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Si l'accufation étoit adınife, les quatre membres de » la convention destinés à faire les fonctions de grands » procurateurs, pourfuivoient l'accufation devant un tribunal & un jury, qui feroient formés l'un & l'autre » de la manière fuivante:

» Les corps électoraux nommeroient dans chaque département deux citoyens chargés de faire les fonctions » de juré. La lifte des cent foixante-fix jurés feroit préfen»tée à Louis XVI, qui auroit la faculté d'en rejeter quatre-vingt-trois. S'il n'ufoit pas de cette faculté, la » réduction feroit opérée par le fort. Le tribunal feroit compofé de douze jurés tirés au fort parmi les préfi» dens des tribunaux criminels des quatre-vingt-trois dé

partemens. Le juré donneroit fa déclaration à la pluralité » abfolue des fuffrages. Le tribunal appliqueroit la peine. » Il faudroit prévoir le cas du partage. Le comité a re» jeté ce projet, & a préféré celui de faire juger » Louis XVI par la convention nationale elle-même ».

Cette manière de rejeter un projet eft un peu lefte. Le comité auroit dû au moins nous faire part de fes raifons. Son devoir eft-il rempli, lorfqu'il femble dire: Nous avons préféré la convention nationale, parce que nous l'avons voulu, parce que tel eft notre bon plaisir, Ce n'eft pas ainfi qu'on agit avec des hommes libres : on leur parle raifon, bien sûr d'être accueilli fi l'on en a véritablement le langage; il n'y a que ceux qui ne peuvent pas prouver leurs affertions, qui veulent être crus fur parole.

Le comité nous paroît dans ce cas-là. Nous ne voyons aucune objection valable à oppofer à ce projet qu'il rejette fi dédaigneufement. Sans doute la convention peut juger le roi; de tous les corps, de toutes les affemblécs exiftantes, elle eft la feule qui ait le caractère requis; elle eft la feule qui puiffe prendre part à ce jugement, au moins comme jury d'accufation; elle est la feule enfin qui, ayant tous nos pouvoirs, puiffe, à la rigueur, ou les exercer ou les déléguer.

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Mais comme nous l'avons dit ailleurs, le ci-devant roi peut être jugé d'après la conftitution. S'il peut être jugé d'après la conftitution, c'eft d'après elle qu'il doit l'être; car puifque les amis du roi invoquent fa conftitution en fa faveur, puifque l'humanité comme la juftice exigent que l'on applique à l'accufé la loi la plus favo

rable pour lui, nous devons fuivre à fon égard la conftitution or, que dit-elle à l'égard des fonctionnaires pu blics, dont il étoit le premier, à l'égard des crimes de haute trahifon, tels que les fiens? Que le corps légifla tif fera les fonctions de premier jury, en portant le dé cret d'acculation, & que de hauts jurés, c'est-à-dire, des jurés de jugement, nommés par les électeurs de tous les départemens, prononceront fur la réalité des faits; voilà la règle d'après laquelle on doit le juger, & cette rè gle réunit & la publicité & la juftice. Le rapporteur dit lui-même dans un autre endroit : « Vous avez à pro» noncer fur les crimes d'un roi; mais l'accufé n'eft plus

roi; il a repris fon titre originel; il eft homme; ju » gez-le donc comme la conftituton vous difoit qu'il fal»loit juger tout confpirateur; jugeons-le d'après cette » conftitution qu'il a violée; que l'affemblée nationale » foit un des jury, la haute-cour nationale l'autre ». On propofoit au comité ce double jury. L'a-t-il rejeté par un fimple caprice, ou bien parce qu'il croyoit qu'une haute-cour nationale n'étant qu'un corps conftitué, ne pouvoit juger le roi? Mais ce n'étoit là qu'une erreur indigne de la fageffe du comité, & dont il eût pu facilement fe défendre.

Il arrive quelquefois, lorfqu'on a à choisir entre deux bons partis, qu'on fe détermine fur le champ & fans difcuftion pour celui qui a fur l'autre des avantages trèsmarqués & très-évidens; mais le comité ne fe trouvoit point dans cette pofition. Le premier projet étoit trèsbon on ne pouvoit, tout au plus, & avec une grande envie de critiquer, que lui reprocher d'établir, contre Pufage conftant de l'affemblée nationale, deux directeurs de jury qui ont été jufqu'ici fuffifamment représentés par les rapporteurs, dont les fonctions font d'analyfer les pièces & de préfenter l'acte qui en eft le réfultat.

