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les traditions fabuleufes qui la concernoient, & lui attribuoient, fans aucun fondement, des forces, des effets & une manière d'opérer dont il s'agiffoit d'examiner foigneufement les caufes, afin d'arriver à des vérités qui auroient pu tourner à l'avantage de l'économie des beftiaux, tant dans ces contrées feptentrionales que dans toutes celles de l'Europe où il y a de hautes montagnes !

Combien de femblables objets, très-confidérables, & du plus grand prix pour l'économie rurale, ne font pas demeurés dans cette incertitude, depuis qu'on s'attache à l'Hiftoire Naturelle, & ne demanderoient pas des recherches plus exactes ? Nous fouffrons par-là des pertes dont nous ne fommes pas en droit de nous plaindre, parce que nous négligeons de recourir aux principes que pourroit nous fournir la feule fcience propre à cet effet, & d'employer les moyens & les fecours dont elle eft. la fource, nous abandonnant aveuglément au hazard, dont nous ne fommes pas en état de prévoir & de prévenir les dangereux effets, ou d'y remédier lorfqu'ils exiftent. C'eft donc dans ces cas-là, qu'il faut joindre à l'infpection locale & aux obfervations exactes une faine théorie, qui, en diflipant tous les nuages de l'erreur & des préjugés, nous conduise à l'application & à l'explication des faits obfervés.

Simon Pauli fe borna donc, comme nous l'avons déjà dit, à une defcription imparfaite & remplie de fictions, d'une plante de Norwège qui, dans certains pâturages, eft extrêmement nuifible au bétail, la défignant par le nom de Gramen offifragum, quoiqu'il eût pu dès-lors la nommer plus convenablement & la décrire plus exactement. Mais il recommanda dans fes Ecrits à ceux qui cultivoient la même science de faire des recherches ultérieures fur cette plante; & en conféquence ils lui rapportèrent que le bétail de Norwège qui broutoit cette herbe, en avoit les os brifés & les jambes caffées. Pauli fe fiant là-deffus, & ne prenant aucun foin de vérifier ces faits, appela d'abord la. plante en question, Gramen Norwegicum polyrrhizon; & fur des affurances ultérieures qu'on lui donna de fes effets fufdits, il fe décida pour le nom de Gramen offifragum Norwegicum. Dans la persuasion où il étoit à cet égard, il imagina une théorie tout-à-fait fingulière, & qui lui eft propre, par laquelle il prétendoit tendre les prétendus faits vraisemblables; mais fes idées font fi abfurdes, & tellement au-dessous de toute critique, qu'il feroit fuperflu d'en faire la moindre mention.

Faute de meilleures notices, ce nom a fubfifté jufqu'ici dans les Ouvrages de Botanique, parmi d'autres dénominations beaucoup meilleures, & l'on s'eft contenté de renvoyer au témoignage de Simon Pauli, qui, s'il avoit été à portée de faire des recherches plus exactes, ne l'auroit fans doute pas confervé. Car d'après tous les caractères naturels qui s'offrent aux yeux de quiconque regarde cette plante,

on ne fauroit la prendre pour une herbe. Les Botanistes avoient déjà vu, avant Simon Pauli, la néceffité de changer ce nom; & fes contemporains, auffi bien que ceux qui font venus après lui, ont porté le même jugement.

Dans combien d'erreurs ne tomberoit-on pas, fi l'on vouloit s'en tenir aux idées confufes & aux expreffions vagues du vulgaire, qui comprend indistinctement fous le nom d'herbes, tout ce qui croit pêlemêle dans les pâturages? Cette dénomination peut bien fe rapporter à la bonté & à la falubrité de ces diverfes productions; mais il n'ya que les Ouvrages économiques modernes qui puiffent fournir à cet égard des directions affurées.

dit

Pour revenir à la plante qui fait l'objet de ce Mémoire, nous avons que Simon Pauli lui a donné le nom de Gramen offifragum. Thomas Bartholin jugea qu'il étoit néceffaire d'en donner l'idee par une dénomination plus exacte; & il choifit celle d'Afphodelum paludofum. f. Gramen offifragum innoxium qu'on trouve dans les Aa. Med. Danic. Vol. II. Obf. 130. Dans la fuite, tant par l'examen de la structure des fleurs, que par la comparaifon des autres parties de la plante avec les herbes, il a paru qu'elle appartenoit à l'ordre naturel des planres liliacées; & tous les Botaniftes ont adopté cette idée.

