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Lettres trouvées à Verdun, dans le porte-feuille de Monfieur.

Notre très-cher & très-fincère ami, dont la fin foit heureufe le premier miniftre de l'exemple des princes chrétiens & du modèle des grands qui profellent la religion de Jéfus, ( On tit.) le très-puillant & très refpectable empereur de France, après vous avoir prétenté des complimens dictés par l'amitié la plus pure, nous avons à vous faire favoir, en ami, qu'il eft incontestable que, pour le maintien de la bonne harmonie qui règne entre la cour de France & la fublime Porte, on doit obferver de part & d'autre, avec une fcrupuleufe attention, les capitulations & lesi traités qui en font les bafes, & qu'on doit chercher à fe rendre réciproquement toutes fortes de bons offices, en témoignage d'une amitié auffi inaltérable.

» La fublime Porte s'eft toujours piquée de la plus grande exactitude à ce principe, parce que la cour de France, de fon côté, en y apportant le même foin, a toujours cherché à refferrer les noeuds de la bonne intelligence.

Un autre point, non moins incontestable, eft qu'il importe fur-tout au bien des deux empires, que les amballadeurs envoyés par la cour de France pour réfider auprès de la fublime Porte, & pour protéger dans leurs affaires, conformément aux capitulations, les négocians & les autres Français qui viennent dans les états ottomans, foient des gens connus par leur droiture, leur fa geffe & leur jugement; ( On rit. ) enfin, qu'il puiflent préserver de toute tache la bonne harmonie qui règne entre les deux puiflances.

La fublime Porte n'a eu jusqu'à ce jour qu'à fe Touer des procédés & de la bonne conduite des ambaladeurs que la cour de France lui a envoyés; & comme tout l'engage à croire que la cour de France a l'intention d'employer les mêmes moyens pour' referrer de plus en plus les liens de l'amitié qui unit les deux empires, il feroit inutile d'infifter davantage fur cet objet.

Or donc, nous avons appris depuis peu que l'ambassadeur de France réfidant actuellement auprès de la fublime Porte, vient d'être rappelé, & qu'il a été nommé pour le remplacer dans ces mêmes fonctions, le nommé Semonville. Sans vouloir porter atteinte aux droits qu'ont les puillances de changer à leur gré leurs ambaffadeurs, nous devons cependant vous dire qu'il y a des motifs de craindre que le fufdit Semonville ne tienne une conduite peu convenable, vu la tournure de caractère qu'il a développé d'une certaine manière.

» Et comme il n'eft nullement à propos de nommer à une ambaflade, qui eft la commiflion la plus importante dont on puiffe être chargé auprès des puiffances, des perfonnes d'un efprit ainfi mefuré, & qu'au contraire il eft effentiel de donner cet emploi à telle autre perfonne qu'on voudra choifr , pourvu qu'elle foit connue par fon bon jugement, & qu'elle foit capable d'une conduite fage & conforme à l'amitié qui unit la cour de France à la fublime Porte, nous vous avons écrit cette lettre amicale, pour vous expofer que notre défir eft qu'on choififfe & qu'on nomme pour réfider en qualité d'ambaffadeur auprès de la fublime Porte, conformément aux capitulations, une autre perfonne plus capable N°. 173. Tome 14:

de fe composter avec la droiture & la ageffe quige det ♪ importante miffion, & plus propre traiter les affaires pour roient furvenir, à la fatisfaction des deux puifces & au plus grand avantage de l'amitié & de la bonne harmonie qui règnent Entre elles.

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Salut à celui qui marche dans la voie du falut.
"A Conftantinople la bien gardée ».

On rit.

Aimé Goupilleau annonce que dans le grand nombre de pièces mportantes prifes fur des émigrés, & dépofées au comité de sûreté générale, il en eft plufieurs qui prouvent que Choifeul, miniftre de France à la Porte ottomane, a trahi la caufe de la liberté.

Au nom du comité de sûreté ginérale, Hérault monte à la tribune, & fait un rapport fur ces pièces. En attendant, dit-il, que le travail des comités diplomatique & de sûreté générale foit achevé, je viens vous donner connoiffance de pièces très - importantes c'eft un paquet adreffé à S. A. R. Monfieur au camp des émigrés. Il contenoit quatre mémoires calomnieux rédigés par les envoyés de Vienne, de Pruffe, de Naples & de Ruffie auprès de la Porte ottomane, contre Semonville, nouvel ambaffadeur de France à Conftantinople.

