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jours paffés à Chambery, le temps m'a manqué pour entrer dans les détails que je vous dois.

» Je vous ai inftruit que j'avois envoyé M. de Roffi occuper les débouchés des Bauges dans la Maurienne & dans la Tarantaife, en fe portant fur Miolans & fur Conflans; il y est en force.

Pendant que M. de Roffy s'avance par la vallée de Montmellian, j'ai fait entrer dans les Bauges M. de Caza Bianca avec mon avant-garde. J'ai reçu de fes nouvelles de Chatelard, c'eft-à-dire du fond des Bauges; elles font totalement évacuées; il n'y refte que les magafins, auxquels on n'a pas eu le temps de toucher, & des caiffons d'effets de tout genre abandonnés; on en dreffe l'inventaire, que je vous enverrai inceffamment; il groffit tous les jours, & vous en ferez étonné vous-même. J'ai deux pièces de canon de huit de plus; le nombre de celles déjà prifes fe monte à dix; elles feront ce foir leur entrée à Chambéry, au moment où on y plantera l'arbre de la Liberté.

La quantité de poudre & de bled dont nous nous fommes emparés eft bien confidérable. S'il eût été poffible de fuivre avec rapidité l'ennemi dans un pays où les difficultés font incroyables, la déroute étoit telle que tout auroit été pris; mais elle a été fi rapide, qu'il n'y a pas eu moyen de le joindre.

Les Piémontais ont tous passé le pont de Conflans, et l'ont coupé. J'attends des nouvelles de M. de Roffy. Je joins ici l'itinéraire de la fuite des Piémontais; elle a été la même dans tous les points, même les plus éloignés de leurs frontières. Cet itinéraire ne parle que de ce qui a passé dans les Bauges; c'eft le tiers de ce qu'ils avaient en Savoie.

» M. Caza-Bianca achève aujourd'hui de balayer les Bauges. Il en sortira ce soir ou demain par Saint-Pierre d'Albigny, où il joindra M. de Roffy, pour le feconder dans le refte de fon opération.

» J'ai l'honneur de vous envoyer, par ce même courrier, cent exemplaires de mon manifefte ».

Le général de l'armée du midi. Signé, MONTESQUIOU. Lettre des admnistrateurs du département du Nord. Douay, ce 3 octobre, trois heures du matin. Citoyen préfident, par des lettres cijointes vous verrez le tableau affligeant de la fituation de Lille. Depuis trois jours cette malheureufe ville eft en proie aux flammes. Deux ou trois cents maifons font déjà brûlées. Plufieurs rues ont difparu, & les corps adminiftratifs feront bientôt réduits à tenir leurs féances dans la place publique; tous ces malheurs font une fuite de la levée du camp de Maulde. Depuis trois mois nos campagnes font défolées & livrées à tous les ravages qu'entraîne après foi une guerre dont l'hiftoire ne fournit point d'exemple. L'ennemi s'eft emparé de tous les poftes avantageux qui font aux environs; nous

ne pouvons faire aucune fortie, & nos foldats font obligés de refter enchaînés dans l'intérieur de nos murailles, Nous avons depuis long-temps follicité des fecours aux généraux, & nous n'en avons point reçu. Il eft exttaordinaire que 18,000 hommes tiennent en échec une ville que 50,000 hommes n'auroient pas ofé en d'autres temps approcher.

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Lettre des adminiftrateurs du diftrict de Lille, aux adminißrateurs du département du Nord réfidens à Douay, ce 2 octobre. L'ennemi cont tinue fon feu. Jamais il n'a été plus vif. Les bombes éclatent fur nos têtes, & plus de 200 maifons font réduites en cendres. L'hôpital général & la maifon commune font les lieux que l'ennemi cherche avec le plus d'acharnement à détruire.

La rue de Saint-Sauveur n'existe plus, & l'églife eft en feu; ce feroit une perte irréparable fi l'hôpital de Saint-Sauveur étoit confumé par l'iucendie. Le peuple ne fe laiffe point abattre par tous ces défaftres, & par tous les monceaux de ruines & de cendres qui l'environnent. Après que toutes ces maifons auront été brûlées, il fe réunira avec nous fur la place publique, & là nous délibérerons encore fur les moyens de fauver une ville de la confervation de laquelle dépend peut-être le falut de la république.

Seconde lettre des mêmes. Depuis notre dernière lettre, le feu de l'ennemi n'a point ceffé. L'église de Saint-Etienne a été brûlée; heureusement les effets précieux en ont été retirés. Un capitaine d'artillerie nous a affuré avoir mis hors d'état de tirer cinq batteries dreffées par les Autrichiens. Tout eft détruit depuis NotreDame jufqu'à l'hôtel de la maison commune; nous fommes dans l'impoffibilité de faire des forties; mais quel que doive être notre fort, nous refterons fermes & inébranlablement attachés à la liberté de notre république.

