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tendre, les uns avec leur ftathoudérat, les autres avec leurs magiftratures aristocratiques? Pas plus que la république de Venite avec fon doge. Les états-unis affemblés en congrès à Philadelphie font plus réellement libres, Mais d'abord leur conftitution est toute récente; & enfuite, de quelle exiftence politique jouiffent-ils fur ce globe? Relégués au nord de l'Amérique, ils doivent leur indépendance, ainfi que les fauvages du Canada la leur, au peu de profit qu'il y auroit à les remettre fous le joug..

L'hiftoire ancienne, continue-t-on, n'eft pas plus heureufe, mi plus concluante en faveur du républicanifme quoiqu'elle offre des autorités plus graves, des tableaux plus frappans. Athènes, Sparte & Rome réveillent des idées brillantes. Mais fi l'on defcendoit dans les détails de la vie civile de ces fiers républicains, qui de loin nous paroiffent fi grands, fi fages, fi heureux, il y auroit de quoi dégoûter de la république. C'est pourtant fous le règne de la liberté populaire qu'Ariftide fut condamné à l'oftracifme, & Socrate à la ciguë. Lacédémone étoit plutôt un féminaire de foldats qu'une cité d'hommes libres à Rome, les patriciens feuls pouvoient fe vanter de l'être aux dépens de la cafte plébéïenne; & que de fang versé à ce fujet en pure perte! Le peuple inconféquent ou ingrat, peut-être l'un & l'autre, immole les deux Gracchus, admire froidement le trépas héroïque de Caten & de Brutus, & va pleurer fur le cadavre de Jules-Céfar, qui le fait fon légataire.

Que n'ajoute-t-on encore le fupplice de Barnevelt & le fcandale de la mort paifible de Cromwel. Il y a réponse à tous ces faits qu'on peut cumuler à l'infini & rapprocher au défavantage du gouvernement républicain, tel qu'il a été conftitué chez plufieurs nations, jusqu'à l'époque du 21 feptembre 1792.

Nous voulons, nous, la république, mais non pas à la manière des Grecs, des Romains, des Bataves, des Anglais, des Suiffes, &c. Pour ne pas faire mieux que tous ces peuples, ce ne feroit pas la peine de réédifier à plufieurs reprises un gouvernement qui duroit depuis quatorze fiècles.

On vante beaucoup Lycurgue; on regarde comme un chef-d'œuvre de politique de fa part d'avoir fu donner à fa patrie une constitution mixtionnée de monarchie ou gouvernement d'un feul, d'ariftocratie ou gouvernement de plu fieurs, & de démocratie ou gouvernement de tous. Ces deux rois occupant tour à tour le trône, & furveillés par les éphores ou cenfeurs, ces gérontes ou fénateurs fervant de balanciers entre le monarque de femaine & le peuple, & ce peuple, vivant en commun à table & au lit, toujours dans les horreurs de la guerre, pour éviter le relâchement

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de la paix. Tout cela fait l'éloge, peut-être, du génie de Lycurgue. Mais quelle idée prendre du caractère d'une nation qui a befoin de tous ces moyens forcés & hors de nature, pour exifter en corps de fociété pendant fix à fept fiècles? Et que cette durée n'étonne pas! la monarchie françaife, bien plus monftrueufe encore, & qui ne coûta point, à beaucoup près, tant d'efforts de génie à ses foixante-fix rois légiflateurs, fubfifta le double de temps. Qu'on ajoute à cela que Lacédémone étoit un atome politique en comparaifon de la France.

Athènes, dont les mœurs furent, comme on fait, beaucoup moins auftères que celles de Sparte, étoit pourtant plus près qu'elle de la liberté civile. Solon lui donna un code que nos députés conftituans ne confultèrent point fans fruit, & qu'ils copièrent fervilement en plus d'un endroit. Nos repréfentans conventionnaires ne s'en tiendront pas là fans doute. Les Athéniens faifoient euxmêmes leurs loix; c'eft-à-dire, ils affiftoient tous en perfonne à leurs affemblées légiflatives. Le fort & le choix préfidoient tour à tour & concurremment à la nomination de leurs archontes ou fénateurs, & de leurs magiftrats. Tout cet échafaudage politique, qui n'étoit point fans mérite, péchoit pourtant par la bafe. Les Athéniens n'avoient que des loix réglementaires; ils pourvoyoient

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caux befoms du moment fans remonter aux fources naturelles de toute bonne légiflation, & fans fe porter dans l'avenir; ils n'avoient point reconnu les principes; leur code étoit fans moralité; les moeurs locales, ou plutor des ufages traditionnels, faifoient le refte de la befogne du légiflateur. Un auffi frêle édifice, mafqué par tout ce que les arts avoient de plus aimable, ne pouvoit tenir longtemps contre la corruption qu'engendra l'opulence des citoyens, contre l'ivreffe caufte par quelques victoires plus glorieufes qu'utiles, & contre le caractère national, inconftant, vaniteux, léger; en un mot, tel que le génie français qu'on nous reprochoit & qu'on nous envioit en même-temps.

