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en lui difant: Digne fucceffeur des pontifes qui ont fair le malheur du monde pendant dix-huit fiècles, fors d'une terre libre & dégagée enfin de toute fuperftition; retourne à Rome fi on veut t'y recevoir, & fur la route dis aux peuples qui t'interrogeront ce que tu as vu en France; dis-leur que tu as vu un roi jugé par un peuple fouverain, & que nous te laiffons achever de vivre à l'écart, comme nous laiffons tomber d'eux-mêmes ces édifices pieux & gothiques, où la raifon a été fi long-temps outragée.

Un petit mot fur une vérité importante; par Jérôme Pétion

Dans le moment où nous allons donner un nouveau. gouvernement à la France, fondé fur les bafes éternelles de la morale & de la philofophie, les lumières femblent s'éloigner au lieu d'avancer. On ne fait pas affez d'attention à ces pas rétrogrades, & à l'empire que prend infenfiblement l'ignorance; mais l'obfervateur qui fuit avec foin tous les mouvemens, toutes les fluctuations de la raison publique, en eft frappé.

Je ne parle pas du fommeil léthargique qui s'eft emparé des arts. Ces enfans du loifir & du luxe ne peuvent croître & fe développer qu'au fein de la paix & de l'abondance. Les orages de la révolution leur font contraires; mais lorsque le calme renaîtra, il faut efpérer qu'à leur réveil ils profpéreront, & prendront un plus grand caractère.

Je parle de ces ténèbres qui fe répandent, qui s'épaiffiffent, qui chaque jour femblent obfcurcir de plus en plus l'horifon de nos connoiffances morales & politiques, & envelopper dans leur étendue & les fciences de goût & les fciences utiles.

Ce triomphe de l'ignorance tient à plufieurs causes; mais il en eft une principale qui mérite d'occuper toute

l'attention.

Depuis quatre années tous les élémens qui composent la fociété font dans un état d'agitation perpétuelle. Les événemens se sont accumulés; le temps s'eft pressé avec rapidité. On a fenti la néceffité de préparer promptement les efprits à la liberté, en répandant les lumières. Les papiers, les journaux, les écrits de toute espèce ont circulé jufque dans le fond des campagnes: chacun a été comme forcé de prendre part à la chofe publique; chacun a éprouvé l'influence des loix, les a confidérées

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foit fous le rapport de fon intérêt particulier, foit fous le rapport de l'intérêt général. Un homme qui recevoit aveuglément les volontés du pouvoir defpotique, a été appelé à penfer & à raifonner. Des fociétés d'inftruction" fe font ouvertes fur tous les points, de la France; des apôtres de la liberté ont prêché en tous lieux; les affemblées politiques ont réuni fréquemment les hommes, tantôt pour les élections tantôt pour des objets adminiftratifs & municipaux. Une partie des Français étoit écartée de ces affemblées, & privée du droit de citoyen; aujourd'hui tous en jouiffent également. Mais il faut l'avouer, la liberté a été mûrie (s'il eft permis de parler ainfi) a été mûrie en ferre chaude. Il ett impoflible d'avoir diffipé entiérement en un fi court efpace les erreurs de tant de fiècles. Il eft impoffible d'avoir amené toutà-coup des hommes qui languiffoient dans la fange des préjugés & dans l'aviliffement, à un état de lumières & à la hauteur de nos deftinées.

Avant notre immortelle révolution, quelques hommes inftruits, quelques philofophes, méditoient fur la fcience dǝs gouvernemens, fur les principes de la liberté, fur les grands objets d'économic politique; mais la maffe de la nation étoit inerte, livrée à des travaux pénibles qui ne lui laiffoient pas le moment de s'inftruire, & reftoit courbée fous le joug de la fuperftition & de l'er

reur.