Le fecond projet avoit l'avantage de n'être pas injufte en lui-même; mais il offroit de grands inconvéniens pour la chofe publique & pour la convention elle-même. Le comité n'a pas fongé à les détruire; il paroît ne les avoir pas même apperçus.

Maintenant que cette queftion eft bien plus mûrie dans toutes les têtes, on verra qu'en l'examinant dans la fé→ vérité des principes, il feroit bien mieux à la convention de ne pas fe charger de cette affaire. Nous poure

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tions, d'abord faire valoir le befoin qu'elle a de tout fon temps: on l'a nommée pour préfenter une conftitution le plus tôt poffible. L'empire eft aujourd'hui fans loix; la conftitution, vieille en naiffant, n'eft plus qu'un assemblage de refforts ufés, qui laiffent fans force & fans action une grande partie de la machine politique; tout eft à peu près déforganifé; on fe plaint de l'anarchie ; & quoiqu'elle ne foit pas à un fi haut dégré que certaines gens voudroient le faire croire, & que d'autres le défireroient cependant l'anarchie eft l'état naturel d'un peuple qui a des loix mauvaises & qui en veut de nouvelles. Il eft urgent de nous préfenter un nouvel ordre de chofes & fans défemparer: or, le procès du roi fi immenfe, fi compliqué, peut exiger trois mois, fix mois de travaux pendant ce temps, l'anarchie peut, comme une gangrène, faire des progrès incalculables, & les puiffances étrangères la fomenteront pour fauver fauver le tyran.

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Cette confidération eft fans doute de quelque poids, & ne devoit pas échapper à l'oeil clairvoyant du comité; mais il en eft d'autres plus puiffantes encore.

La convention tient entre fes mains, il eft vrai, tous nos pouvoirs, mais moins pour les exercer que pour les déléguer en notre nom. Un état eft perdu lorsque les mêmes hommes font à la fois administrateurs, légiflateurs & juges. La convention nationale l'a fenti elle-même lorfqu'elle a décidé que les fonctions du pouvoir exécutif font incompatibles avec les fiennes; il en eft de même des fonctions judiciaires.

Si l'on nous reprochoit que nous lui accordons ces mêmes fonctions, lorfque nous demandons qu'elle porte le décret d'accufation, il feroit facile de répondre que le jury d'accufation n'eft qu'un jury préparatoire, qu'il ne porte ni les plus grands, ni les derniers coups; & qu'au contraire en divifant la convention en deux jurys, on la rend maîtreffe abfolue de toute la procédure. Tout ce qu'on pourroit d'ailleurs conclure de ce raifonnement, c'eft qu'il ne faudroit pas même qu'elle fervit de jury d'accufation, & le comité gagneroit encore moins à ce systême.

Mais il ne s'agit que d'un feul homme, dira-t-on, & cette affaire n'eft d'aucune conféquence pour l'avenir. Il ne s'agit que d'un feul homme, & c'eft précisément pour cela qu'une affemblée législative ne peut pas le juger,

Pourquoi une exception à l'égard d'un feul homme qui n'eft qu'un individu comme un autre ? Pourquoi pendant un long espace de temps une affemblée ceffera-t-elle fes fonctions de légiflatrice pour fe réduire à celles de juge? Eft-ce pour prononcer des fentences que nous l'avons envoyée, ou pour propofer des décrets? Un petit nom-, bre d'affemblées électorales ont bien revêtu leurs mandataires du droit de juger le roi; mais eft-ce là le vœu de la majorité eft-ce là le vœu des affemblées primaires du peuple fouverain ?