Ces mémoires font datés du 10 août. C'étoit pendant la dernière heure de la royauté, & à l'aurore de la république & de la liberté du monde, qu'un agent du defpotisme tramoit à cinq cents lieues de nous le moyen de nous affervir.

Voici la première pièce :

Lettre de M. Choiseul-Gouffier, à Monfieur & à M. d'Artois.

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« Meffeigneurs, quoique je n'aie point encore reçu les ordres de vos alteffes royales que j'ayois ofé folliciter il y a deux mois j'espère qu'elles auront daigné recevoir avec bonté l'hommage de mon refpectueux dévouement & de mon inaltérable fidélité.

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» M. l'évêque d'Arras aura peu de temps après mis fous vos yeux, meffeigneurs, quelques détails relatifs à ma fituation & aux circonftances qui fe préparoient. Il étoit impoffible que nos tyrans fe laiffaffent braver plus long-temps par le feul fujet fidèle refté dans tout le corps diplomatique & qu'ils ne tentaffent pas d'envahir un pofte d'où ils peuvent efpérer de nuire efficacement à la grande caufe que vos alteffes royales défendent avec autant de gloire que d'énergie. On rit.

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J'ai reçu il y a trois jours une lettre de rappel; elle m'annonce que je fuis remplacé par M. de Semonville & qu'il fera précédé par Chalgoin, ci-devant mon fecrétaire d'amballade, dont je m'étois débarraflé fans lui nuire, en lui faifant donner un congé, avec la jouiffance de fes appointemens: homme très-borné, violent jufqu'à la démence, qui affectoit près de moi le plus pur royalifme, & qui vient de fe vendre à la horde jacobite. Il m'eft prefcrit de lui remettre les archives & la direction des affaires auffi-tôt que j'aurai pris congé; car on ne veut pas même me laiffer attendre mon ficceffeur, quoiqu'il doive déjà s'être embarqué à Gênes, & qu'il ne puiffe manquer d'arriver inceffamment. » Les projets de cet ambaffadeur national' ne font pas douteux

meffeigneurs, & je le fais armé de tous les moyens propres à en affurer le fuccès. Il doit propofer à la Porte une alliance fondée fur les bafes les plus propres à égarer les miniftres ottomans: il fera naître, à force d'argent & d'intrigues, des obstacles à l'exécution du traité de Siftow, & n'épargnera rien pour provoquer une rupture, foit avec la cour de Vienne, foit avec celle de Pétersbourg; il ira même jufqu'à promettre une efcadre française pour aider à reconquérir la Crimée, propofition qui peut produire le plus grand effet fur le grand-feigneur perfonnellement, (ah! ah! on rit.) & Semonville montera cette efcadre, déjà prête à fortir de Toulon, fi la Porte veut feulement laiffer entrevoir quelques incertitudes, toujours fuffifantes pour empêcher la cour de Vienne de dégarnir cette immenfe & dangereufe frontière, qui s'étend depuis le Dniefter jufqu'au golphe adriatique.

"Vos alteffes royales font trop éclairées pour ne pas appercevoir les funeftes inconvéniens qu'entraîneroit cette négociation, en fuppofant même qu'elle fût infructueufe; & vous vous rappellerez, meffeigneurs, quelle importance Frédéric le grand attachoit à une pareille diverfion, lorfque vers la fin de la guerre de fept ans, ce prince, fi bon calculateur, prodiguoit des fommes. immenfes pour engager la Porte à donner feulement quelques lé gères inquiétudes à la cour de Vienne.

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"Nous ne pouvons en même-temps vous diffimuler que Semonville trouvera ici de grandes reffources (Applaudiffemens.) dans les ambaffadeurs d'Angleterre & de Pologne, qui l'attendent tous deux avec une impatience mal déguifée. Applaudi. »Tels tont, meffeigneurs, les dangers que je redoute; (ah!) tels font les motifs qui me commandoient impérieufement de ne point abandonner une place que les ennemis de la monarchie pouvoient occuper avec tant d'avantage. Les mêmes motifs me prefcrivent aujourd'hui de prévenir vos ordres, en ne négligeant aucun moyen d'atténuer les perfides infinuations de l'affemblée nationale, en faisant rejeter, s'il eft poflible, leur émillaire par le grand feigneur; ou, fi je ne puis l'empêcher d'arriver, en multipliant devant lui les obftacles, & en contrariant conftamment fes efforts. Ah! ah!

