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que fon maître n'eft plus roi, n'équivalent pas le facrifice de fa liberté. La foeur de Louis XVI & fa femme, fon fils & fa fille logent au-deffous de lui. Médicis-Antoinette voit fon mari trois fois par jour, & une heure chaque fois. Le matin, l'officier municipal de garde vient l'avertir que le déjeûner eft prêt, à deux heures le dîner, à huit heures le foaper. Elle monte à ces trois époques avec toute fa famile. Le repas fait, on la prie de defcendre; on ne leur permet point de fe parler bas ou par figne. Des abat-jour garniffent toutes les croifées, enforte que les détenus ne peuvent voir que le ciel, & ne communiquent point avec terre. Louis Capet ne defcend prefque plus au jardin; il garde la chambre, & parle peu au municipal qui le furveille.

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La fanté de Médicis-Antoinette ne paroît pas altérée, mais fes cheveux grifonnent avant l'âge. En defcendant, elle ne manque jamais de fixer très-attentivement les trois fentinelles poftées dans l'efcalier fur fon paffage, espérant toujours rencontrer quelques agens fecrets chargés de lui tranfmettre des avis intéreffans, mais elle en eft réduite au langage des yeux. Il eft défendu d'ouvrir la bouche devant elle, & de répondre à fes queftions fi elle en hafardoit. Les guichetiers, la tête couverte d'un bonnet rouge, ne fe gênent point, & font tout le bruit qu'on peut faire en ouvrant ou fermant les portes de leurs prifonniers, garnies de gros veroux. Avant de parvenir à la pièce qu'habite Louis XVI, il y a trois portes à ouvrir, dont l'une eft de fer. Médicis d'Autriche femble ne pas prendre garde à tout cela; la foeur de Louis XVI obferve le même maintien; le fils & la fille du ci-devant roi ont l'air de n'y pas penser. Leur mère leur a appris à chanter, & leur fait fouvent rẻpéter à mi-voix l'ariette fameufe:

O Richard! ô mon roi!
L'univers t'abandonn

Ces quatre perfonnages occupent la même pièce au pre mier étage, divifée en quatre parties. Au plafond de celle qui fert d'anti-chambre, eft fufpendu le bonnet de la liberté.

Médicis-Antoinette a pour femme de chambre une bonne vieille, dont le mari, fort honnête homme, & jadis commis aux barrières, couche dans le petit appartement du ci-devant prince royal. Au-deffus de celui de fon père, on en prépare un avec beaucoup de foin & de recherche pour fa femme & le refte de fa famille : il eft pratiqué dans une

très-grande chambre qu'on a divifée en huit compartimens ou petits cabinets. L'intention de l'affemblée conventionale feroit-elle de laiffer toute cette famille encore long-tempslà ? Et en effet les deux femmes paroiffent n'avoir pas perdu tout espoir d'une délivrance au moins lointaine. La groffe Elifabeth n'a pas encore pris le maintien modefte qui fied au m dheur. N'ayant plus aumônier, ni chapelain, à l'exemple de fon frère, elle lit avec exactitude tout fon bréviaire qu'on difoit jadis pour eux à fi grands frais; elle s'en eft procuré un complet en quatre parties. Dernièrement elle fit emplète d'une petite pacotille de livres pour la valeur de quinze à vingt Corfet. Prefque tous ces volumes font de dévotion. On defireroit en elle un peu plus de cette humilité chrétienne dont elle doit trouver des leçons dans fes lectures pieufes. Sa niéce la copie parfaitement; cette petite effrontée vient regarder l'officier municipal jufque fous le nez; fon frère cadet en fait de même. Leur première éducation a été fi mauvaife, fi plate!

Mais ces manques de favoir vivre n'autorisent pas les citoyens fentinelles dans la tour, à s'y conduire comme s'ils étoient dans leurs corps de garde. La nuit, le jour, ils chantent à pleine voix, & danfent la carmagnole avec un bruit dont la famille captive ne doit rien perdre. Si leur intention eft de mortifier leurs prisonniets, c'est très-mal vu. Une nation généreufe fans foibleffe, plaint les criminels avant de les frapper du glaive de la loi. Il y auroit de la lâcheté à pardonner à des fcélérats, mais il y en a auffi à les molefter en attendant leur jugement, & quand

ils font hors d'état de nuire.

