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d'inaction; par une réfiftance paffive. Y a-t-il là un beau fujet de fête triomphale? Faut-il tant fe réjouir s'énorgueillir de ce que tous les Français n'ont pas été des lâches & des traîtres, de ce que des circonstances impérieufes, & peut-être une connivence blâmable avec nos généraux ont fait rebrouffer chemin à nos ennemis fans qu'ils fe foient battus. Une guerre terminée ainfi eft peut-être le triomphe de la philofophie, mais non ùn triomphe militaire, mais non l'occafion d'une fête triomphale. D'ailleurs, la philofophie ne demande jamais de fête pour des fuccès guerriers, parce que ces fuccès font toujours fanglans, ils ont toujours coûté la vie, à des hommes, plus ou moins.

Si nous attachions une fi grande importance à la marche rétrograde des armées ennemies qui n'ont fait aucune action d'éclat, non plus que nous pour très-braves. Nous l'avons déjà dit en parlant du nous ne pafferions pas camp de Paris, nous avons fait beaucoup d'honneur à nos ennemis en nous hâtant fi fort de les craindre & de nous remparer ici contre eux. Ce feroit leur en faire bien plus encore que de fe réjouir pompeufement, de faire des fêtes publiques à caufe de leur retraite, qui avoit été prédite par tous les gens fages & même par l'hiftoire; & ce ne feroit pas là agir en peuple libre. Un peuple libre ne s'effraie pas aifément; il ne triomphe pas pour peu: nos ennemis auroient lieu de fe croire bien redoutables, & de fe réjouir de leur côté à nos dépens. Voyez, diroient-ils, ces Parifiens, ces pères de la liberté, il femble qu'ils aient remporté fur nous de grandes vic toires, à peine cependant avons-nous tiré quelques coups de canons: c'eft triompher à bon marché.

Les Romains furent bien plus fages: lorfque ces Gaulois fi terribles eurent évacué Rome, il n'y eut point de triomphe. C'étoit une affez belle fête de voir les vieillards, les femmes & les enfans que la terreur avoit fait fuir, qui s'étoient vus près de périr de faim & de fatigue, rentrer dans leurs foyers, où ils retrouvoient leurs dieux pénates, leurs enfans, leurs époufes, leurs pères, les embraffer, s'embraffer les uns les autres, verfer des larmes de joie. L'ennemi avoit été maître du fiége de l'empire, & on ne célébra que des jeux capitolins pour remercier Jupiter de ce qu'il avoit confervé fon augufte

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demeure; dans les mœurs des Romains cela étoit grand & religieux; mais perfonne ne propofa de fe réjouir fo lennellement de la fuite des Gaulois. On avoit affez à pleurer fur les effets de leur courte apparition.

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Frédéric, appelé le Grand, parce qu'il fut un grand guerrier, après une grande victoire, écrivoit à Louis XV fon allié; j'ai acquitté à Friedberg la lettre de change que vous avez tirée fur moi à Fontenoi. Ce mot d'un defpote renferme une grande leçon; c'est que foit entre des alliés, foit entre des ennemis les victoires, les fuccès de l'un font comme des lettres de change dont l'autre doit rembourfer la valeur. La véritable fête à donner, eft de remporter loyalement fur nos ennemis les mêmes avantages qu'ils ont eus fur nous par la trahifon. Nons avouons que les fuccès de Cuftines font un affez beau triomphe, une affez belle fête militaire. L'entrée en Savoie eft au-deffus de tout éloge. C'eft-là une véritable réjouiffance. Bornons-nous à de pareilles céré

monies.

Que l'on faffe des fêtes modeftes pour de pareils fuccès, à la bonne heure. Nous approuvons le banquet Savoifien qui eut lieu dimanche 28 aux Champs Elysées : voilà comme il faut fe réjouir. Et c'étoit un fpectacle vraiment patriotique que de voir des légiflateurs affis à table à côté des ramoneurs de la ci-devant Savoie : cela n'avoit pas l'air triomphal, & n'en valoit que mieux. Tout fe feroit paffé à merveille fi Anacharfis Clootz n'eût donné pour toaft: Honte, & confufion à quiconque votera contre l'admiffion d'un quatre-vingt-quatriè e département. Quoi ! fi la Savoie doit faire une république à part, eft ce qu'il faut la dévouer à la honte & à la confufion? Eft-ce que la Fr nce auroit encore le fyftême impérieux de s'agrandir? Voilà l'inconvénient de ces fêtes c'est qu'il s'y tio ve prefque toujours quelque étourdi qui gate tout.

Lettre au journaliste Prudhomme.

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Brave fentinelle de la liberté, vous avez fait des reproches à nos généraux, & entre autres, à Dumourier; mais vous n'avez pas tout dit, parce que vous n'êtes pas fur les lieux, & que vous ne pouvez pas tout favoir. Ces meffieurs nous ont rendu quelques fervices, ils ont fait.

quelque bien; mais il paroît qu'ils ont pour devife le mieux eft ennemi du bien, & ils n'en font pas pour le mieux.

Vraifemblablement différentes loix ne leur font pas encore parvenues officiellement; ils les connoiffent bien mais ils font la fourde oreille à peu près comme les ci-devant aristocrates, ils ne les exécutent pas d'avance; ce qui feroit pourtant le mieux.

Vous favez que les décorations militaires font abolies; eh bien! Kellermann, encore aujourd'hui 19 octobre, jour où je vous écris, porte fon cordon rouge. Il y a plus, c'eft que lui ainfi que Dumourier ont montré de l'humeur aux chevaliers de Saint-Louis qui ont quitté leur croix; fans peur ces chevaliers, qui, comme l'on voit, ne font pas & fans reproche, l'ont bien vîte reprife, de forte qu'ac tue lement officiers & généraux, tout le monde la porte.