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ont

"Je n'ai pas perdu un inftant, meffeigneurs pour éclairer & exciter les miniffres ottomans qui m'accordent de la bienveillance. Tous ceux qui ont quelque crédit fur l'efprit de fa hauteffe, été mis fur le champ en mouvement; ils m'ont parfaitement fervi, & peut-être mes feuls moyens perfoanels cuffent-ils réuffi; mais dans une affaire fi importante, j'euffe été coupable de rien mettre au hafard & de ne pas accumuler tous les moyens de fuccès. Je me fuis donc en même-temps concerté avec le baron d'Herbert, fur la marche combinée que nous devions tenir, fans cépendant laiffer trop clairement appercevoir notre union. Ce miniftre a faifi cette affaire avec toute la chaferr que l'on pouvoit attendre de fon zèle, & l'a conduite avec la dextérité dont il a déjà donné, tant de preuves. Une démarche directe & trop prompte de fa part eût été fufpecte, & dans le rapport où il fe trouve avec la Porte, prefqu'aucun des articles du traité de Siftow n'étant encore exécuté par les Turcs fon intervention précipitée eût même été nuifible; les Turcs ne pouvoient écouter fans mékance, qu'une cour dont l'alliance leur eût déjà été utile, &

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dont les avis paruffent dictés par un véritable intérêt pour l'empire ottoman.

» M. d'Herbert a réuffi à faire agir vivement M. de Knobeldorff, quoique celui-ci n'eût aucune inftruction du roi fon maître fur cet objet. Les premières inftructions de cet envoyé extraordinaire de Pruffe n'ayant pas femblé produire tout l'effet que nous défirions, le baron d'Herbert l'a déterminé à remettre officiellement à la Porte l'expreffion la plus énergique de fes fentimens & à demander une conférence avec le ministère ottoman laquelle aura lieu fous peu de jours, s'il eft néceffaire. On

- rit.

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Le baron d'Herbert a en même-temps engagé le chargé des affaires de Ruffie à fe joindre à lui; & ces trois miniftres ont fait préfenter ce matin à la Porte les mémoires dont je joins ici la .copie, qu'eux-mêmes ont bien voulu me remettre, en me permettant de les adreffer à V. A. R.

"Vous jugerez, meffeignears, devoir faire connoître à la cour de Vienne, ainfi qu'à fa majefté pruffienne, combien vous êtes fenfibles au zèle que leurs miniftres ont montré pour la caufe commune, & à la confiance qu'ils me témoignent comme à un des plus fidèles ferviteurs du roi & de vos altelles royales, feules légitimes dépofitaires de fon autorité,

» Jofe auffi vous prier, meffeigneurs, de vouloir bien m'honorer auprès de la cour de Pétersbourg de quelques témoignages de bonté qui puiflent achever de détruire des impreffions données contre moi par la plus baffe intrigue & la plus noire ingratitude, & qui me deviendroient bien pénibles, fi elles venoient à me priver de quelques moyens de fervir vos alteffes royales.

"Je ne dois pas vous laiffer ignorer, meffeigneurs, que l'envoyé de Naples s'eft prêté à communiquer à la Porte une dépêche de M. Acton, dans laquelle ce miniftre, en le prévenant de la nomination de Semonville, le lui dépeint fous les couleurs les plus odieufes.

» Je n'entrerai point d'ailleurs, meffeigneurs, dans le détail de tous les moyens accefloires que j'ai' employés à l'appui de ces démarches combinées, les argus de ces intrigues fecrètes étant inconnus à vos alteffes royales, & la marche qu'ils devoient tenir étant dépendante des moeurs des Turcs & des ufages de cet empire.

» Chalgrain arrivera aujourd'hui ou demain; mais je ne lui céderai affurément pas la place; & dans tous les cas, je ne prendrai point congé que je n'aie reçu les ordres de meffeigneurs. (Ah! ah!).