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Cette maffe eft aujourd'hui en activité, & ouvre les yeux à la lumière; elle veut le bien & cherche à s'éclairer. Mais qu'arrive-t-il? Elle prend fes premières idées pour des connoiffances, fes premiers apperçus pour des résultats de l'expérience. Sa présomption eft d'autant plus grande, qu'elle fait moins. Plus les fujets fur lefquels elle s'effaie font importans, plus fes fautes font graves & fes écarts funeftes.

L'homme qui a le moins cultivé fa raison, se met à haranguer, parle avec affurance fur les matières les plus difficiles, les entrevoit à peine, les envifage fous de faux rapports. Ceux qui l'entendent n'étant ordinairement pas plus inftruits que lui, l'applaudiffent, recueillent l'erreur avec avidité, la propagent; & comme mille endroits s'ouvrent chaque jour à des parlages de cette espèce, infenfiblement l'opinion publique fe corrompt, & prend une fauffe direction. Cette opinion égarée, vient enfuite

preffer de fon poids toutes les autorités, & les entraîne dans fon cours.

Qu'on examine depuis quelque temps les pensées dominantes fur les points de la plus haute importance; elles font le fruit des préjugés, elles retracent l'enfance. des principes, & l'on voit qu'elles font produites par. une multitude d'hommes qui commence à exercer fon intelligence. S'il eft des cas où le peuple a un instinct qui le conduit mieux que la raifon, ce n'eft pas lorfqu'il s'agit d'objets qui demandenr une fuite d'idées, de.combinaifons, & les leçons du paffé. Eft il question de commerce? Il croit plus obtenir par les entraves & par les taxes , que par la liberté. Eft-il queftion de propriétés d'égalité fociale? Il n'en a que des notions vagues & erronées. Eft-il queftion de l'ensemble de loix d'où doit résulter le bonheur & le malheur des hommes réunis en fociété Ses conceptions ne lui permettent pas de faifir d'auffi grands rapports, & il fe perd dans des idées, de détail qu'il ne peut attacher à aucun principe.

Qu'on examine les difcuffions qui ont lieu, elles n'ont aucune dignité, elles ne font jamais à la hauteur du, fujet. C'est du bavardage, ce font des criailleries, quelques idées communes, préfentées en mauvais termes; le bon goûr & la raison en font également offenfés.

Qu'on examine ceux qui afpirent avec le plus d'empreflement aux places, ce font des hommes qui ont quelque jargon populaire, mais fans capacité, que le befoin commande, ou qui mettent leur ambition à être quelque chofe, & à qui rien ensuite ne paroît au-deffus de leurs forces.

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L'envie & la précipitation de paroître font auffi avorter beaucoup de talens. Un homme qui n'a aucun fonds d'amaffé pour alimenter fon esprit ou qui ne s'eft pas, donné le temps d'élaborer fes idées par la réflexion, fûtil bien doué de la nature, ne peut donner que des productions foibles & prefque toujours de mauvaise qua lité.

Ceux qui ne font pas beaucoup plus avancés en connoiffances que la multitude, qui n'ont que le premier apperçu des chofes prennent beaucoup d'afcendant fur elle, pour peu qu'ils aient la moindre habileté, & qu'ils fachent la flatter. Ils font naturellement à la portée, ont

des idées plus analogues aux fiennes, & des formes qui font auffi celles qui lui conviennent le mieux.

On paroît quelquefois furpris qu'un homme ignare, & qui n'a aucun acquis, jouifle d'une certaine réparation; mais il en doit être néceffairement ainfi dans de fembla bles circonftances. Il eft tel bavard en crédit qui ne pour roit pas dire deux mots s'il n'avoit à parlr que des choles. Laiffez de côté les perfonnalités, les injures, les calomnies, les dénonciations, quelques phrafes bannales, & confidérez de fang-froid ce que certains perfonnages cités dans certains journaux ont dit & fait. Ont-ils découvert ou perfectionné une feule idé? Non. Ont ils fait faire un pas à un principe? Non. Ont-ils fait un ouvrage, un difcours utile? Non....

