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champ de bataille ils entendoient les cris aigus de leurs femmes, de leurs enfans; & en outre chaque peloton armé étoit compoté de guerriers tous parens, du moins tous amis & habitant le même canton. On conduifoit les bleffés & les mourans à leurs époufes, à leurs fœurs, habiles dans l'art de panfer les plaies & de les fucer, ce dont elles s'acquittoient, non pas feulement fans répugnance & fans crainte de la contagion, mais encore avec une force & une conftance égales à l'héroïsme de leurs défenfeurs. Loin d'accroître les embarras du voyage, leurs femmes, leurs filles, leurs foeurs arrêtèrent plus d'une fois une déroute, &, par leurs reproches ou leurs encouragemens pathé tiques, firent retourner au combat leurs maris & leurs frères,

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Les Gaulois alloient tous à la guerre, fans exception d'âge ni de condition. Ils coupoient la tête à leurs ennemis, & la portoient, ainsi que nous, au bout d'une pique. Un Germain n'étoit armé que quand fes concitoyens ne le jugeoient pas indigne de porter les armes; & de moment il ne les quittoit plus. Le jeune homme non encore agréé pour fervir fa patrie, étoit préfenté par fon père dans l'affemblée du peuple; & là il recevoit folennellement la pique nationale.

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Chaque général étoit ordinairement accompagné par tout d'une foule de jeunes gens, plus ou moins confidérable, felon fa réputation. Ce n'étoient point les pages d'un defpote, ou la clientelle armée d'un dictateur; c'étoient des élèves de Mars qui faifoient leur apprentif fage fous un chef expérimenté; & l'honneur de cette troupe confiftoit à périr tous jufqu'au dernier, avant de laiffer leur général aux mains de l'ennemi.

Les Germains, nos premiers pères, auroient rougi de s'enfermer dans une ville ceinte de fortes murailles, ou défendue par un camp retranché ; & les Romains ne vinrent pas plus tôt à bout pour cela de les fubjuguer.

Dans leurs affemblées nationales, compofées de tous les citoyens en perfonne, l'avis d'un homme fans repro che avoit la préférence fur les confeils d'un opinant de mœurs fufpectes, fuffent-ils d'ailleurs mieux motivés.

Si leur police criminelle fe fentoit de la rudeffe de leurs ufages, elle étoit remarquable par un grand caractère d'équité & de convenance; ils étouffoient dans un bourbier les poltrons, les fainéans & les corrupteurs du fexe,

Leurs mœurs domeftiques méritent toute notre attention. Ils ne demandoient à leurs épouíes qu'un trousseau, point de dot. Sans doute que nos légiflateurs pèferont dans leur fageffe tout ce que cette difpofition a de louable, quand ils en feront au code matrimonial. Un citoyen qui confent à fe laiffer enrichir par la femme qu'il prend, eft né pour un autre joug encore que celui du mariage.

Si la famille de l'époufée jouiffoit de quelque fuperflu, elle faifoit fon préfent de noces, qui étoit ordinairement un bœuf de labour ou un cheval de bataille prêt à recevoir fon cavalier, ou une pique d'une fabrique remarquable; mais point de repas de noces difpendieux, point de fêtes humiliantes pour les voifins pauvres, point de mauvaifes plaifanteries, ou de propos équivoques. Le Germain étoit grave jufque dans le plaifir, & le ménage répondoit à ces préliminaires. L'époufe étoit laborieufe & fobre, modefte & foumife. On connoiffoit à peine l'adultère la coupable avoit les cheveux rafés de la main de fon mari, & chaffée toute nue. Une fille qui s'étoit permis une foibleffe, étoit encore plus févérement punie; elle n'avoit plus l'efpoir de trouver un mari: & Tacite le premier peut-être des hiftoriens, fait à ce fujet cette réflexion digne de remarque: les bonnes mœurs ont plus de pouvoir fur les peuples libres, qu'on appelle barbares, que n'en ont les bonnes loix fur des nations plus civilifées.

