'ufage de l'Eudiomètre de M. FONTANA, & fur quelques propriétés particulières de l'air nitreux adreffées à M. Dominique Beck, Confeiller du Prince Archevêque de Salzbourg, Profeffeur de Mathématique & Phyfique expérimentale, & Membre de plufieurs Sociétés Littéraires;

JE

Par JEAN INGEN-HOUSZ.

E vous envoie, -Monfieur, ces Obfervations, en vous priant de les faire parvenir au Rédacteur du Journal de Physique, fi, après les avoir parcourues, vous les jugez dignes de voir le jour. Comme vous m'avez aidé à faire les expériences qui y font relatives, pendant votre séjour à Vienne en 1782 & 1784, je les foumets fans réferve à votre jugement, & je remets en pleine confiance le manufcrit entre vos mains, pour en faire tel ufage que vous jugerez à propos.

Il feroit à fouhaiter, pour le progrès de la Phyfique, que tous ceux qui confacrent leurs travaux à l'avancement des connoiffances naturelles, ne vouluffent juger de la valeur réelle des découvertes des autres Phyficiens, qu'après avoir examiné eux-mêmes les expériences, qui ont fervi à les faire; & qu'en combattant ces découvertes, ils miffent devant le Public, au lieu d'argumens, ou plutôt de pur verbiage, des expériences bien détaillées, qui prouvaffent clairement les erreurs commifes dans les expériences qu'on avoit prifes pour décifives. Dans le fiècle éclairé où nous vivons, on n'agit plus avec les loix de la nature, comme on en agiffoit dans les fiècles paffés, lorfqu'il fuffifoit fouvent de produire une déclamation pour renverfer une doctrine déjà reçue, ou pour en établir une nouvelle.

On ne demandoit pas des faits, des expériences bien conftatées, qu'on n'étoit pas dans l'ufage de faire. Celui qui étoit le plus éloquent ou avoit acquis le plus d'autorité, faifoit le plus aifément accréditer fes dogmes. Depuis la renaiffance des lettres, & fur-tout au dix-huitième fiècle, on a banni des écoles tout cet étalage de mots; on ne s'attache à préfent qu'aux faits, & toute doctrine, qui n'a pas pour

fondement des expériences réelles, n'eft regardée que comme une pure hypothèfe, & mériteroit d'être entièrement rejetté des ouvrages phy-. fiques. Les argumens appuyés fur des analogies, ne font fouvent pas plus folides que ceux qui n'ont que l'imagination pour guide. Si, par hafard, ils fe rencontrent juftes dans quelques cas, on les trouve fautifs dans un grand nombre d'autres. Si on trouve qu'un inftrument de phyfique, par exemple, une pompe pneumatique dont on fe fert, ne fait pas un vuide affez parfait pour les expériences auxquelles on l'avoit deftinée; il feroit ridicule d'en conclure, que toutes les pompés pneumatiques font inutiles ou ne valent pas plus que celle qu'on a par malheur dans fon cabinet. On a cependant agi ainfi avec les eudiomètres à air nitreux. On les a décriés tous comme incertains & inutiles; & cela pour aucune autre raifon, que parce qu'on fe fervoit d'un inftrument, qui ne donnoit que des résultats très incertains, & qui, par conféquent, ne méritoit pas le nom d'un eudiomètre.

Il me paroît affez inutile d'occuper le lecteur d'un nombre immenfe d'expériences quoique bien détaillées, qui toutes ne prouvent autre chofe, finon que l'inftrument & la méthode employée, ne fervent qu'à induire dans l'erreur. Il vaut tout autant, à mon avis, les taire, & fe contenter de dire qu'on poffède ou qu'on a employé un inftrument phyfique, qui fe trouve être inutile. Il eft vrai qu'un tel aveu, quelque fincère qu'il foit, intéreffe très-peu le public, & ne fert pas beaucoup aux progrès de nos connoiffances. Mais fi on peut démontrer qu'un inftrument déjà adopté comme utile, en eft réellement un qui peut nous induire en erreur plutôt que de nous mener vers la vérité, alors on rend un fervice réel à la république des lettres; & celui qui peut, en décriant avec juftice un inftrument fautif, le remplacer par un meilleur, mérite la reconnoiffance de tous les Savans. On fent bien qu'il feroit peu équitable, comme je viens d'infinuer, fi, en décriant un inftrument où une méthode de l'employer, on ne le condamnoit qu'en alléguant des expériences faites avec un autre inftrument, ou faites d'une autre manière; cela feroit aufli injufte que de vouloir condamner un homme, par la feule raifon qu'il porte le même nom qu'un criminel reconnu pour tel. L'eudiomètre de M. Fontana eft peut-être une des meilleures acquifitions que la phyfique ait faites depuis long-tems; & fi même on pouvoit démontrer l'inutilité de tous les autres inftrumens auxquels on a donné le nom d'eudiomètre, on n'auroit nullement prouvé l'inutilité du fien. Il faut pour en conftater l'inutilité, alléguer des faits bien détaillés, faits avec ce même inftrument, & de la même manière que M. Fontana les fait. Mais jufqu'à-préfent je n'ai pas encore rencontré dans un feul Ecrivain d'autres preuves contre cet eudiomètre que de vagues déclamations appuyées d'aucune expérience faite avec cet inftrument même;

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