Lorfque Charles premier fut amené devant la chambre des communes, il dit qu'il ne la reconnoiffoit point pour un tribunal compétent; & que quand tous fes fujets le trouveroient réunis, ils n'auroient pas encore le droit de le juger certes, le tribunal de la convention n'offrira pas les illégalités du tribunal de la chambre des communes: certes, Louis-le-Dernier ne pouffera pas l'audace jufqu'à récufer le tribunal fuprême du peuple; mais ne pourroit-il pas dire, lorfqu'on l'amenera à la barre : Je reconnois les droits imprefcriptibles de la nation; vous êtes fes représentans; en cette qualité, vous avez pu juger la royauté, mais non le roi; vous pouvez prononcer des décrets, mais non des fentences; & euffiez-vous le droit de vous ériger en tribunal criminel, je vous récuferois encore parce que vous êtes la convention parce que je vois en vous ces mêmes hommes qui ont aboli la royauté; vous n'avez point fait fanctionner ce décret, il n'est encore que votre volonté particulière, & il importe trop au maintien de ce décret, à l'intérêt de votre volonté particulière que je périffe; ma mort feule fanctionneroit ce décret pour jamais, En vain le rapporteur s'écrie: «A moins que Louis XVI ne demande des juges fufceptibles d'être corrompus par l'or des cours étrangères, pourroit-il défirer un tribunal qui fût cenfé » moins fufpect ou plus impaffible? Prétendre récuser la » convention nationale, ou quelqu'un de fes membres, ce » feroit vouloir récufer toute la nation; ce feroit attaquer

la fociété jufque dans fes bafes ». Ce ne font là que des déclamations.Nos conventionaux s'imaginent-ils être chacun l'homme le plus probe de la république, ou l'homme le plus éclairé Quand ils auroient même plus de lumières que toute la France entière, ce ne font pas de

grandes

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grandes lumières qu'il faut pour fiéger parmi les jurés; puifque tout le monde peut l'être & doit l'être par la loi ; c'est une grande droiture d'efprit & de cœur, du bon fens & de la vertu, chofes qui, nous aimons à le croire, ne font point rares dans notre république naiffante. Nous dirons plus la négligence avec laquelle le comité ou le rapporteur ont traité la queftion qui nous occupe en ce moment, la légéreté funefte avec laquelle ils ont attribué ce droit de juger à la convention, donnera lieu de croire qu'il existe un parti dans la convention intéressé à se saisir de cette affaire, & à s'en faifir feul pour la mener à fon gré, pour la diriger vers un but qu'on ignore, & que le temps feul pourroit découvrir lorfqu'il n'y auroit plus de

remède.

Si la convention s'érige en tribunal, ou elle condamnera Louis XVI, ou elle l'innocentera. Dans la première hypothèse, toute cette foule d'aristocrates francs ou cachés, tous ces hommes qu'une ombre fait trembler, tous les malveillans ne manqueront pas de crier par-tout: les députés n'auroient eu garde d'innocenter le roi fi le roi n'eût pas été coupable, la royauté ne l'étoit plus. Pour la rendre horrible, il falloit faire du roi un monstre, & ils n'y ont pas manqué. Dans la feconde hypothèfe, fi le roi étoit innocenté, ce feroit bien pis encore; tous les patriotes qui regardent Louis comme déjà condamné par la raifon & par l'éternelle vérité, ne pourroient le croire innocent: ils regarderoient la convention comme vendue; & quand les législateurs font méprifés, leurs loix ne peuvent pas être en honneur. Il n'y a qu'un petit nombre d'ames privilégiées qui jugent les chofes par elles-mêmes & dans leur effence: le grand nombre n'eft pas fi philofophe; il juge par les acceffoires, & fe décide par les vraisemblances. Les malveillans, avec un mafque de patriotisme, fortifieroient fes doutes, ajouteroient à fes incertitudes; & la nouvelle conftitution, fût-elle un chef-d'œuvre, ne trouveroit pour, bafe que des foupçons & qu'une opinion chancelante.

Formez au contraire une haute-cour nationale; & quelle que foit fa conduite, la convention refte à l'abri de tout reproche: elle garde ses véritables fonctions; elle ménage fon temps, fa réputation; les nuages ne fe forment pas autour d'elle. Quelle que foit l'fflue du procès, elle reste pure & intacte : nul ne peut l'accufer.

Si ces inconvéniens peuvent trouver des remèdes, le N°. 174. Tome 14.

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