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L'éducation de leurs enfans étoit bien propre à en faire des hommes: on n'emprifonnoit leurs membres dans aucun vêtement; leurs mères feules les allaitoient, & ne confioient jamais à des mains mercenaires les foins du premier âge. Les fils de famille étoient élevés pêle mêle avec les ferviteurs de la maison ; la continence leur étoit recommandée & religieufement obfervée par eux; ils ne s'épuifoient point par l'ufage précoce & inmodéré des jouiffances conjugales. Les unions attendoient la maturité du tempérament, en forte que les plus robuftes ne mettoient au jour que des citoyens qui leur reffembloient. En Germanie (dit textuellement le peintre des hommes ) on ne gagne rien à fe trouver fans enfans.

Les Germains étoient hofpitaliers; on se préfentoit à leur table fans y être invité, & on y étoit bien reçu. Si la maison où vous adreffiez étoit pauvre, ou peu fournie pour le moment des chofes néceffaires à la vie, on vous conduifoit chez le voifin qui favoit gré à

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fon voifin de lui avoir amené un convive. On fervoit
frugalement, mais on ne manquoit de rien. Le temps du
repas ne fe confumait point en vain cérémonial ou en
propos niais; on y paffoit en revue les perfonnes & les
évenemens les généraux d'armée, les magiftrats du
peuple; & le vin ou telle autre liqueur fermentée donnoit
leffor à la franchife & délioit les langues. La salle à
manger leur fervoit de club: c'est là qu'ils préparoient
fans morgue les matières les plus graves qui devoient
être agitées & réfolues dans leurs affemblées générales.

Les Germains avoient des fpectacles. Ce n'étoient point
des pantomimes laffives ou des drames langoureux. Les
jeunes gens nus fautoient en folâtránt, å travers des
piques hériffées fur eux; & cet exercice demandoit tout
à la fois beaucoup d'adreffe & d'agilité, beaucoup de
courage & de présence d'efprit.

Ils avoient des ferviteurs pour les aider au peu de culture qu'ils faifoient; mais dans l'intérieur des ménages, la mère de famille & fes enfansen rempliffoient l'office; & nous prions nos lecteurs de ne pas perdre de vue ce trait d'économie domeftique. Une nation qui fe propofe d'être libre long-temps, ne doit pas fouffrir dans ton fein une valetaille nombreufe.

Un autre trait du tableau des Germains, que nous de vons nous hâter d'appliquer à notre pofition, autant & auffi vite que poffible, c'eft que chaque citoyen ne poffédoit en terres que ce qu'il pouvoit en cultiver avec fes enfans, ou en faire cultiver par un petit nombre de fer

viteurs.

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Comme 3 par une conféquence immédiate de l'égalité - fociale, les fortunes particulières doivent être tôt ou tard nivelées, les excès & les abus, fuite néceffaire de l'opulence. fans bornes, difparoîtront en même temps pour faire place au bien-être de tous.

Leurs funérailles étoient fans pompe, & leurs tombeaux fans fafte; c'étoit pour l'ordinaire un tertre de gazon; mais ce petit momument ruftique étoit arrofé de larmes qu'on refuse au marbre & à l'airain de nos infolens maufolées.

Nous nous propofions d'abord de tracer l'efquiffe des, mœurs qui conviennent à la république françaite, quand nous nous fommes rappelé celles de nos premiers aïeux, dont

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le régime politique n'étoit pas, il eft vrai, tout-à-fait républicain, mais ils en avoient l'efprit & les vertus.

Qu'on n'aille pas confondre ces bons Germains, fi fiers de leur indépendance, avec les nations ferviles qui occupent en ce moment les contrées qu'ils habitoient avant de franchir le Rhin pour venir s'établir dans les Gaules, fur les rives de la Seine & de la Loire. Ils n'ont jamais eu rien de commun avec ces Allemands & ces Pruffiens, originaires du nord de l'Europe, & auxquels Brunswick, Guillaume & François vouloient faireprendre leurs quartiers d'hiver en France. Puiffionsnous mériter bientôt à notre tour qu'un autre Tacite s'occupe de nous, & confacre fes pinceaux à transmet re à nos neveux nos principes & nos moeurs comme des leçons & des exemples!.

