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es exceptions de la nature exigent auffi des exceptions dans les loix civiles & pofitives. Les législateurs, tout en cherchant à diminuer les grandes villes & à faire refluer dans les campagnes cette furabondance nuisible doivent agir avec prudence; & en attendant que les temps aient pu accomplir leur vou, ils doivent fe prêter autant que les conjonctures l'exigent à l'état actuel des choses.

L'affemblée conflituante avoit fenti que les électeurs de Paris ne pouvoient pas alterner; elle reconnut qu'il feroit contraire à la raison de faire voyager hors de leur enceinte les repréfentans de huit cent mille citoyens, qui, en fe tranfportant ainfi dans le lieu de leurs féances périodiques, n'y trouveroient que cinq ou fix électeurs domiciliés, à qui ils éviteroient la peine de fe déplacer. Ils virent qu'en établiffant l'alternat, ce feroit réellement violer l'égalité; car puifque tous les hommes font égaux, huit cents ne doivent pas. fe déplacer pour la plus grande commodité de cinq ou fix.

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Ajoutez à cela qu'il n'y avoit aucun avantage à faire promener ainfi l'affemblée électorale d'un lieu à l'autre ; car ce n'eft pas, dans un établiffement politique un profit d'auberge, & de cabarets qu'il faut chercher. Si un pareil mobile avoit pu diriger l'affemblée nationale, fi elle n'avoit eu pour but que de jeter de l'argent dans les endroits pauvres, elle auroit dû affigner aux électeurs tous les lieux les plus. miférables, les plus ifolés les moins commerçans de chaque département; & l'on fait que les affemblées électorales fe tiennent au contraire alternativement dans tous les chef lieux de diftrict, & que ces chef-lieux ont été choifis comme étant par leur nature les plus riches de leur arrondiffement.

Deux motifs bien fages ont dirigé à cet égard l'affemblée conftituante; elle a ordonné l'alternat dans les quatre-vingt-deux départemens, parce qu'ayant chacun à peu près dix-huit où vingt lieues de diamètre, renfer

nt pour la plupart fept ou huit villes d'une population égale, il étoit injufte que toutes les villes, hormis une feule, tous les diftricts, à l'exception d'un, fe dérangeaflent continuellement dans la perfonne de leurs représentans-électeurs, pour aller toujours à huit ou neuf lieues de diftance, au centre du département, pour le

plaifir des repréfentans d'un district & d'une ville qui étoit à peine plus confidérable que les autres.

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Mais le département de Paris n'a qu'une très petite furface; fon diamètre eft de fix lieues au plus, & cette grande ville, placée au centre, couvre dans fa longueur deux lieues de pays; une feule ville de trois à quatre mille ames fe trouve enclavée dans l'enceinte de ce département; tout le refte n'eft qu'un compofé de bourgs & de villages, qui pour la plupart font trèséloignés les uns des autres, mais qui touchent presque tous à Paris, en tirent toute leur exiftence, y ont des rapports continuels & journaliers, de forte qu'en venant parmi nous pour les affaires de la république, les électeurs ne fe dérangent prefque pas; ils en font autant plufieurs fois dans l'année pour leurs intérêts individuels ou pour leurs plaifirs; au lieu qu'en fuivant la loi de l'alternat, ils fe trouveront transportés, le plus fouvent, à l'extrémité du département bien loin du centre de leurs affaires & de leurs habitudes, & dans des lieux où ils ne trouveroient affez de place ni pour s'affembler ni pour se loger. Que l'on compare ces circonftances, ces localités à toutes les autres, & que l'on voie fi la loi fage qui aftreint tous les départemens à l'alternat peut y foumettre auffi Paris.

