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que l'envie de nous débiter un lieu commun. Depuis près de quatre mois, Louis eft déchu, Louis eft prisonnier il n'eft pas mis encore fous le décret d'accufation! & l'on fe plaint de trop de célérité! Nous le voyons, ceux qui fe plaignent de la forte, font plus attachés au roi qu'à l'homme. Quoi! les loix ordonnent que tout individu fera interrogé au moins vingt-quatre heures après. fon incarcération; quoi! vous avez établi un tribunal prévôtal pour juger le plus promptement poffible tous les grands confpirateurs, tous les complices du fanguinaire Louis; leurs procès fe terminent avec la plus grande activité; on a cherché à accorder à la fois ce qu'on doit aux coupables & ce qu'on doit à la nation : à celle-ci de grands & de prompts exemples; à ceux-là, l'abrégement de leurs terreurs & de leurs fouffrances. Parce que Louis eft roi, croit-on que fon jugement importe moins à la chofe publique de parce qu'il eft roi, croit-on qu'ik fouffre moins dans fa prifon? Non, fans doute; les maux incalculables qu'il nous a caufés, les jouiffances innombrables dont il a été entouré, exigent qu'on hâte, & pour nous & pour lui, le moment de fa chute. Pourquoi la convention s'amufe-t-elle à difcuter fi longuement cette oifeufe queftion: Le roi peut-il être jugé ? Repréfentans du peuple, que ne difcutez- vous pareillement celle-ci : Le roi eft-il un homme ? eft-il membre de la fociété ? Pendant tous ces délais, la nation se lasse d'attendre ; Louis fe confume dans le chagrin & la ter, reur (1); n'entendez-vous pas la liberté la patrie & l'humanité qui vous crient: Hâtez-vous de rendre la juftice à ce grand coupable; la juftice eft une dette de la fociété envers tous ?

(1) Les 19 & 20 de ce mois, on fit courir à Paris le bruit que Louis XVI étoit mort; mais il fut bientôt démenti par les bulletins qui annoncèrent au contraire que Louis & fa femme étoient à la veille d'un parfait rétablissement. Sans doute que ces bruits ne font femés que pour tâter l'opinion, & favoir quel effet produiroit parmi le peuple la mort prématurée de Louis XVI. Nous engageons les intéreffés à répandre des fauffes nouvelles de cette espèce, à publier le réfultat de leurs obfervations. No. 176. Tome 14.

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Eh! pourquoi voulez-vous vous charger vous-mêmes. de juger ce grand procès ? Oui, nous le répétons; avezVous recueilli le vou national qui vous y autorite? vous achevé le grand travail de la constitution? Voulez-vous par cette immenfe procédure vous perpétuer à la convention, & prendre racine fur vos fréges? Vous n'avez encore rien fait, & vous reculez le moment de faire! Il paroît que vous êtes enchaînés par les charmes du pouvoir, par l'appât de l'autorité.

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Membres de la convention, fecouez donc votre lés thargie; rendez hommage aux principes; déclarez hautement que vous n'avez pas ce droit. Legendre de Nevers, Dubois Dubay, Danton Vous tous qui reconnoiffez cette vérité, pourquoi vous taire? Pourquoi, actuellement que la difcuffion de la première queftion eft terminée, laiffez-vous la convention oublier fes devoirs, pour ufurper un droit de la nation? Nous vous fommons de monter à la tribune, de combattre pour la vérité, de manifefter votre opinion, ou nous vous rendons refponfables, aux yeux de la France entière, de tous les malheurs inféparables de la perte de temps que cauferoit une décifion contraire.

Que la convention exige deux jurés par départemens; que ces jurés arrivés à Paris fe divifent en deux jurys; que Louis foit jugé pár eux; que fa femme, renvoyée aux tribunaux ordinaires, foit mife en même - temps en caufe. Exilez loin de nous & leur fils & leur fille; chaffez toute la famille des Tarquins. Prenez-y garde. Si vous vous écartez des grands principes, le peuple s'y tient attaché; il vous obferve, il attend dans le plus court délai & votre décifion & le jugement de Louis XVI par 'une cour nationale. Si la juftice, fi les principes font violés, craignez fon mépris, fa haine : les écrits publics pour la défenfe de Louis ne font que confirmer dawantage le peuple entier dans fa première conviction; plus vous tarderez, plus fon indignation fera profonde.