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Ces petits coryphées d'un jour ont néanmoins une présomption plus forte encore que leur ignorance. Its tranchent avec defpotifme, jugent en dernier reffert les queftions les plus importantes. Celui qui n'eft pas de leur avis eft tout au moins un fot, s'il n'est pas un fr pon. Ils font & défont à leur gré des réputations, & toutes. ces impertinences ont des prôneurs.

Ce qu'il y a de plus cruel & de plus dangereux c'eft qu'ils réduifent au filence, c'eft qu'ils éloignent l'homme de fens tout à la fois modefte & fier, qui ne pouvant pas tenir au mauvais genre, au mauvais ton, aux mauvais railonnemens, aux infolences de ces meffieurs, fe retire en gém ffant, attendant tout du temps, & efpérant que l'excès du mal amenera le bien.

On ne remarque pas affez que les luttes actuelles font entre les lumières & les ténèbres, entre l'ignorance & le favoir. La jaloufie eft la paffion principale qui dévore les hommes médiocres, & la caufe la plus active de toutes les divifions, de tous les défordres. Ces hommes qui craignent de laiffer entrevoir ceite paffion honteuse, la cachent fous des dehors féduifans. Ils fuppofent des cabales, des partis', à ceux dont le mérite les offufque, & bleffe leur amour-propre. Ils les proclament intrigans, ennemis de la liberté, afin d'avoir un prétexte, ho sorable de les hair & de les calomnier; en les attaquant ils paroiffent combattre pour la chofe publique, tandis qu'ils ne combattent réellement que pour leur vanité. La nullité ne fait jamais pardonner au talent.

J'avoue que rien n'eft plus alarmant, que rien ne me

nace plus prochainement, plus imminemment le falut de la patrie, que cet afcendant de la médiocrité. La masse de ces hommes ignorans, où ce qui eft pis, à demifavoir, étant énorme, fe répandant par-tout, dominant l'opinion, déprave l'efprit public, au lieu d'en accélérer les progrès elle fappe par cela même jufque dans fes fondemens le nouveau gouvernement que nous voulons établir, puisqu'il doit neceffairement avoir pour bafes la raifon, la fagefle & la justice.

Il n'y a pas un moment à perdre pour arrêter ce fléau, pour empêcher ces barbares de détruire ce pays des arts & de la liberté, comine ces hordes du Nord inondèrent autrefois le Midi. Il faut que les hommes vraiment libres, & dignes de l'être, qui ont perfectionné leur raifon, qui ont réfléchi fur les inftitutions humaines, qui ont acquis des connoiffances utiles, fe réuniffent & montrent un zèle infatigable pour éclairer leurs concitoyens. Il est néceffaire & preffant qu'ils compofent des livres élémentaires & claffiques fur les différentes parties du régime focial; qu'ils mettent à la portée de tous les vérités que tous ont intérêt de connoître.

La très-grande majorité des hommes qu'on abufe eft de bonne foi, & ne péche que par ignorance: inftruifez-là, & le règne des hypocrites, des charlatans & des fripons fera bientôt paffé. PÉTION.

Obfervations. Sage Pétion, vous dites vrai, malheureusement trop vrai. Votre mémoire, parfaitement bien rédigé, nous indique la fource du mal & le mal même. Mais le remède ? Des traités élémentaires, dités-vous des livres claffiques. Mais où font-ils ? Pourquoi depuis quatre années ne font-ils pas faits, & mis entre les mains du peuple? Et pourquoi en portez-vous des plaintes dans les journaux? Vous, légiflateur, c'eft à la tribune, & ce n'eft que là que vous devez oppofer une digue à l'in vafion des hypocrites, des charlatans & des fripons, qui, bien plus coupables & bien plus à craindre que ces hordes de barbares qui plongèrent l'Europe dans les ténèbres, ne veulent régnér que fur des aveugles. Inftruifez, dites-vous cette majorité des hommes qu'on abufe, qui eft de bonne foi, & qui ne péche que par ignorance; mais vous législateurs, occupez-vous donc du mode de cette inftruction que vous nous prêchez.

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