Si nous parvenons à faire repouffer l'ambaffadeur national par la Porte, fi nous pouvons retarder feulement de deux ou trois mois fon admiffion, nous aurons, melleigneurs, en écartant ainfi toute crainte d'une diverfion redoutable, remporté une véritable victoire; & nous vous donnerons le temps d'en remporter de plus brillantes fur les fcélérats qui menacent l'Europe d'une fubverfion générale. (Eclats de rire.) Signé, CHOISEUL-GOUFFIER ".

Après cette lecture, Hérault annonce que l'on traduit en ce moment trois autres pièces importantes; que dans celle qui eft fignée par l'internonce impérial, on verra le projet ridicule de faire de la France une province d'Autriche. (On rit.)

Hérault continue la lecture des pièces fuivantes :

Extrait du mémoire remis à la Porte par l'internonce impérial,

La faction fanguinaire des Jacobins, voulant fouffler par-tout l'efprit de difcorde & d'anarchie dont elle eft animée, vient d'ex pédier un de fes membres les plus dangereux, nommé Semonville, homme tellement noté par la perverfité de les principes, que plufieurs cours ont déjà décliné ou refufé de l'admettre en qualité de miniftre, & même fur leur territoire. Les projets execrables de cet émiffaire; connu de la cour impériale & royale, ne tendent à rien moins qu'à renverfer l'harmonie parfaite fi heureufement rétablie entre les deux empires pour préparer une diverfion à des hordes de fcélérats que S. M. I., avec fes auguftes alliés, tra vaille à mettre hors d'état de bouleverfer l'Europe entière.

L'internonce fouffigné a été trop fouvent à portée d'admirer dans les démarches de la fublime Porte, fa haute-fagefle & un jufte fentiment de fa dignité, pour ofer fe permettre un feul inf tant le foupçon qu'elle puitie s'abailler au point de recevoir en caractère public, devant le trône où l'honneur fiége avec la majefté, le plus décrié des factieux, chargé des propofitions les plus infidieufes, &c. ».

Extrait du mémoire remis à la Porte par M. Penvoyé de Pruffe.

Auffi-tôt que le fouffigné eut appris que le fieur Semonville étoit nommé ambafla deur de France près la Porte ottomane, il a cru de fon devoir & du plus grand intérêt de la fublime-Porte, de la prévenir fur fon fujet. Il a fait les plus vives inftances pour qu'elle s'opposât à fon arrivée. L'inutilité de fes infinuations l'engage à préfenter dans ce mémoire le détail des raifons qui ont motivé les démarches.

Le fieur Semonville, nommé il y a quelque temps miniftre de France à la cour de Turin, a été refufé, pa ce qu'il avoit été reconnu comme zélé Jacobin dans fa conduite à Genes, où il a foulevé le peuple contre le gouvernement; conduite ordinaire & chérie des Jacobins. (On rit.) L'existence de M. Semonville eft dangereufe dans tout pays, car il est Jacobin, (Eclat de rire.) c'està-dire d'une fecte fcélérate, compofée de fanatiques effrénés, dominés par la rage démocratique, ennemis jurés & allallins avoués de tous les fouverains. Tout leur eft égal, pourvu qu'ils délivrent la terre des defpotes; titre injurieux qu'ils donnent aux fouverains Jégitimes. Tels font tous les Jacobins; tel est M. Semonville; & un tel miniftre s'approchera jufqu'aux pieds du trône facré de l'empereur des Ottomans! (Éclat de rire.) Cette idée m'a faifi d'hor

reur.

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"Je crois qu'il eft contre la dignité d'un auffi grand fouverain de recevoir un miniftre déjà refufé & dédaigné par une autre cour, Le roi mon maître ne fera-t-il pas dans le cas de soupçonner le plus grand refroidilement de la part de fon ami? Les puiffances voifines de l'empire Ottoman ne feront-elles pas alarmées par la poflibilité d'un fuccès de négociations, qui ont pour but d'armer de nouveau la Porte contre elles? Ces alarmes occafionperont des mesures que la prévoyance prefcrit, & des méfiances qui néceflairement altéreront la bonne harmonie que la paix vient heureufement de rétablir,

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