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rue Feydeau remplit autant qu'il eft poffible l'idée qu'on fe forme du fiége de Lille, & que dans celle des Italiens l'auteur (Dejoigny, juge de paix de la fection) a eu a prétention de aire un grand opéra qui tienne tout le fpectacle. Ce n'eft point ainfi qu'on doit mettre au théâtre un trait mémorable. Une belle action veut être préfentée toute nue; elle brille de fon propre luftree; Is ornemens étrangers ne font que diftraire l'admiration. Nous invitons les jeunes compofiteurs qui voudront confacrer au theatre les plus beaux traits de notre pays, c'est-à-dire, de à méditer cette obfervation confirguerre, mée par l'expérience; car on revoit avec plaisir la pièce de la rue Feydeau, & on ne défire pas revoir un opéra où le fiége de Lille eft pour ainfi dire acceffoire; le feul double titre de Cécile ou Julien, ou le Siége de Lille, devoit faire fentir à l'auteur qu'il ne devoit pas mettre en parallèle deux intérêts fi différens.

ceux

notre

Apotheofe de Beaurepaire. Le théâtre dit de la nation représente en ce moment une espèce de pantomime, intitulée l'Apotheofe de Beaurepaire, qu'il auroit dû laiffer jouer à Audinot. C'est la charge en petit de l'ordre & la marche & des cérémonies qui feront obfervés pour le tranfport des cendres du héros de Verdun au Panthéon. La pompe maigre & monotone de ce fpectacle à machines eft terminée par huit ou dix couplets qui ne font pas bien piquans ni très-gais; mais le tout eft précédé de deux ou trois fcènes beaucoup mieux verfifiées. On s'attendoit ày trouver un récit détaillé du trépas héroïque de Beaurepaire. Tout le monde le connoît, mais on eût été bien aise de l'entendre içi orné de tout le charme de la poésie.

Au lieu de cela, une efpèce de fans-culotte, petitmaître & pédant (1), après avoir juftifié le fuicide patriotique du commandant de Verdun, qui n'en avoit pas befoin, s'en vient, on ne fait par quelle tranfition, à calomnier le peuple, en lui prêtant l'intention de violer, à la première circonftance favorable, les loix faintes de la propriété. Un autre fans-culotte, déclamant contre les riches femble introduit tout exprès pour amener une

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(1) Ceft S. Fal qu'on a chargé du rôle.

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tirade contre les agitateurs prétendus qui, dit-on, vont
dans la fociété prêchant l'égalité de fait comme une con-
féquence de celle de droit, & à ce fujet le fans-culotte
bel-efprit fait à fes camarades le petit argument que voici :
Ces trois verres pofés fur cette table font tous trois de
même grandeur & pleins jufqu'au bord; ils font tous
trois bien égaux. Sans doute. Buvons. Les deux
bonnes gens de la pièce boivent jufqu'à la dernière goutte.
Le docteur a foin de ne vider fon verre qu'à moitié,
& dit: Eh bien! mes amis, vous le voyez; ces trois
gobelets, tous trois égaux d'abord, ne le font plus main-
tenant; le mien conferve encore du vin. A qui
la faute? Si vous ne vous étiez pas preffés plus que
moi
de boire; fi je ne m'étois pas modéré plus que vous
nous ferions encore égaux; & voilà comme les uns de-
viennent pauvres,
les autres riches. La fociété eft com-
pofée d'avares & de prodigues; mais le prodigue n'a rien
à reprocher & à demander à l'avare; heureufement que la
vertu nous rend véritablement & parfaitement égaux.... &c.
& tout le parterre, & toutes les loges, & fur-tout les
capitaliftes habitués de l'orchestre, d'applaudir! & le fans-
culotte bon-homme de s'écrier avec un gefte innocent:
Ah! bien, qu'ils y viennent; fi je rencontre un de ces
agitateurs, je le conduirai mei-même à ce tribunal du
mois de feptembre.... Que dis-tu là ? répond avec l'ex-
preffion de l'horreur le pédant fans-culotte; & tout de
fuite une violente jérémiade contre les journées du 2 &
3 feptcmbre.... Puis les tambours, le facrophage, comme
dit un des trois interlocuteurs, &c.

