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Sur Caron, dit Beaumarchais.

Juftice, dit le proverbe, ne perd jamais fa proie : le châtiment eft boiteux, mais enfin il arrive. Depuis longues années Paris offroit, dans la perfonne du fieur Caron, le fcandaleux fpectacle du vice heureux & opulent, paifible & impuni. L'étranger qui entroit dans nos murs par le célèbre faubourg Saint-Antoine, demandoit, naguère encore, en fronçant le fourcil par qui donc eit habitée cette fuperbe mailon qui contrafte fi fort avec les mœurs républicaines? Cette belle poffeffion eft au citoyen Caron de Beaumarchais. Citoyen! rayez ce mot-là. Eh! Éh! quoi ! votre Caron vit encore, et vous avez des loix? Qui ne connoit cet homme fameux par toute l'Europe & dans les Deux-Mondes par ses intrigues honteufes & les fpéculations coupables auxquelles il n'a ceffé de fe livrer depuis fa fortie de la boutique de fon père, horloger, rue Saint-Denis. Son premier pas dans la carrière tortueufe qu'il parcourut avec un fuccès qui révolte, le lança à la cour, auprès des tantes de Louis XVI. Marié trois fois', il a fait déjà deux victimes; mais bientôt las de commetrte des crimes domeftiques qui ne le menoient pas affez rapidement à la fortune, fon génie le porta aux grandes entreprifes, c'eft-à-dire, aux concuffions publiques, aux négociations criminelles, aux reviremens frauduleux ; il fit tous les métiers, tous les commerces, & les fouilla tous. Même avant la révoluton, la moralité de fes actions étoit tellement reconnue, que s'étant avifé de donner à fes amis l'épithète fainte de vertueux, ce mot facré devint, de çe moment, une injure dans notre langue; perfonne n'osa s'en fervir.

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Cependant le héros de tant de méfaits bravoit la clameur publique; il avoit pour complices la cour & le ministère. Le gouvernement d'alors, qui parloit. fa langue, ne rejeta point fes fervices. Caron fournit aux infurgens d'Amérique toute une cargaison de fouliers de la même qualité que ceux qui viennent d'être dénoncés à la convention. Chambonin, premier commis aux bureaux de la guerre, moins adroit apparemment que fon digne affocié Caron, fut chaffé pour avoir prêté les mains à une affaire que celui-ci avoit arrangée. Il s'agiffoit d'une fourniture confidérable de fufils pour la guerre d'Amérique; Caron accapara tous les fufils de rebut qu'il put trouver, au prix de 4 liv. ou 4 liv. 10 fols la pièce, il les vendit là-bas 36 liv. chaque.

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Prefque tous ces fufils crevèrent dans la main des foldats & en blefsèrent une grande quantité.

Après avoir rançonné les vivans & fait marcher nus pieds de générenx patriotes difputant leur indépendance à la pointe de leur épée, il s'attacha à la dépouille des morts illuftres, & fpécula de gros bénéfices fur les œuvres de J. J. Rousseau & de Voltaire, dont il fit, à Kell, des éditions fautives. Le typographe avide avoit déjà contrefait l'homme de lettres & fingé l'homme fenfible dans plufieurs drames dont on lui difpute le foible mérite, comme on lui avoit contefté celui de fes mémoires. Son procès, Figaro & Tarare mirent le fceau à fa renommée, mais ne lui donnèrent point de confidération il s'en paffa. La révolution vint, Caron fe tint d'abord coi, & ne voulut plus être en nom nulle part; il y avoit trop de rifques à courir. Cela ne l'empêcha point de continuer fes liaisons avec le ministère, & d'être croupier dans la difette de pain à Paris, en 1789. Mais les chofes prenant une tournure. ferieute à laquelle il n'étoit pas préparé, il réfolut d'attendre dans une inaction apparente ce que tout cela deviendroit. Semblable au pilote bien confeillé qui jette à la mer une partie de fa cargaison pour fauver le refte d'un naufrage prochain, it fit de petits facrifices pécuniaires & quelques actes oftenfibles de civifme, comme pour acheter le droit de vivre & de confommer en paix fes déprédations de l'ancien régime, à l'abri du nouvel ordre de chofes.