Le valet de chambre de Louis Capet a entre les mains les décorations que fon maître portoit fur fes habits quand il étoit roi. Cléry vient de confulter le confeil de sûreté du Temple pour favoir à qui il doit remettre tous ces chiffons. Il a été arrêté de les faire paffer à la convention. Notre avis feroit de les joindre aux petits drapeaux pris. fur les émigrés, & dont on a décrété la brûlure en public par les mains du bourreau.

Nouvelles des armées.

Savoie. La rapidité de nos conquêtes dans ce pays tient du prodige, & nos fuccès font prefque efirayans. Un ancien difoit qu'on n'eft jamais plus près du malheur, qu'au moment où l'on jouit du plus grand bonheur; fi cet apophtegme eft vrai, c'eft à nous à ne pas nous laiffer enivrer par la joie, ni aveugler par la fortune. Tenons-nous par-tout fur nos gardes, & que nos généraux fur-tout prennent bien leurs précautions, & ne fallent rien au hafard.

Le général Anfelme a eu les mêmes avantages à Villefranche

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qu'à Nice & qu'à Montalban, Toutes ces différentes prifes démontrent que la force des ois & de leurs valets ne confifte pas dans le nombre des foldats ou des bouches à feu qu'ils peuvent mettre en mouvement, ni même dans les remparts qui les défendent. Elle git dans l'opinion. Quand l'opinion n'eft pas éclairée, c'est le moment de leur triomphe; dès qu'on eft parvenu à les connoître & à les eftimer ce qu'ils valent, ils font anéantis, & les efforts impuillans qu'ils font ne font que l'agonie de la mort. A Villefranche, cinquante Français épouvantent deux mille hommes qui tiennent la citadeile, & les forcent de fe rendre à difcrétion. Il ne faut pourtant pas s'imaginer que le nom français foit comme une tête de Médule qui pétrifie les fatellites des tyrans; non, ce font les Niçars qu'ils ont craints & non pas nous. Que peut faire une garnifon, que peut faire une armée, lorfqu'elle a contre elle le peuple même qui l'entoure? Nos fuccès ne prouvent rien, ou presque rien en faveur de notre courage; mais ils prouvent tout en faveur de notre caufe. Ceft la liberté qui a mis en fuite les deux mille hommes qui défendoient Villefranche.

Il paroît que le roi farde faifoit comme le nôtre, il trompoit fa nation, mais d'une manière bien différente. Le nôtre feignoit des préparatifs de guerre qu'il ne faifoit pas l'autre feignoit de n'en point faire, & en faifoit. Par-tout on a trouvé la plus énorme quantité de munitions de guerre & de bouche, cachée avec foin, dé-/ robée avec art aux yeux du peuple. C'eft que le roitelet favoyard favoit bien que fi les rois s'entendent entre eux, les peuples aujourd'hui s'entendent auffi.

On apprend que Paoli ayant fait une defcente en Sardaigne, a été reçu avec auffi peu de réfiftance, avec la même fraternité de la part des habitans de cette île. Cela ne nous étonne point; car de tout temps les infulaires ont été encore plus amis de la liberté que les continentaux.

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Genêve. Ce n'eft pas contre nous que l'aristocratie de Genêve que le confeil magnifique a demandé feize cents hommes aux Ber nois, mais contre le peuple même de Genève. La chofe eft atiez palpable; car nous étions tout auffi maîtres d'entrer à Genève, & ̈ par conféquent tout auffi redoutables pour elle avant que de pafler dans la Savoie, puifque nous fommes limitrophes avec Genêve, &" que cette république eft moins défendue encore de notre côté que du côté du Faucigny. Nous avons découvert l'artifice, & le pouvoir exécutif lui a rendu rufe pour rufe, en quoi il a eu tort. Il falloit dire au confeil magnifique: nous vous craignons peu, vous & vos feize cents hommes, mais nous ne voulons pas que les Génevois aient à craindre des aristocrates. Ce n'eft. pas en vertu des traités que nous vous enjoignons de ne pas accepter de renfort, mais en vertu de la raifon & de la juftice éternelle. Montefquiou a été un peu plus franc que le pouvoir exécutif; il n'a~ pas caché ce motif qui étoit pour nous le premier de tous. Il n'a voulu entendre parler d'aucun accommodement, qué la ville ne fût évacuée; & le magnifique confeil & les feize cents hommes de Berne ont été obligés d'obéir très-poliment & très-promptement. Montefquiou à fon tour n'a pas fait entrer fes troupes dans la ville. Nous ne voulons que conferver l'indépendance des Géne vois, qui font affez forts chez eux, dès que perfonne ne s'avifera de leur faire la loi. Y introduire des troupes, c'étoit un acte de fouveraineté que nous ne pouvions nous arroger; nous avions affez de fautes anciennes expier à leur égard. Nos rois avoient garanti le gouvernement ariftocratique de cette république. La convention à renoncé à cette partie du traité : c'eft aux Génevois maintenant à faire le refte s'ils veulent.