Cette bagatelle, tombée comme des nues fur la fcène française, n'eft fans doute qu'un effai qui nous annonce de plus grands deffeins. Paris n'a jamais été plus fage, plus paifible; on n'y a jamais moins parlé de loi agraire qu'à préfent. Jamais le peuple, tout occupé de la grande affaire, n'a moins fongé à réprimer l'ariftocratie des riches. Jamais il n'y a eu moins d'agitateurs, & jamais ils n'ont fait moins de bruit. Les fans-culottes & les culottés n'ont jamais fait le fervice plus fraternellement. On cherche à quel propos le premier théâtre de Paris repréfente une pièce qui réveille d'anciennes animofités d'anciennes prétentions, auxquelles le peuple ne fonge qu'à l'extrémité, quand la mifère le talonne de trop près. Tout en difant que les journées du 2 & 3 feptembre

fent deux pages qu'il faut déchirer du livre de la révoIation françaite, pourquoi l'auteur en parle-t-il avec affectation & de propos délibéré? Car quel rapport y a-t-il entre l'héroïlme de Beaurepaire & ces fanglantes exécutions? Pourquoi jeter mal-adroitement cette branche de cyprès parmi les couronnes de lauriers d'une apothéose? Eh bien! petits intrigans, plus dangereux cent fois que les agitateurs dont vous parlez, plus fed tieux, plus tuneftes à l'harmonie fociale que ceux que vous acculez de prêcher contre l'ariftocratie des riches; eh bien! il faut vous confondre d'un mot. Vous faites d'éternels reproches à Paris pour les jugemens populaires du 2 & 3 feptembre; ils furent terribles comme le tremblement de terre, de Lisbonne. Les ames pieufes en ont-elles fait un crime à la providence? Rien n'arrive fur ce globe, ont-elles dit, fans l'ordre & la permiffion de Dieu. Voilà 100,000 victimes écrasées fous les décombres d'une ville entière renversée en un clin-d'œil. Apparemment c'eft Dieu qui châtie les hommes; il faut adorer & fe taire.

Taifez-vous donc auffi, petits intrigans mal déguifés, & ne venez pas dans les journaux, fur les murailles, aux théâtres calomnier le peuple à tout propos, & lui reprocher éternellement un moment de févérité inévitable, un acte de juftice, de vengeance même, fi vous voulez qu'il s'eft permis à regret, & dont il a autant qu'il pu, adouci la rigueur néceffaire.

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Suite des lettres trouvées chez M. Delaporte, intendant de la lifte civile.

Plan d'une conflitution libre & heureufe, felon juftice raifon & fagetie; trouvé chez M. Delaporte, & corrigé de fa main.

En effet, je demande fi un homme qui viole les loix, qui fe rend coupable d'un forfait, &c., demeure & peut demeurer également libre qu'un homme bon & jufte.

Les hommes ne demeurent donc pas tous également libres & égaux en droits, & ce ne peut être que refpectivement à leur plus ou moins bonne conduite qu'ils peuvent jouir de cet avantage qu'ils apportent en naillant; & ces droits ne font que ceux dont nous avons parlé plus haut, la jouillance Ibre & pleine de la fanté, de la vie, &c.

Mais je vais plus loin: ces droits ne font encore que relatifs & non abfolus, tel que l'affemblée paroît l'entendre; car un dílaffin, &c., n'ont ni à la vie, ni à la liberté commotive, ni à la propriété, &c., le même droit que le citoyen humain, paisible

& le vertueux; & fans avoir recours à une telle exception qui ne peut admettre de délibération, n'est-il pas conftant & vrai que l'homme qui n'a pas de propriété, n'a pas de droit à la propriété qu'il n'a pas, & que celui qui, par fes richeffes foncières & mobiliaires, fes talens, fes emplois, a de nombreux rapports avec la fociété, a auffi fur elle beaucoup plus de droits que l'homme fans fortune, fans mérite, fans offices, fans vertus enfin il me femble que Louis XVI, par exemple, qui a de plus grandes rclations avec l'ordre focial de France que moi.... fimple citoyen, a auffi infiniment plus de droits à en exiger; car je n'en ai ni für fa couronne, ni fur fes châteaux, &c., &c., & ni fur cent autres objets fur lefquels fes vertus par milliers ont des droits & des prétentions exclufives.

Ces confiderations nous conduisent donc à conclure que les hommes ne demeurent libres & égaux en droits que refpectivement, puifqu'autrement ce feroit une injuftice atroce que d'ôter le droit de voter, dans les délibérations publiques, aux domeftiques & à tous les citoyens non-actifs. Comment peut-on établir une loi auffi politique que fage, & conclure immédiatement après, que tous les hommes font & demeurent tous égaux & libres en droits? Rien ne prouve mieux que nos législateurs ont pris au hafard tout ce qui leur a paru bon, & l'ont placé de même en manifeftant à tous ceux qui méditent, qu'ils ont méconnu le principe premier de toute loi, lequel, une fois bien entendu, dirige le fil & mène à l'enfemble harmonique qui ne peut être que le produit des arts & du génie d'un fage & profond légiflateur." Cela pofé, nous concluons:

1°. Que tous les hommes font égaux aux yeux de Dieu & de la nature, quant à leur ame, & quant à l'élément matériel de leur corps, & non quant à leurs formes, puifqu'il en eft de tors, de contre- faits, de bien faits, de beaux, de vilains, de monftrueux, &c.