M. de Linné a placé cette plante avec quelques efpèces des Asphodeles, des Phalangi, & des Pfeudo-Afphodeles des Botanistes précédens, en déterminant plus exactement quelques circonftances relatives à la fleur & au fruit, fous le genre Anthericum; & voici les defcriptions qu'il en a fournies aux connoiffeurs dans fes Gen. Plant. édit. 6, p. 167, n. 422, & dans fes Spec. Plant, édit. 2, tom, 2, P. 447, n. 13.

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ANTHERICUM (offifragum) foliis enfiformibus, filamentis lanatis. Linn. Sp. pl. 2, p. 446. Anthericum fcapo foliofo, laxe fpicato, filamentis villofis, Flor. Lapon. 136. Anthericum filamentis glabris. Haller. Hift. ftirp. Helv. 2, n. 1205, p. 99.

Afphodelus luteus paluftris S. VII. Tabern. Hift. Lib. III. cap. 7. Afphodelus luteus, folio Acori paluftris, anglicus. Lob. Icon. 47. Tab. 126, p. 192.

Pfeudo-Afphodelus I. II. Cluf. Pannon. 262. Hift. 189. cum fig. bon. Pfeudo-afphodelus paluftris anglicus. C. Bauhin. Pin. 29, & paluftris alpinus fcoticus, n. 9, & alpinus, n. 10, vid. Theatr. 152, & Cont. Bafil. 18. Pfeudo-Afphodelus pumilio. Morifon. Hift. Oxon. p. 233. Ffeudo - Afphodelus, luteus, Acori folio, paluftris vulgaris noftras. Raji Hift. 119, cum varietate minore. Phalangium paluftre, Iridis folio. Joun. Inft. 368, & Scoticum ejufd. vid. Scheucchzer It. II, p. 139.

Narthecium. V. Gorter, flor. Bel. p. 70. Gerhard, flor. Gall. Prov.

p. 149. Narthecium Moehring. Ephem. Nat. Cur. 1742, p. 389. Tab. V. fig. 1. Wachtend. Ultraject. p. 303.

Beengras. Knochenbruchgras. Sturrgras. Geeiwaffer - asfodele, oder Asfodillen-Wurtz. Maeglein Blumen.

Cette plante croît communément dans les marais, même dans ceux qui font un peu defléchés, pierreux, dont le fond eft froid & recou vert de mouffe, auffi bien que dans les terroirs ftériles fitués à l'ombre, fur les éminences garnies de mouffe, auffi bien que dans les prairies baffes & humides autour des eaux croupiffantes. On en rencontre auffi entre les collines à l'ombre, qui font revêtues de petits buiffons ifolés, de mouffe, ou d'une herbe courte, dure & déliée. Il y a des endroits où elle croît de meilleure heure ; ce font ceux où l'humidité règne continuellement, qui ne produifent de l'herbe que fort tard, & qui ont un fond qu'on appelle fauvage; dans les Alpes inférieures, fur les collines mitoyennes, fur-tout des côtés nord & nord-eft.