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Le fecond motif & le plus puiffant, fans contredit,' qui a déterminé l'affemblée conftituante à varier ainfi le lieu des feffions électorales, c'eft que tous les districts donnant à peu près le même nombre d'électeurs, villes principales étant à peu près égales en moyens & en reffources, ç'eût été donner au chef-lieu de département une trop grande influence fur tous que de lui confier, exclufivement à tout autre, le dépôt de l'affemblée électorale. On fent qu'une ville ainfi privilégiée, ou par infinuation ou par corruption, ou par tout autre moyen, auroit pu à la longue s'accoutumer à diriger l'opinion des électeurs, à la maîtrifer, à leur faire la loi, & qu'un tel avantage auroit enfin détruit entierement l'équilibre & l'égalité entre des villes, entre des diftricts égaux.

Mais il y a entre le nombre des électeurs de Paris & celui des électeurs de chaque chef-lieu de diftrict une fi énorme difproportion, qu'en fuppofant même que ceuxci fuffent étayés de tous leurs concitoyens du même

lieu, jamais ils ne pourroient ébranler une fi grande maffe. Dans quelque endroit du département que fe tranfportent les électeurs de Paris, leur force irréfiitible formera toujours l'opinion générale de l'affemblée; ils font neuf cents contre deux cents. Les ennemis de Paris ne manqueront pas de dire que c'eft là un grand inconvénient cela peut être; mais du moins il eft inévi able de façon ou d'autre, & il tient à la nature même, à l'immenfe population de Paris.

C'eft cette immenfe population, en comparaifon de tout le refle du département, qui a forcé l'affemblée conftituante à n'y établir en tout que deux districts, quoiqu'il en eût pu former fix par fa population; qui l'a forcée d'établir en même-temps fix tribunaux, dont elle fixa le fiège à Paris, en privant les deux autres cheflieux de cet avantage; qui l'a forcée de compoter d'une manière toute particulière la municipalité de cette ville, exceffivement populeufe. Puifque la convention avoit l'ambition de rétablir l'égalité, pourquoi n'a-t-elle pas détruit toutes ces exceptions, créé fur le champ de nouveaux districts, organifé la municipalité d'après les loix communes, & tranfporté ailleurs au moins deux tribunaux? Il falloit faire tout ou rien; car il ne faut pas être en contradiction avec foi-même; & fi elle a cru devoir attendre pour ces nouvelles réformes qu'elle s'occupât de la conftitution, pourquoi ne pas avoir attendu auffi ce moment pour les feffions électorales?

D'après cela, on croira peut-être que les Parifiens, qu'on aime tant à repréfenter aux départemens comme des rebelles & des factieux, ne laissèrent point échapper une fi belle occafion de s'agiter, de s'infurger; que la plus grande fermentation dut régner parmi eux, & que du moins la convention reçut d'eux réclamations fur réclamations, adreffes fur adreffes, pétitions fur pétitions. Non; les Parifiens fentoicnt bien les torts; ils avoient mille raifons pour ne point voir une loi dans ce décret. Eh bien! ils ne firent aucun bruit, aucune démarche; ils allèrent au lieu du rendez-vous, au Bourg de l'Egalité, ci-devant Bourg-la-Reine; car on leur choit à deffein celui des deux diftricts où il y a le moins d'espace & de local. Arrivés là, on les preffe, on les foule dans une églife, ou plutôt une chapelle, qui peut à peine contenir quatre cents perfonnes. Toutes les opérations devin

rent impoffibles, & ce fut avec la plus grande difficulté, qu'on parvint à rédiger là une pétition à l'affemblée nationale, pour lui demander d'être transférés ailleurs.