Nous l'avouerons, nous nous étions attendus que nos députés à la convention donneroient à leurs contemporains les premières leçons & les premiers exemples du défintéreffement & de la modération que nous admirons dans les magiftrats de la république chez les Gaulois & les Romains. Après avoir annoncé folennellement l'abolition de Ja royauté, leur devoir étoit peut-être de déclarer au peuple, à qui les plus grands facrifices n'ont rien coûté, qu'ils fe réduifoient eux-mêmes à la moitié de leurs indemnités (1). Il en avoit été queftion un moment parmi les électeurs de Paris; mais la plupart avoient pris l'alarme, & déjà l'un d'eux s'étoit écrié 9 liv. !.. c'est mettre à un tux bien bas le temps & les lumières de légiflateurs tels

que nous.

N'en déplaise à ces Meffieurs, une pistole, tout au plus, par jour doit fuffire à des législateurs teis qu'il nous en faut; & cette réduction n'a jamais été plus à propos, maintenant que le décret en faveur du marc d'argent, cette barrière odieufe élevée entre le riche & le pauvre, eft pour jamais abrogée & laiffe à l'un & à l'autre la concurrence

(1) On parle de réduire auffi à 30,000 liv. les gages du maire de Paris, & à 3000 liv. ceux du procureur de la commune. Les républiques économes ont fubfifté plus long-temps que les autres; le gaspillage ne convient qu'à la cour des rois.

à toutes les places de la république. Un représentant du peuple à qui il faut plus d'une piftole pour les befoins de fa journée, eft fufpect par cela feul, & n'annonce pas la tempérance des mœurs de Fabius, qui vivoit affurément bien fans avoir 20 deniers (2) romains à dépenser par jour. Les véritables grands hommes de la république dont Fabius étoit citoyen, les fénateurs intègres, les bons capitaines fe font trouvés dans le fiècle où la frugalité étoit le plus en honneur. A l'armée, Lafayette rendit hommage un moment aux moeurs républicaines, en renonçant fous fa tente à tout luxe de table & d'équipage. L'hypocrite! c'étoit pour trahir fa patrie en toute fécurité. Arthur Dillon ne fe fert pas des mêmes moyens, car il étale tout le fafte afiatique de nos généraux de l'ancien régime.

Nos légiflateurs & nos miniftres peuvent faire pour les moeurs républicaines beaucoup plus par leurs procédés négatifs que par des loix pofitives. Par exemple, à l'occafion d'un fuccès à la guerre, en laiffant aux généraux & à leurs foldats le choix entre le Te Deum des prêtres & l'Hymne à la Liberté, des Marfeillois, ils ont frappé d'un coup indirect, mais sûr, ce fot ufage de rapporter à un êire placé hors du monde, tout l'honneur d'une bataille gagnée par des troupes difciplinées & valeureufes, fous les ordres d'un chef patriote & prudent.

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Plus que tout cela encore l'éducation mettra le fceau aux mœurs républicaines; & fous ce point de vue il eft peut-être heureux que nos députés conftituans ne s'en foient pas occupés. Ces meffieurs ont gâté la plupart des chofes qu'ils ont touchée; mais l'inftruction nationale demande à être organifée tout de fuite, à préfent que nous tenons dans nos mains le timon d'un vernement vraiment libre: il n'y a pas de temps à perdre; car il eft indifpenfable de faire marcher de front.

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(2) Le denier romain valoit dix fous de notre monnoie; par conféquent une piftole ou dix liv. tournois de France étoit représentée par 20 deniers romains.

On fait que Fabius le plus fouvent n'avoit fur fa table que des oignons cuits dans de l'eau & du sel.

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