Armées de l'intérieur. Les armées Pruffiennes fe retirent bien doucement, & nous les reconduifons bien poliment. On nous parle toujours de prifonniers faits, mais on n'a garde de nous en dire le nombre. Chez les Grecs, c'étoit un ufage que lorfqu'un étranger arrivoit dans une contrée, dans une ville, les habitans le rece-voient avec beaucoup d'honnêteté, le reconduifoient fraternellement, & faifoient alliance avec lui. Il paroît que c'eft ainfi que nous nous conduifons avec les Pruffiens. On parle déjà d'un traité fecret avec Frédéric-Guillaume. Il faut remarquer cependant que les Grecs ne traitoient pas de la forte les étrangers qui venoient chez eux à main armée. Ils eurent bien foin de tailler des croupières à Xerxès, & ils ne firent de traité avec leurs agreffeurs, qu'après avoir pendant dix ans porté la guerre dans leurs foyers. 11 eft vrai que Thémistocle, qui vouloit fe ménager un afile en Perfe, en cas de befoin, ne fit pas autant de mal à Xerxès qu'il auroit pu; & en cela nos généraux reffemblent bien à Thémistocle; cependant Thémistocle remporta des victoires.

Nous avons vu qué Dillon avoit ouvert & enfeigné le paffage aux Heffois, & que Dumourier n'appella cela qu'une bravade. Nous croyions, nous, qu'une bravade n'étoit qu'une infulte, qu'une forfanterie faite à l'égard de quelqu'un plus fort que nous; la promeffe, par exemple, faite par Dumourier de prendre les Pruffiens en trois jours, peut bien être appelée une bravade; mais la politeffe anti-civique que fait un officier à un ennemi vaincu offrant de le laiffer paffer fans coup férir, ne peut point être appellée de ce nom.

en lui

Il y a une tactique dans la conduite des affaires. Quand un officier eft en défaut, on le charge d'une entreprife qu'on croit belle, & on efpère le laver par-là. Montefquiou, accufé & déjà condamné, est averti fous main d'entrer en Savoie, & il y va; & aufli-tôt le peuple français & la convention de crier Montefquiou a raifon, & nous ayons eu tort, Dillon, accufé de trahison, eft chargé de reprendre Verdun. On favoit bien qu'il feroit rendu; tout étoit concerté d'avance. Dumourier étoit venu fe pavaner à l'Opéra, parce qu'il voyoit bien qu'il ne pouvoit plus fe vanter de rien à l'armée. Il laiffa à Kellerman le rôle fubalterne de marcher tranquillement derrière l'ennemi, & à Dillon celui d'entrer dans une ville qu'il favoit bien qu'on lui céderoit.

Dillon n'a pas profité de la circonftance; il a fait avec l'ennemi une capitulation ridicule; la voici :

Copie de la lettre de M. Courbière, lieutenant-général au fervice de Pruffe, à M. A. Dillon, lieutenant-général commandant l'armée des Ardennes, datée de Verdun, le 11 octobre 1792. Monfieur, J'ai ordre du roi de vous marquer, en réponse à la fommation que vous m'avez faite, d'accorder demain, 12 du courant, dans la matinée, la porte de Secours qui fera occupée conjointement par les troupes du roi et par les troupes françaises.

Le terme de l'évacuation entière de la ville de Verdun pourra avoir lieu le 14, & les malades transportables suivront fur des voitu res du pays que l'on paiera.