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Troifième lettre des mêmes. Nos malheurs n'ont point encore de terme. Tel eft l'état affiigeant de la fituation de notre ville, qu'un fils réclame un père, un époux fon épouse, une fille fa mère; mais tous finiffent en difant: Ils auront beau faire, les fcélérats, ils n'auront la ville. La nation eft juste: patience & courage. La guerre qu'on nous fait eft une guerre de bandits & de fcélérats, puifqu'il eft inoui que fans faire un fiége régulier, avant que la brèche ne foit faite, on lance des bombes eft des boulets rouges fur une place. Nos payfans font forcés par les Autrichiens à travailler à leurs retranchemens; leurs falaires font les coups de bâtons & de plats de fabre dont on les accable. S'ils prennent la fuite ils font fufillés. Nous allons prendre toutes fortes de précautions afin que 2000 livres de bled qui nous viennent de Béthune, nous arrivent heureufement; le feu s'eft un peu rallenti pendant la nuit dernière, mais il fera terrible la nuit prochaine, parce que l'ennemi vient de dreffer une nouvelle batteric.

Du refte, comptez fur nous, nous ne broncherons jamais. Nous avons 200 maifons brûlées & 2,000 endommagées.

Voilà douc les maux qu'a entraînés la levée du camp de Maulde. On dit que Dumourier, manquant de forces pour réfifter à l'ennemi en préfence duquel il étoit, & connoiffant la valeur des troupes qui compofoient ce camp, a été obligé de le faire lever pour renforcer fon armée. Soit; mais étoit-il donc phyfiquement impoffible, en levant le camp de Maulde, d'empêcher l'irruption des Autrichiens dans nos campagnes? Ne prévoyoit-on pas les horreurs

qu'ils y commettroient; & falloit-il livrer quarante com munes à la férocité de ces brigands? Le général Moreton eft refponfable fur la tête des défaftres de la Flandre : il a levé le camp de Maulde contre toutes les règles, & avec une négligence inouie; il devoit tout faire pour cou-, vrir la frontière qu'il a laiffée dégarnie & ouverte. Il n'y a pas de milieu, c'eft un ignorant ou un traître.

Et cette malheureufe ville de Lille, que 20 mille hommes commandés par Albert de Saxe, ofent tenir affiégée, & dont ils ne feront qu'un monceau de cendres, cette ville, devant laquelle le prince Eugène refta en vain pendant fix mois avec cent mille foldats! qu'on nous dife par quelle fatalité cinquante mille hommes ne font pas encore là pour exterminer ces Autrichiens qui la défolent ! & cependant les courageux habitans de cette cité réclament des fecours depuis trois femaines, & pér ffent en les attendant.

Quartier général de Sainte-Menehould, le 30 septembre 1792, Pan premier de la republique. La correfpondance avec Verdun eft pour ainfi dire coupée. Vingt-fept voitures de vivres & cent cinq prifonniers étoient amenés au camp au départ du courrier. Soixante voitures de pain avoient été prifes par nos huffards, & e les étoient à nous fi le bataillon de la fection des Lombards eût foutenu le convoi; mais à l'approche d'un efcad: on ennemi il a pris la fuite, en criant qu'on vouloit le conduire à la boucherie.

Sans cette conduite pufillanime & indigne du nom honorable que ce bataillon devoit foutenir jufqu'à la mort cette capture ne nous auroit pas été ravie. Nos huffards, ne fe trouvant pas en force, ont coupé les jarrets à quarante chevaux, & n'ont pu amener que fept de ces voitures. Vingt-cinq volontaires de ce bataillon ont eu la tête rafée, & ont été chaffés ignominieufement, après avoir été dépouillés de leurs habits. . . .

Châlons, le 4 octobre, à onze heures du foir, l'an premier. de la république françaife. La ville de Chalons eft toujours au même dégré de patriotifme. Hier, nous avons proclamés la république, & les rues étoient défertes: nous étions obligés de crier nous-mêmes Vive la république. Le contraire a eu lieu dans le camp; tous les volontaires ont manifefté les fentimens d'hommes dignes de la caufe qu'ils défendent.