Sur Blanchelande.

Blanchelande, gouverneur de Saint-Domingue, a été décrété d'accufation, arrêté & amené en France; il eft aujourd'hui détenu dans les prisons de l'Abbaye. Il im

porte de lancer quelques traits de lumière fur la conduite de cet homme qui a joué un si grand rôle dans les troubles de Saint Domingue, & qui n'eft point affez connu. Il faut pour cela jeter un coup-d'œil fur les commencemens de la révolution de la colonie.

Le génie d'une cour perfide cherchoit à allumer le feu de la guerre civile; il regardoit ce moyen comme le plus propre à préparer le retour du defpotifme. Pour y parvenir il falloit aliéner l'efprit public, égarer le patriotifme, exciter les fanatiques, affamer des contrées puiffantes par leur étendue & leur population, augmenter le nombre des mécontens réduire à la mifère une grande partie du peuple français; & en cas que ces fecouffes euffent été infuffifantes, livrer le territoireaux armées de la Pruffe & de l'Autriche. D'après ce plan contre-révolutionnaire, dont les annales de l'hiftoire ne nous offrent pas d'exemple, il falloit attaquer jufque dans leur bafe la richeffe & les reflources nationales. Saint-Domingue rendoit annuellement 400 millions au commerce, alimentoit les manufactures, offroit une navigation de 1oco bâtimens, exerçoit l'industrie, entretenoit une foule d'ouvriers en tous genres & trois millions d'individus dans une activité perpétuelle; Saint-Domingue, qui par une réaction immenfe de produit & de confommation, donnoit à sa métropole la prééminence dans la balance politique de l'Europe, parut aux yeux des confpirateurs un monument de pospérité publique qu'il falloit s'empreffer de renverfer de fond en comble, afin que la France qui en recevoit tant de bienfaits pût être écrafée par fa chute. La contexture politique de cette contrée, incompatible avec les principes de la philofophie qui devoient régénérer l'empire, fut les premières armes des ennemis de la liberté. Ils confacroient les principes pour Saint-Domingue, enfuite ils les comprimoient & les rétractoient tour à tour, en fe fervant tantôt de la politique, tantôt de la morale. Le but de cette manœuvre étoit de faire prendre les armes aux claffes de citoyens libres entre lefquels le préjugé de la couleur avoit établi une ligne de démarcation. Si cette ligne avoit été détruite dès le principe, Saint-Domingue feroit encore une fource productive de richeffes; mais on vouloit anéantir cette fource en exterminant les citoyens par les citoyens. Il falloit donc leur ménager une lutte, qui, au nom de la loi, pût les tenir dans un état de balancement & de contradic

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tion perpétuelle. Déjà une première affemblée coloniale étoit convoquée à Saint-Marc, lors de l'arrivée des décrets des 8 & 28 mars 1790. Le premier portoit que l'affemblée nationale, confidérant les colonies comme faifant partie intégrante de l'empire français, n'avoit cependant point entendu les comprendre dans la conftitution qu'elle avoit