2°. Que tous les hommes naiffent & demeurent libres & égaux en droits respectivement à leur bonne ou mauvaise conduite; car, du moment qu'ils en ont une vicieufe, ils n'ont plus fur la reconnoiffance, les égards, la confiance de la fociété, les droits femblables que l'homme eftimable, qui l'a faific, peut & doit attendre d'elle. Donc tous les hommes ne font pas égaux en droits dans l'ordre focial.

:

3. Mais tous les hommes font en effet égaux aux yeux de la loi foit que la fociété qui l'a faite ou confentie, leur inflige des peines, ou leur donne des récompenfes, pour les mêmes délits & pour les mêmes fautes, on fait qu'elle impofe un tribut public. C'eft en cela feul que la loi abfolument impartiale appelle tous les citoyens aux mêmes droits du paste focial.

4. Par une dépendance du même principe précédent, il fuit que tous les citoyens étant les mêmes au tribunal impartial de la loi, ils ont tous les mêmes droits aux dignités, emplois & places, respectivement à leurs vertus. & à leurs talens, & que dans une conftitution fage & libre, conféquemment il ne doit y avoir far cet objet d'autres diftinctions que celles des vertus & du mérite, abftraction faite des rangs indifpenfablement néceffaires dans toute. fociété, & de la nobleffe pure & fans priviléges pécuniaires dans la monarchie.

Obfervation. Mais les diftinctions fociales que l'on accorde, & que l'on ne doit accorder qu'aux vertus & aux talens, font indifpenfables de la fociété qui ne doit jamais les perdre de vue, puifqu'un homme vertueux & de génie ifolé, vivant loin de toute fo ciété, n'en feroit pas moins digne d'être féparé & diftingué des vicieux & des ignorans.

5. La liberté, qui ne peut avoir d'autre but & d'autre mefure que la raifon, confifte à éviter de faire tout ce que la loi, qui toujours doit être un précepte de la raison, enjoint de faire ou de ne pas faire.

Nota. Nous obfervons donc que c'eft trop généralement, & d'une manière trop dangereufe, que de dire avec M. Sieyes, que la liberté confifte faire tout ce qui ne nuit pas aux autres, puifqu'il eft une infinité de cas où l'on peut faire des chofes qui femblent ne pas nuire, & qui, faute d'avoir prévu tous les cas, peuvent devenir fort nuifibles. Ainfi, notre principe plus fage, plus réfervé, remédie à tout ce que la loi n'auroit pas prévu, en la fubordonnant fans ceffe à la raifon, qui toujours attentive, doit obéir & remédier aux inconvéniens, & ne pas laifler commettre une faute, parce que la loi n'avoit pas fongé d'abord à le défendre.

6°. La loi doit non-feulement défendre le mal qui peut nuire à la fociété; mais elle doit ordonner de faire tout le bien qui, fans gêner la liberté refpective, peut être fait par les citoyens.

Nota. Ainfi, M. Sieyes a eu tort de ne dire feulement que la loi n'a le droit de défendre que ce qui nuit. Ce n'eft pas vifer au plus grand bien, & ce doit être la fin & le but de la loi. Il a eu un autre tort encore de dire, dans le même article, que tout ce qui n'eft pas défendu par la loi, ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas.

Etrange façon de faire des loix ! C'est-à-dire que fi par hafard Il étoit échappé à la loi de défendre de voler, de tuer &c., le voleur, l'affaffin ne feroit donc pas coupable; il furvroit encore que l'on ne pourroit obliger les citoyens à faire le bien public, parce que la loi ne l'auroit pas ordonné dans tous les cas.

Ces loix de M. Sieyes, décrétées par l'aflemblée nationale, font donc, pour la plupart, des paradoxes dangereux. Lorfque l'on fait des loix, il faut être bien éclairé, bien profond, bien politique, & fur-tout avoir cette fageffe de leur joindre toujours la raifon toute prête à remédier à ce que le légiflateur n'auroit pas prévu; & dire au refte.... Après avoir pofé la loi, nous laiffons à la raifon, à l'expérience qu'elle feule fait bien apprécier nous lui laiffons le foin de remédier à ce qui a pu échapper à nos lumières, & que les circonstances mobiles & verfatiles penvent feules amener.

7. En conféquence la loi auroit dû dire: Nous défendons toutes les actions qui peuvent nuire, foit par le mauvais exemple, foit, &c. Nous ordonnons de faire, au contraire, tout le bien que l'on peut exiger de tout citoyen, fans nuire à fa liberté refpective.

Nota. Et fi la loi étant ainfi portée, n'eût laiffé que le moins poffible à faire à la police, elle eût prévenu l'arbitraire de ce tribunal plus nuifible à la liberté, lorfqu'on n'en circonfcrit pas jugemens; que la lei la plus exacte & la plus ftricte, d'autant qu'il eft plus facile d'obéir à la loi qui s'explique clairement

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