Les Romains ne reconnurent jamais d'autre déclaration des droits, que le droit du plus fort; mais après l'avoir foutenu par des armées bien aguerries, & fur-tout bien difcip'inées, plus prudente que Lacédémone & Athènes, Rome, parmi les dépouilles de fes voifins, vaincus par elle, s'appropria ce qu'elle trouva de mieux parmi leurs loix & leurs ufages. La conftitution de la république romaine fut long-temps écrite fur quelques feuillets épars des livres des fibylles; c'eft-à dire, les Romains n'eurent jamais d'autre conftitution que les fénateurs - confuls & les plébifcites rédigés felon les occurrences des mouvemens po

litiques coincidant avec la police incertaine de l'intérieur. Pour nous réfumer, les trois fameufes républiques qui firent tant de bruit dans le monde ancien, ne durent leur éclat ou fuccès qu'à l'ignorance du refte des peuples, qui alloit, comme elles aimoient à le dire avec orgueil, jufqu'à la barbarie. La Sparte d'autrefois, à la place de la guerre d'aujourd'hui, ne feroit peut-être pas une plus brillante figure, preffée par des voifins non feulement plus puiffans, mais aufii éclairés qu'elle. S'il y avoit eu une France dans l'état où elle fe trouve en ce moment, du temps de Lacédémone & de Rome, on n'eût pas plus pris garde à celle-ci que nous ne nous occupons de la république de Genève ou de celle de Saint-Marin.

Ainfi donc, tout en refpectant les mœurs de la belle antiquité, tout en admirant les chef d'oeuvres qu'elle nous a laiffés dans les beaux arts, Athènes, Sparte & Rome, quant à leur légiflation, n'ont rien à nous offrir capable de nous fervir de règle ou de préfervatif. De ce que les républiques anciennes ont fait en politique, nous ne pouvons rien conclure, pour ce que nous avons à faire. Toutes les circonftances ont changé, & à beaucoup d'égards nous pouvons voir du même il les républiques contemporaines.

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Nous fommes les premiers & les feuls qui donnons à la nôtre, pour bafes, les faintes loix de l'égalité, en cela d'un avis différent de la charte anglaite, qui admet un roi une nobleffe & deux chambres, haute & baffe. Les premiers & les feuls, nous fondons un gouvernement tout fraternel; puiflions-nous avoir des rivaux! mais à coup sûr nous n'avons point de modèle, nous n'imitons perfonne. Rome naiffante demanda des loix à la Grèce, laquelle avoit elle-même tout emprunté à la vieille Egypte. Nous prenons une toute autre marche ; c'eft la nature feule que nous confultons; nous remontons aux droits imprefcriptibles de l'homme, pour en déduire ceux du citoyen.

Mais cette république dont nous jetons les fondemens & qui n'aura que le nom de commun avec toutes celles qui ont paffé & qui exiftent encore fur la terre, fuppofe de grandes vertus, & affujettit à des devoirs pénibles & multipliés; il nous faut dès-à-préfent renoncer à ces idées fauffes & gigantefques de la vieille diplomatie, & nos moeurs auffi doivent prendre le caractère de nos loix.

Sur-tout évitons le cercle vicieux dans lequel ont donné les peuples nos devanciers. Une obfervation dont il nous faut profiter, c'eft que les Athéniens, les Spartiates & les Romains, tous trois commencèrent par la monarchie, qui ne tarda pas, comme on devoit s'y attendre, par dégénérer en defpotifme; c'eft le cours naturel des chofes; ils paffèrent enfuite au régime ariftocratique, puis ils en vin

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rent à la démocratie; ils y reftèrent trop peu de temps, & retournèrent trop vite, par l'anarchie, au point d'où ils étoient partis, c'est-à-dire, aux tyrans décorés de titres de rois ou d'empereurs. La chute de ces trois peuples fut même encore plus honteufe. O comble de l'ignominie! ô déplorable viciffitude des chofes humaines! Lacédémone qui eut à fe glorifier de Lycurgue, Athènes qui eut Solon pour légiflateur, font maintenant fous le croiffant du muphti! Rome la fuperbe, qui reçut des loix d'un Numa, d'un Marc-Aurèle, végète maintenant fous la férule du pape!

Les Anglais n'en font encore qu'au période du régime ariftocratique. Plus heureux que ces infulaires jaloux & rivaux nous avons fu enjamber du fceptre monarchique aux faifceaux de la démocratie républicaine.