Il eut pourtant quelques petites démangeaifons d'effayer s'il ne pourroit pas tirer parti des circonftances. A l'aide de quelques piftoles diftribuées à propos dans fa fection, il vint à bout de fe faire nommer repréfentant à la commune; mais ce premier fuccès n'eut pas des fuites heureuses: auctin citoyen ne voulut fiéger à côté de lui fur les banquettes de Paffemblée du confeil général; ce que voyant, le limaçon un peu confus rentra dans fa coquille, & fe contenta de répandre fa bave impure fer les tréteaux du théâtre du Marais, élevé à fes frais & dirigé par lui fous des prête-noms. Né pour l'agiotage, il ne peut vivre fans intrigailler.

Dans cette nuées de péculateurs voraces qui affament nos armées & dégoûteroient nos foldats du fervice militaire, /-fi l'amour de la patrie & de la liberté ne leur donnoit du courage & de la patience, nous étions bien furpris de ne pas voir le nom de Beaumarchais. Enfin le député le Cointre vient de lui prendre la main dans le fac, & la convention va faire rendre gorge à cette fang-fue. M. Caron, d'un

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coup de filet, pêchoit 1,200,000 liv. Il s'agiffoit d'abord d'un marché de foixante mille fufils, conclu le 3 avril 1792 entre lui & Grave, le ministre de la guerre; puis d'une tranfaction paffée entre lui encore & les deux miniftres Chambonas & Lajard, le 18 juillet fuivant. Un banquier de Roterdam vend foixante mille fufils à 6 liv. pièce à un autre négociant de Hollande; celui-ci les revend 7 à 8 liv. à Provins & compagnie, qui ont pour bailleurs de fonds Guillaume & Vauchère, directeurs de la Maifon de Secours. Cette maifon fait banqueroute; Caron prend le marché à 6 liv. le fufil, il en charge deux vaiffeaux; Provins les arrête, & ne veut point céder fon marché à Beaumarchais, qui eft obligé de reconnoître le droit du premier acheteur mais il n'en refte pas là. Il fait accroire que fes deux navires ont été confifqués par le gouvernement Hollandais, afin d'obtenir un demi-million d'indemnité, qu'il a effectivement touché; & c'eft ainsi qu'on fait d'un fac deux moutures; & remarquez que tout ceia fe passoir quelques jours avant le 10 août.

D'après cette dénonciation appuyée de toutes les pièces juftificatives qu'on pouvoit defirer, la convention a décrété d'accufation le fieur Caron de Beaumarchais, décret fanctionné par les applaudiffemens de tous les citoyens préfens à cette féance. On ne reprochera pas cette fois à nos députés un acte de rigueur hors de propos ou mal motivé. Puiffe la convention ne lancer jamais que des décrets d'accufation femblables! Mais peut-être a-t-elle manqué de prudence, en ne faifant pas droit à la motion d'un de fes membres, qui opincit pour qu'on envoyât fur le champ un gendarme s'affurer de la perfonne du fieur Caron. Il faut croire que le pouvoir exécutif n'aura point perdu de temps.

Car il importe beaucoup d'appréhender au corps le plus habile & le plus coupable, fans contredit, de nos agioteurs un grand exemple dans ce genre eft devenu d'une abfolue néceffité. Caron fervira de leçon & ralentira peutêtre l'âpreté de nos fourniffeurs, véritables vampires qui réduiroient en peu de temps la république française au

rachitifme.

ne

D'ailleurs ces hommes fans pudeur ont la précaution de

laiffer que le moins qu'ils peuvent d'otages aux événemens. Le plus clair de leurs biens et dans leurs portefeuilles; & la république a des comptes de plus d'une efpèce à demander au fieur Caron; car la patrie n'a-t-elle pas le droit, fans bleffer les principes de la liberté, d'in

terroger tout citoyen dont la fortune immenfe & rapide est devenue un fcandale, un attentat à l'égalité civique. C'étoit principalement contre les gens de cette efpèce qu'étoit dirigée, chez les Athéniens, la loi févère, mais fage, de Poftracifme. Sans doute il doit être permis à toute fociété bien organifée d'obliger chacun de fes membres à décliner par quels moyens licites il eft parvenu fi vîte à un si haut degré d'opulence; & c'eft peut-être dans ce fens qu'on doit entendre la loi agraire. L'inégalité des fortunes eft, nonfeulement inévitable, mais même néceffaire dans un état politique; mais par-tout où il y a excès, il y a abus. Sans entraver l'induftrie, il eft donc convenable, non pas de niveler rigoureufement les fortunes, mais de pofer une barrière aux fortunes prodigieufes, lefquelles fuppofent néceffairement une prodigieufe misère; car tout ne peut pas être d'un côté, fans que de l'autre il n'y ait rien: dèslors P'équilibre ou Pofcillation de l'égalité eft rompu, & la fociété, livrée à toutes les chances de la corruption, marche à grands pas vers fa déforganifation, ou bien à la fervitude, pire encore.