décrétée pour le royaume, ni les affujettir à des loix incompatibles avec leurs convenances locales & particulières; qu'elle mettoit les colons & leurs propriétés fous la fauvegarde de la nation, & que les colonies émettroient leur vou fur le nouveau régime qu'elles fe deftinoient. Par ce décret il eft facile, de voir que l'affemblée conftituante déclaroit fon incompétence pour délibérer fur la nature des loix coloniales. En effet, les citoyens d'un pays quelconque ont feuls qualité pour délibérer fur les intérêts de ce pays, & ceux qui avoient promulgué la déclaration des droits de l'homme ne pouvoient connoître de l'espèce de ces loix coloniales fans entrer en contradiction avec euxmêmes. Auffi c'étoit une erreur de dire que les colonies faifoient partie intégrante de l'empire français; car il vaudroit autant dire que la zône torride fait partie intégrante de la zone tempérée, & que l'Amérique fait partie intégrante de l'Europe. Cette bizarrerie étoit rectifiée par la phrafe fuivante, qui reconnoifloit aux colonies le droit de fe faire des loix à elles-mêmes; & en effet, les colonies ne touchant à la métropole que par un feul point de contact, qui eft celui du commerce, la métropole ne pouvoit connoître du régime intérieur. Que doit-on penser des inftructions fubféquentes du 28 mars 1790, dans lesquelles inftructions des loix fondamentales étoient toutes faites? La plus remarquable de toutes eft fans contredit celle qui détermine l'activité des citoyens. Elle porte, article 4 Toute perfonne âgée de 25 ans, propriétaire d'immeuble, ou, à défaut d'une telle propriété, domiciliée depuis deux ans dans la paroiffe, fera citoyen actif. Cette difpofition étoit abfolument contradictoire au décret du 8 mars, qui avoit été rendu vingt jours auparavant; auffi l'explication de ces loix étoit-elle un labyrinthe inextricable: mais il étoit naturel de penfer que l'état des citoyens de couleur étant fixé par l'art. 4 des inftructions, il falloit en réclamer l'exécution. Cependant une déclaration de guerre de la part du ci-devant comte de Peinier, avoit un tout autre motif. Il étoit appuyé fur un projet d'indépendance qu'il attribuoit

calomnieufement à l'affemblée de Saint-Marc. Les canons du gouvernement grondoient de toutes parts; mais ce feu fut étouffé à l'époque du départ de cette affemblée coloniale, qui s'embarqua fur le Léopard, pour venir en France juftifier fa conduite. La démarche hoftile du comte de Peinier, fes lettres interceptées manifeftoient hautement le plan d'une contre-révolution à Saint-Domingue. Barnave, qui n'avoit pas recueilli de fes instructions perfides le fruit qu'il en attendoit, immola dès le moment de leur arrivée les repréfentans de la colonie au génie contre-révolutionnaire de la cour, & leur ôta tout moyen de défente en les faifant retenir en otage par le décret du 12 octobre 1790. Après le départ de l'affemblée de SaintMarc, le comte de Peinier convoqua à Saint-Domingue une feconde affemblée coloniale, d'après l'article 4 qui admettoit les citoyens de couleur. Sa proclamation refta fans effet; les affemblées primaires donnèrent leurs voix aux mêmes représentans qu'ils avoient élus. Cependant Peinier fut remplacé par Blanchelande; celui-ci, après avoir fomenté quelques infurrections partielles, convoqua à la réception du décret du 12 octobre une feconde affemblée coloniale, par une proclamation en date du Môle, dans laquelle proclamation il recommandoit l'exécution littérale des décrets des 8 & 28 mars. Blanchelande lui-même fut le premier à ne s'y pas conformer, puifqu'il reconnut la légalité de cette affemblée, & que cette affemblée, féante au Cap, n'étoit point compofée d'une partie de la claffe des citoyens de couleur. Par cette tactique, Blanchelande maintenoit les blancs dans leur préjugé, & les citoyens de couleur dans la colère qu'ils devoient reffentir de cette injufte exclusion. Ainfi Blanchelande, en excitant les citoyens les uns contre les autres, espéroit voir couler le fang, des deux côtés, & parvenir enfuite à un embrâfement univerfel. Tel étoit le but qu'il fe propofoit d'atteindre pour plaire aux confpirateurs des Tuileries; tel eft le moyen que cet agent féroce des ordres du tyran de la France employa pour perdre & les colonies & la métropole.

Blanchelande interprétoit contre les citoyens de couleur l'article 4, qui étoit directement en leur faveur; cependant il ne pouvoit pas ignorer que les citoyens de couleur ne fuffent des personnes.

Les citoyens de couleur qu'il cherchoit à porter à Pinfurrection par le refus conftant de leurs droits politiques,

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