Mais enfin, nous demandera-t-on, queft-ce que la république ?

En dernière analyse, & dans fon vérirable fens, c'est le meilleur de tous les gouvernemens; car c'est le gouvernement de tous. Un peuple républicain eft celui qui gère lui-même fes affaires. Le gouvernement républicain dit plus & mieux qu'un gouvernement purement représentatif; ce dernier étoit inconnu aux anciens, ou plutôt les anciens avoient preffenti combien ce régime eft fufceptible d'être neutralifé, & combien il avoifine le mode aristocratique.

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Les républiques anciennes, ainfi que les modernes n'étoient que des ariftocraties tempérées; c'étoit toujours & par-tout le grand nombre gouverné par le petit; mais la république, dans la véritable acception de ce mot, eût été prématurée pour le peuple ancien, comme elle l'est encore pour les trois quarts des nations modernes ; la république fuppofe des lumières distribuées également fur toute la furface du pays où elle fe trouve établie. Les anciens ne connoiffoient pas nos affemblées primaires; il est vrai que la population de tous ces états qui font tant de fracas dans l'hiftoire, étoit peu de chose comparée à la nôtre. Toute une cité fe raffembloit dans une place publique, fur les banquettes d'un théâtre, & opinoit du bonnet, qu'on nous paffe l'expreffion, fans entrer dans aucune difcuffion fur le projet de loi propofé. Si nous voulons être long-temps libres, il ne faut pas que nos affemblées primaires fe paffent ainfi. Il y avoit donc dans l'antiquité des meneurs, chefs d'opinion, comme nous en avons vu chez nous; mais chez eux ils avoient beaucoup plus de fuccès, & des fuccès plus rapides, d'où on peut conclure que la maffe du peuple d'autrefois n'étoit pas plus libre, ni plus digne de l'être que la multitude d'à préfent.

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C'eft à la convention à organifer nos affemblées primaires

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de façon que la fouveraineté de la nation, qui réfide en elles; ne foit point paralyfée par le défaut d'inftruction, ou ne devienne point un inftrument liberticide.

C'eft à nous, citoyens, de nous mettre au plus tôr en état de gérer nous-mêmes nos affaires. Il ne nous eft plus permis, comme par le paffé, de refter indifférens fur ce qui fe passe autour de nous. Nous favons ce qu'il nous en a coûté pour nous être expofés fur la foi d'un chef fuprême & de plufieurs adminiftrateurs; craignons de mériter à notre tous les reproches que nous faifions à nos mandataires. Quel que foit le mode du gouvernement républicain qui va nous être propofé,

que nous allons fanctionner, tout notre falut dépend de nos affemblées primaires. Les affemblées primaires font les colonnes de la république : nous pouvons nous égarer encore une fois fur la répartition des pouvoirs que nous allons orga nifer; mais il nous fuffira de nos affemblées primaires pour corriger les vices du nouveau gouvernement. Ayons toujours préfent à la mémoire que nous formons une république, c'eft-à-dire, que nous gérons nous-mêmes nos affaires, & la patrie eft fauvée. Nous dirons plus, il n'eft pas de mauvais gouvernement pour un peuple qui ne ferme jamais les yeux, qui eft à fa chofe, préfent par tout: Dieu même se feroit donné la peine d'écrire les loix d'un peuple, fi ce peuple n'en furveille jour & nuit l'exécution, il ne tardera pas à devenir efclave & malheureux. Si la Bible pouvoit être une autorité, nous citerions en preuve l'hiftorien des Hébreux.

Citoyens, nous allons vous le répéter: la république eft le gouvernement d'un peuple qui fait lui-même fes affaires. Dans ce peu de mots font contenus vos droits & vos devoirs. Quelle honze pour vous, fi vos affaires alloient plus mal que lorfque vous en abandonniez la gestion à un roi, fans ofer entrer en compte avec lui !

Queft-ce qu'une république c'eft un gouvernement où tout le monde est libre, où perfonne n'eft maître, où chaque citoyen a pour fa patrie la même follicitude qu'un chef de malion porte à fa famille.

Queft-ce qu'un franc républicain? c'eft un citoyen qui ne voit que des égaux dans fes femblables, & qui ne connoit au-deffus de lui que la loi & fes organes quand ils font en fonction. Un bon républicain, conformément à l'efprit de ce mot, est tout à la chofe commune, qu'il préfère à tout; ce n'eft point un froid égoïste, qui n'appréhende d'autre calamité publique que celle qui l'atteint.

L'Helvétien qui defcend de fes montagnes pour aller vendre fes fervices & fon fang à celui des defpotes de 'Europe qui le paye le plus cher, n'eft point digne du titre de républicain: encore moins le Batave calculateur, qui entale for dans des tonnes, plutôt que de repouffer le fer

des

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