Suivant les récits historiques, cette plante vient en Sibérie, en Laponie; en Norwege, en Danemarc, en Suède, en Ruffie, en Pologne, dans la Pruffe, tant orientale qu'occidentale, dans plufieurs contrées de la Suiffe, du Tyrol, fur les montagnes de l'Autriche, de la Stirie, de la Hongrie & autres, comme auffi dans les terroirs anologues d'Italie. Autrefois elle n'étoit pas rare dans la Marche électorale de Brandebourg; on la trouvoit tous les ans dans les prairies de Berlin & de Fridrichsfelde; mais elle a ceffé d'y croître, auffi bien qu'en divers lieux, depuis qu'on a defféché les bas-fonds, froids, humides & marécageux, en faifant écouler leurs eaux dans des foffés. Dans d'autres terroirs fufdits, la figure, la grandeur & la couleur de la plante ont fouffert des changemens, qui donnent lieu de ne pas s'étonner de ce que les Botaniftes de différens pays en ont déduit trois ou quatre efpèces, au-delà de celles que la Nature produit.

1.

Nous indiquerons à cette occafion en peu de mots le treizième genre, nommé par Linné Anthericum calyculatum, dont M. Gmelin a donné une courte defcription tirée des Mémoires de Steller, dans fa Flor. Sibir. page 73, Tab. 18, Fig. 2, fous le nom d'Anthericum foliis enfiformibus, perianthiis trilobis, filamentis glabris. Cette plante étoit encore alors regardée comme une véritable efpèce naturelle, tout-à-fait différente des fufnommées. Quoique je n'aie pas deffein de propofer ici dans toute leur étendue mes doutes contre cette opinion, je crois pourtant devoir dire que je possède dans mon herbier de plantes sèches, quelques pièces que je conferve avec d'autres comme un préfent du grand 'Haller, qui les avoit tirés du Vetliberg. Or, ces plantes offrent plufieurs caractères manifeftes, qui obligent tout Botanifte expert à les regarder comme des variétés monftrueufes, plutôt que comme une espèce particulière de l'Anthericum offifragum. J'ai pareillement fous les yeux plufieurs

plantes monftrueufes de l'Antirrhinus Linaria, de l'Elatine, de la Scrophularia nodofa, de la Lifimachie vulgaire, de l'Aquilégie & de l'Aragallite.

L'Anthericun offifragum, Linn. qui, à l'entrée du printems, croît dans des terroirs où les meilleures espèces d'herbes, tendres, fucculentes & douces, germent à peine, pouffe dans le gazon court une racine noueufe, blanche & forte, qui jette tout autour d'elle une quantité confidérable de fibres & de filamens blancs & déliés; en été elle s'étend encore davantage, & pouffe des rejettons qui, comme ceux de quelques autres herbes, font des tiges à part, & produifent des racines.

Au commencement de juin la plante prend la forme d'un fort buiffon, garni de feuilles roides & redreffées, dont celles d'en-haut font courtes & fortes, & celles du milieu beaucoup plus longues, fans aller cependant jamais au-delà de la longueur d'un doigt. Elles n'ont toutes qu'environ deux lignes. de largeur. Elles font, comme les herbes & plufieurs espèces de lis, fans queues, fe réuniffant enfemble & s'enveloppant réciproquement par leurs extrémités, en forme de fourreau. Une confidération fuperficielle de ces plantes a pu occafionner la première & fauffe dénomination que leur ont donnée des gens peu verfés dans la Botanique.

Dans les bons terroirs la couleur des feuilles & de la tige eft d'un beau verd & luifante; mais à mesure que la plante vieillit & fe deffeche, elle pâlit & jaunit. Quand ces feuilles font dans leur force & leur roideur, elles font rayées comme celles du Glaïeul, & reffemblent quant au refte à celles du Carix aculeatus.

Au milieu de juillet, on voit ordinairement fortir des bouquets épais de feuilles divers rejettons fans feuilles & de longues tiges avec des feuilles dont à la façon des herbes elles font garnies depuis le bas jufques vers le milieu. Quand cela ceffe, ces tiges fe revêtent alternativement de petites & courtes pointes, qui s'étendent jufqu'en haut au-deffous de la pointe des fleurs, & qu'on trouve entre les diverses tiges des Aeurs.