C'eft d'après cela que je fuis autorifé à convenir des points de la capitulation; c'est au reffe avec les fentimens de la confidération la plus diftinguée que j'ai l'honneur d'être, Monfieur, votre trèshumble & obéiflant ferviteur. Signé, COURBIERE, lieutenant-général au fervice de Pruffe.

Certifié conforme à l'original, le lieutenant-général commandant l'armée des Ardennes. A DILLON.

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D'où vient que l'ennemi, en fuyant, paroît encore nous faire la lei? Le commandant ne femble pas céder à la néceffité de la guerre, à la loi du plus fort, mais à la bonne volonté de fon roi à notre égard. Il prend fon temps; il fixe lui-même les époques; il a foin même, pour montrer que tout fe fait de bon accord, d'arranger les chofes de manière à ce que les Français gardent la ville avec les Pruffiens; il donne les munitions qu'il ne peut emporter; mais auf on lui laine tous les autres effets appartenans à la Prufie. Ce font deux amis qui troquent un logement, & qui s'arrangent pour les meubles, ou plutôt c'est le Prüffien qui eft vainqueur, car il prescrit les conditions.

Nous ne demenderions pas, comme le député Choudieu, que les généraux n'euflent pas le droit de drefler des capitulations, cela feroit quelquefois très-dangereux; mais il faut examiner s'il les font comme ils doivent les faire ; & s'ils prévariquent, les punir.

Lille. Le fiége de cette ville eft levé & nous avons peu de nouvelles fraîches à en donner; mais c'eft concourir à ce tribut d'admiration & de reconnoillance que la république entière doit aux braves Lillois, que de recueillir & de publier tout ce qui peut retra cer quelques traits de leur héroïque conftance. C'est dans cette vue que nous confignons ici les détails fuivans choifis parmi tant d'autres. Nous les trouvons dans une lettre adreffée le & de ce mois au dire&oire du département du Nord, par les administrateurs du district de Lille.

Pendant le fiége, on jouoit à la boule avec des boulets fur la grande place, ou il en tomboit abondamment, et l'on en apportoit d'autres dans des baquets. Le 5 un ouvrier tiroit à lui un boulet rouge, avec fon chapeau, le chapeau brûla: d'autres qui étoient à la pourfuite du boulet, le coifferent en cérémonie d'un bonnet rouge. Un autre voyoit fa maifon près d'être incendiée, mais avant d'y porter du fecours, il voulut mettre en fûreté le bonnet de la li berté qui étoit fu- le coq du clocher, à côté de fa maison.

Les bombes qu'envoyoient les Autrichiens contenoient des petites phioles d'huiles de thérébentine, et quand elles faifoient explosion, l'huile enflammée s'attachoit aux boiteries & les brûloient.

Un boulet rouge tomba fur le coin du grenier de la maifon du fieur Gre net, émigré, rue des jéfuites; ce coin de grenier étoit féparé du refte du bâtiment, par un mur affez épais, que la recherche du boulet déterminé les gardiens à ouvrir leur furprise fut extrême en trouvant là une quantité prodigieufe de meubles, de glaces, & autres effets précieux. Il y en avoit jufqu'aux faîtes de la couverture. Le procureur-syndic ayant été prévenu de ce fait, a été infpecter les lieux et l'on étoit encore occupé le lendemain à transférer ces effets. Il n'eft pas néceflaire de dire que les braves fans-culottes ont respecté cette propriété nationale.

Il est bien trifte après avoir occupé nos lecteurs de ces actions généreufes, d'avoir à leur parler des querelles des officiers: deux hommes fe difputoient. L'un appeloit ich adverfaire un coquin, & l'autre lui renvoyoit cette qualification: ils ont raifon tous deux, dit un paífant qui les connoiffoit: n'avons-nous pas à craindre qu'on ne puiffe dire peut être la même chofe de Labourdonnaye & de Duhoux, qui s'accufent réciproquement d'être des confpirateurs.

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La lettre de Lebourdonnaye ne prouve rien en fa faveur le ton en eft peu digne d'un républicain. C'eft une animofité, c'est une haine perfonnelle qui y perce d'un bout à l'autre. Qu'est-ce qui choque le plus, qu'eft-ce qui a frappé d'abord le général ? C'eit que la convention, nationale ait accordé les honneurs de la féance N°. 171. Jame 14.

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