L'armée de Châlons eft divifée en deux camps. Celui que vous connoiffez, où il y a fix ou fept bataillons & un autre à l'Epine, fous le commandement du généșal Saint-Jean, où il y a quatre bataillons, les huffards

de la mort & un détachement de gendarmerie. Les bataillons campés à l'Epine font, Popincour, Seine inferieure, Compiegne & le Gard. Ce dernier montre une difcipline & une tenue qui le fait admirer. Il y a beaucoup de citoyens dans ces bataillons, qui font prefque nus : on leur fait faire des pantalons & des veftes chaudes. Il y a eu avant-hier, dans ce camp, un événement malheureux. Un payfan eft arrêté par je ne fais qui on dit qu'il fournit de la farine aux émigrés; on lui coupe la tête; on veut jeter bas un moulin à vent qui fe trouve au milieu du camp, parce que, dit-on, il appartient à un émigré. Nous volons fur les lieux, nous calmons les efprits, & le moulin eft confervé. Il paroît que ce malheureux étoit innocent.

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Le camp où étoient les Pruffiens eft jonché de cadade chevaux & d'hommes. Le département va les faire enterrer. Les villages qu'ils ont évacués font réduits à la dernière des misères; ils ont infecté les puits & les rivières, en y jetant les cadavres & les chevaux. On trouve dans les villages des malheureux tellement exténués, qu'ils périffent d'inanition, n'ayant pas la force d'aller dans les villages voifins pour fe procurer des alimens. On diftinguoit parmi les émigrés les prêtres qui s'adreffoient aux enfans & leur demandoient fi leur nouveau curé étoit de telle ou telle manière, qu'il étoit un fcélérat, &c. Des fermiers-généraux parloient gabelle, les nobles, chaffes, & s'occupoient déjà des moyens de punir les patriotes; ils difoient fur-tout qu'ils ne feroient aucun mal, jufqu'à ce qu'ils euffent bien rétabli l'ordre; mais qu'alors ils feroient pendre tous ceux qui avoient combattu contre eux. Voilà les chimères dont on les entendoit s'occuper.

Des charretiers qu'ils avoient arrêtés & qui fe- font échappés, ont dit avoir vu maffacrer de leurs camarades.

Par-tout ils ont brûlé toutes les loix nouvelles qu'ils ont trouvées, foit aux archives des municipalités, foit chez les adminiftrateurs. Un adminiftrateur du district de Châlons, d'un village au-deffus de Suippe, avoit caché les loix qu'il avoit dans l'églife & chez le maître d'école. Ils ont pris le maître d'école pour l'adminiftrateur, & l'ont roffé, ainfi que fa femme, qui ne vouloit pas leur dire l'endroit de l'églife où étoient déposés les autres papiers.

L'armée Kellermann eft à Suippe.

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Les huffards de Chamboran font l'admiration de l'ar mée Avant-hier, trente huffards ont pris foixante & quelques houlans. Leur commandant ne voulant pas fe rendre, s'eft battu corps à corps avec le commandant des huffards celui-ci lui a paffé fon fabre à travers la poitrine.

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Les villages depuis Châlons jufqu'à Reims, font tous les foirs des patrouilles pour la sûreté de leurs propriétés. Voici l'ordre établi dans cette contrée. Sonner le tocfin à la première entrevue d'un houlan; répéter le. tocfin dans toutes les paroiffes, & courir de toutes parts & avec toutes espèces d'armes à l'endroit d'alarme. Quand on a ainfi fonné la cloche, tous les villages ont pris les armes, & avant une heure trois mille hommes fe trouvoient à l'endroit menacé. J'avois fait lever tous les madriers des ponts de la rivière de Vefle. Au moment où je caufois avec le maire du village de Cormelai, vint m'avertir qn'un très fort détachement de hulans venoit; je n'eus que le temps de fortir : je faute à cheval; & à peine étois-je forti, qu'ils arrivèrent heureufement j'avois un bon cheval.

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Vive la république! CELLIER, commiffaire du pouvoir exécutif.

Du comité de furveillance de la commune.

Des momens de crife & d'orage juftifient les mesures qu'un temps de calme & de tranquillité reprouveroit; la néceffité eft au-deflus de toutes les loix, ou, ce qui eft la même chofe, la loi fuprême eft le falut du peuple. Certes, au milieu des noirs complots dont nous avons failli être victimes, il étoit néceffaire & jufte, par confèquent, d'établir des commiffions qui fuffent chargées dans le filence d'en faifir la trame, de la fuivre dans toutes fon étendue, & de s'affurer provifoirement de toutes les perfonnes véritablement fufpectes, afin d'arrêter le bras de nos ennemis. Ce temps de crise n'eft pas paffé il y a plus; c'est qu'on doit s'attendre à voir encore, pendant quelques mois, s'accroître les ennemis intérieurs. Plus nos armées auront d'avantages fur ceux du dehors, & plus les brigands cou ronnés d'Autriche & de Pruffe chercheront, à force d'or, à exciter parmi nous le trouble & la défunion, à fomenter des factions, à nous armer les uns contre les autres: il n'auront pu nous vaincre par le fer & par le courage, ils tenteront de nous fubjuguer par l'or & par l'intrigue:

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