Les membres du comité des pétitions reçurent trèsbien les députés-électeurs, & chacun en particulier applaudit à la juftice de leur demande, & leur promit un plein fuccès; mais à la convention ce fut un autre langage. Le comité fupprima tout ce qui étoit avantageux aux électeurs, & dénatura la pétition. Ce comité eft coutumier du fait. On fait que s'il a grand foin de lire emphatiquement les adrefles dirigées contre les déforganifateurs, il cache fous le voile officieux du filence toutes celles qui attaquent le modérantisme : on s'en eft plaint à l'affemblée; mais elle partage les fentimens charitables de fon comité, & elle patfe à l'ordre du jour fur ces plaintes c'eft ce qu'elle a fait auffi à l'égard de la pétition des électeurs. Des membres n'ont pas rougi de dire que s'il n'y avoit pas de local au Bourg de l'Egalité, les électeurs devoient s'affembler en plein champ & en plein air. Quelques départemens ont fait ainsi, dit-on, pour nommer les députés à la convention, au mois d'août & feptembre; ce qui ne prouve pas qu'on puifle le faire au mois de décembre & de janvier, car il y a plus de cent nominations à faire, & le moins qu'elles durent fera deux mois. D'ailleurs, pourquoi la convention fe fait-elle donc conftruire un nouveau local à tant de frais? Si elle n'eft pas bien au manége, qu'elle s'affemble auffi en plein air, dans le jardin des Tuileries.

C'est une chofe fingulière qu'aucun des députés de Paris n'ait pris la parole pour défendre les intérêts de leurs concitoyens. Camille Defmoulins, fur- tout, qui a une maiton dans le Bourg, & prefque vis-à-vis l'églife, devoit en connoître les dimenfions: il s'eft tu ainfi que fes vingt-trois collègues; ils veulent donc livrer Paris à fes ennemis, ou éternifer des haines qui ne peuvent qu'être funeftes à la république ?

L'outrage fait aux électeurs par la convention paffe toute melure il leur étoit permis alors, fans doute, de perdre patience, de fe plaindre amèrement de s'exhaler en reproches. Rien de tout cela. Les Parifiens, fans rien répliquer, font retournés au Bourg de PEgalité, pour voir fi Peglife feroit plus fpacieufe que

dix jours auparavant. On manda la municipalité du lien, qui avoit ofé dire à la convention que le local étoit alfez vafte elle perfifta dans fon dire, le foutint en face. des électeurs, quoiqu'elle en vit la moitié obligée de refter à la porte. Le procureur-fyndic du diftrict fut le feul qui montra de la bonne foi; il convint de l'impoffibilité phyfique où l'on étoit de tenir des féances dans une falle auffi étroite. L'affemblée fe détermina à aller parquer dans un champ voifin. Là, toutes les paroles, toutes les propofitions diveries fe perdoient dans l'étendue. En paffant fubitement d'un lieu étroit au grand air, du chaud au froids, la plupart furent faifis par un rhume violent; on fe difperfa fans avoir pu s'entendre. Cependant la convention eft bien chaudement au manége; & qnoiqu'elle ne foit point aufli nombreufe que l'aflemblée électorale & que l'affemblée conftituante, elle s'y trouve encore trop à l'étroit; il lui faut un emplacement mas gnifique, un palais ci-devant royal pour les autres, ils peuvent délibérer dans la rue. Ont-ils befoin d'avoir leurs aifes?

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Lorfque le defpotifme de la cour voulut diffoudre les états-généraux, il leur ôta leur local; mais du moins un jeu de paume leur fut ouvert. Nos électeurs n'ont pas été fi heureux : & nous, pendant ce temps-là, que faifons-nous? Nous attendons qu'il plaife à Dieu & à la convention de nous permettre d'avoir des juges, des adminiftrateurs & une municipalité.

Nouvelles étrangères & des armées.

Depuis long-temps les vrais patriotes avoient foulevé le mafque de Lafayette, mais une foule de gens irréfléchis refuloient toujours de le voir fous fes traits naturels; il fallut que le traître fe démafquât lui-même, & fe montrât out entier par fa fuite. C'eft ce que vient de faire auffi Montefquiou, à qui il reftoit encore des partifans. Cet homme, plus corrompu peut-être que Lafayette, s'il eft poffible, qui avoit fait fervir la révolution, non à fa gloire, non au plaifir de dominer, mais à fa fortune, à la plus vile de toutes les paffions, au défir d'entaffer de l'argent, qui connoiffoit toutes les reffources de l'agiot & de l'efcroquerie financière, & les tournoit à fon profit; cet homme

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