Vous favez auffi que l'affemblée légiflative avoit fubftitué des épaulettes de laine aux épaulettes d'or; à dire yrai, quoique j'aime à interpréter le tout pour le mieux, je ne puis pas nier que les généraux n'aient pas reçu la loi, car long temps les officiers avoient portés des épaulettes de laine, mais à préfent ils reprennent celles d'or. Il est vrai que c'eft bien plus joli, & que comme cela on ne ressemble en rien aux chaffeurs ou canonniers.

A propos, bonne nouvelle pour les ci-devant habits bleus de Paris; nous avons encore le cheval blanc de Lafayette. C'est toujours quelque chofe, en attendant le

maître.

Ce qu'il y a de sûr, c'eft que fi nos généraux euffent voulu, nous aurions l'homme & la bête. Il eft, c'eft Lafayette que je veux dire, il eft à la tour de Spandaw; &

nous l'avions exigé dans une des capitulations ou dans un des échanges, on nous l'eût livré fans difficulté. Je le fais de fcience certaine. C'eût été fans doute le mieux de faire voir encore Lafayette aux Parifiens à la place de. Grève.

En attendant, le cheval blanc eft monté par un domeftique de Dumourier; & Carra, Prieur & Sillery fa fervent de la berline de Lafayette; le tout au profit de l'état. ***

Comme j'ai une commiffion à l'armée qui demande quelque réserve, je vous prie, citoyen Prudhomme, de ne pas

encore me nommer.

N. B. Notre correfpondant plaifante un peu trop fur

des chofes qui méritent l'indignation la plus profonde. Si nos généraux obéiffent fi peu à la loi & à l'intérêt public, ils font dignes de monter eux-mêmes le cheval blanc.

Qu'eût fait le grand Frédéric à la place du gros Guillaume?

On nous a fait une queftion affez bizarre. Le grand Frédéric, roi de Pruffe, à la place de Guillaume fon fucceffeur, fe feroit-il conduit de même à l'égard de la France ?

Au lieu de répondre directement, nous aimons mieux renvoyer à une nouvelle hiftoire de ce defpote bel-efprit, qui paroît en ce moment, 2 vol. in-8°. chez la veuve Guillot, libraire, rue Chriftine. On y trouvera la vie pu blique & privée, littéraire & martiale de ce béros mo. derne que notre révolution eût contrarié fans doute mais il connoiffoit trop le cœur humain pour commettre fa réputation, fon autorité & fes troupes dans une guerre contre vingt-cinq millions de Français, pour la première fois ivres de la liberté, à moins pourtant qu'il ne fe fût affuré dans notre armée d'un général temporifeur, difpofé à lui frayer la route de Paris, ou à lui ménager une retraite en cas de trop de réfiftance, de notre part. Frédéric n'étoit pas homme à fe refufer à des propofitions (1) auffi raifonnables.

Mais non, moins crédule & plus prudent que fon

neveu,

Trifte neveu d'un fi glorieux oncle;

il eût dit à fon voifin François & aux émigrés, & même à l'auteur du mémoire où il fe feroit vu traiter d'honnéte homme de roi : Meffieurs, arrangez-vous comme vous l'entendrez; je ne fuis point du tout d'humeur à intervenir dans ce grand procès contre la royauté; je ferois juge & partie; cela ne me convient pas d'ailleurs je vois d'un côté trop d'enthoufiafme. La difcipline de

(1) Voyez le mémoire de Dumourier au numéro précédent.

,

mes foldats, à qui je dois le furnom de grand; ne me ferviroit de rien contre une nation devenue fanatique; trop heureux moi-même fi elle ne fe met pas en tête de fanatifer tout le globe. Je prévois que cette guerre aura un caractère particulier qui pourroit mettre en défaut les manœuvres (1) de Poftdam. Vainqueur ou vaincu, j'ai prefque les mêmes rifques à courir. Le plus fage eft de fermer toute communication avec ces gens-là; le mal français eft contagieux; les armées combinées de tous les rois de l'Europe ne m'effraieroient point; mais on ne comb t pas une épidémie populaire avec des foldats. Je fuis à peu près sûr des miens, plus que de mes Berlinois; j'ai émancipés ceux-ci trop tôt; mon académie les a rendus prefqu'auffi favans que leur maître.... Qu'ils faffent donc en France tout ce qu'ils voudront de leur roi! Si je me mêlois de leurs affaires, ils voudroie t se mêler auffi des miennes, & c'eft ce qu'il faut éviter avec foin. On me ménage, je le fais, des intelligences dans leurs places frontières; il ne me feroit pas très difficile de leur prendre quelques villes fortes; mais comment les garder dans un pays où tout le monde eft devenu foldat? ils affameront mon armée victorieuse; j'en ferois réduit à mes lauriers ftériles; & puis, que fais-je ? un mal-adroit pourroit bieh m'atteindre d'une balle ou d'un boulet, & m'enlever un membre; & fi une fois mes vieilles troupes voient mon fang couler, elles ne me croiront plus invulnérable; je cefierai d'être un dieu pour elles; le mépris prendra la place de la terreur ré gieufe que j'ai fu leur imprimer jusqu'à ce moment; bientôt je deviendrai un foliveau confpué par ceux-là même que je bâtonnois ci-devant. Louis XVI a gâté le métier; il n'a pas fu en impofer affez je fens qu'il nous fera difficile, à nous autres rois, de tenir encore long-temps; tâchons du moins de me conferver avec honneur julqu'à la fin, & de ne cefler de régner qu'en ceffant de vivre ; mes fucceffeurs, fi j'en ai, feront comme ils pourront.

(1) C'eft le titre d'un ouvrage contenant les plans de campagne du roi Frédéric.

Lettres

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