Laconcours des ci conftances produit quelquefois des con tra les ou des rapprochemens bien fingulers. Dans la même féance où un fourniffeur frauduleux de fufils & de fouliers venoit d'être décrété d'accufation,immédiatement après que cet acte de juftice un peu tardive, des députés d'une fociété de citoyens anglais fe préfeatoient à la barre de la convert on,& après un hommage raifonné rendu à la révolution françaife, fur-tout depuis le 10 août, offroient en don patriotique, aux foldats de la liberté, mille paires de fouliers. Ces fouliers font déjà arrivés à Calais. Il en fera envoyé de plus mille paires par femaine, au moins fix femaines de fuite. La délicateffe de ce procédé fut appréciée & vivement applaudie. Nos généreux voifins de Londres favent que par la malveillance de notre précédent miniflère & l'avidité de nos fourniffeurs foldats font réduits à marcher déchaux & prefque nus; ils s'empreffent de venir à notre feceurs par des offres en nature; par ce moyen, ils ont trouvé le fecret de nous rendre un fervice plus réel qu'ils n'auroient fait avec des espèces d'or ou d'argent, fans toutefois grever leur pays, puifque non-feulement ils ne le privent pas de fon numéraire, mais encore ils favorifent l'induftrie de leurs artifans nationaux.

nos

Nous invitons nos clubs à comparer la conduite de sette fociété de Londres à la leur. Eite n'épuife pas les

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épargnes de fa caiffe à l'impreffion & à l'envoi de quanré d'écrits polémiques, plus fcandaleux, plus pitoyables les uns que les autres. Elle ne confume pas fon temps à délibérer fur la radiation de fes membres, ou à fe careffer -par des mentions honorables, ou à brûler les brochures qui bleffent fon amour-propre. Elle s'occupe de chofes & non de mots; elle va droit au but; elle chauffe nos foldats de la liberté que nous laiffons impunément à la merci de nos fourniffeurs rapaces. Nous doutons que la réplique longue, lourde & mauflade de Louvet à Robelpierre produite d'aufi heureux effets.

Nouvelles étrangères & des armées.

Accoutumés que nous fommes à des conquêtes & à des victoires, nous regardous comme peu de chofe ce que nos armées ont fait cette femaine. L'avant-garde de Cuftine a jeté dans le Rhin deux cents bateaux d'avoine appartenant aux Pruffiens, & en leur préfence; il leur a enfuite, lui-même, tué cinq cents homines, & fait autant de prifonniers. A Ufingen, il a exigé trois cent mille florins de contribution, & enlevé toutes les provifions de Wehen, Nevhof, Orler, Seifenhaha, Blciderstadt & Wiesbade, afin que les Prufiens & les Autrichiens ne trouvaflent pas de vivres, s'ils s'avifoient de vouloir faire le fiége de Mayence. Les citadelles de Namur & d'Anvers font enfin à nous. Dumourier eft à Sentron, à fept lieues de Liége. En Italie, notre armée n'a pas eu tant de bonheur; notre avant-garde a reçu un léger échec dont nous ne favons ni l'époque ni les détails. Tout ce que nous pouvons affurer, c'eft qu'Anfelme eft marché fur le champ pour reprendre le poite d'où notre avant-garde avoit été repouffée. Kellermann, qui n'eít pas encore parti, on ne fait pourquoi, ne va pas tarder cependant à y paroîtie; il promet monts & merveilles nous verrons s'il tiendra parole.

Mais les opérations militaires ne font pas les feules qui nous intéretlent dans nos armées. Les actious politiques & financières de nos généraux exigent toute notre attention, & Dumourier vient encore d'ajouter aux griefs dont nous l'avons accufé depuis fi long-temps.

Lettre du général Dumourier à la convention nationale, datée de Sentron, le 25 novembre 1792. « Citoyen préfident je dénonce un crime contre la loyauté françaife. Je demande, au nom de la patrie qu'on désho

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