La pointe des fleurs d'un verd jaunâtre, couleur de cire, ou du moins fort pâle, devient quelquefois prefque blanchâtre, & tantôt elle est Courte, ronde & ferrée, tantôt plus longue, & plus lâche & plus déliée. La fleur s'épanouit pendant l'autre moitié du mois jufqu'à l'entrée du fuivant. Ces fleurs, au moins la plupart, s'ouvrent tantôt plus, tantôt moins, & font en forme d'étoile, plus grande ou plus petite. Leur ftructure eft conforme à la defcription qu'en a donné M. de Linné, qui a fait en même tems diverfes remarques relatives à la forme des capfules & des petites femences polies & rondes qui y font renfermées; ce qu'il range parmi les caractères génériques de l'Anthericum. Les femences exiftent chez nous au commencement d'août, On peut chercher les

defcriptions exactes, mais courtes, de notre plante dans Clufius, Gafp. Bauhin, Moehring & Haller.

Quant à fon odeur, je n'y en ai point remarqué de fenfible, fi ce n'eft lorfqu'on jette dans l'eau bouillante les feuilles, tiges, & racines defléchées & dures; alors il s'en exhale une odeur balfamique, comme celle du miel ou de la cire, mais tort foible. Je n'ai pas eu occafion d'y découvrir des parties conftituantes volatiles; il faudroit qu'il exiftât dans la plante fraîche quelques traces d'une acidité qui n'eft plus fenfible dans la plante sèche.

Le goût des feuilles & des tiges sèches qui a de l'amertume & quelque âcreté dans la plante verte & fraîche, en conferve quelque chofe après l'infufion de la plante sèche dans l'eau bouillante, mais fort foiblement ; cette liqueur caufe feulement une légère contraction dans la bouche, qui la defsèche, mais fans âcreté. Cette infufion eft fort claire, & quand on l'a bien faturée, fa couleur eft d'un jaune de fafran. Il eft probable que l'efprit-de-vin la rendroit plus foncée. Cette couleur confirme la tradition fur l'ancien ufage de cette plante, dont les jeunes personnes du fexe employoient autrefois en Angleterre la décoction dans l'eau pour rendre leurs cheveux d'un beau jaune. Une queftion à examiner féparément, c'est fi cette plante peut être comptée parmi celles qui fervent à la teinture, comme la racine de la garance & quantité d'autres analogues, & fi elle auroit la force de colorer les os des jeunes animaux qui s'en nourriroient, ou d'y caufer quelqu'autre changement fenfible.

peut

De-là on pafferoit à rechercher fi le jeune bétail qui broute cette herbe pendant la courte durée du printems, pourroit en être affecté de manière que cela amolliffe fes os, ou les rende caffans; ou plutôt s'il ne furvient point quelque maladie à laquelle il faut attribuer ces effets. Cela aufli venir de quelque caufe extérieure, foit qu'elle ait de la liaison avec les précédentes, ou n'en ait point. Rien n'eft plus néceflaire que d'obferver attentivement certains accidens, rares à la vérité, mais qui tiennent pourtant aux caufes naturelles, & qui, fans qu'on s'en apperçoive, fe manifeftent dans certains beftiaux qui paiffent avec le reste troupeau dans le même pâturage. Mais ce qui n'eft pas moins effentiel, c'eft de démêler, parmi le grand nombre de caufes plus ou moins vraifemblables de ces accidens, celles qu'on doit raifonnablement préférer.. On ne fauroit y parvenir que par de longues & judicieuses obfervations, qui, étant fubordonnées à une faine théorie, peuvent feules conduire à la

du

vérité.

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Thomas Bartholin, dans les Act. Haff. Vol. II. Obferv. 130, JeanFrédéric Marchalck, ibid. pag. 232, Jean Treubler le Docteur Moehring, dans les Ephem. Nat. Cur. de 1742, pag. 383, Pontoppidan, dans fon Hift. Natur. de Norwege & de Danemarc, & M. de Haller, dans fon Hift ftirp. Helvet. emploient le raifonnement & l'expérience

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