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des Pruffiens: encore moins l'infulaire de la Grande-Breta gne, qui ne s'eft point déclaré ouvertement contre notre révolution, parce qu'il en profite pour étendre fon négoce & fatisfaire fon âpreté pour le gain. Déformais le véritable républicain doit fe trouver en France. Délivré d'une cour qui énervoit les uns & pervertiffoit les autres, le Français républicain doit renoncer à cette miférable prétention de donner à l'Europe le ton des modes nouvelles: déformais il faut que la vue d'un Français faffe pâlir les defpotes fur leur rône, & éveille dans l'efprit de fes voifins le fentiment de la liberté & de toutes les vertus républicaines.

Citoyens! il faut vous réfigner d'avance à des privations, & vous réfoudre à des facrifices; mais les vraies richeffes, les véritables jouiffances, font celles que nous donne un fol fertile fous un climat aimé de la nature. Nous avons P'un & l'autre. Que nous manque-t-il? Nous pourrions nous paffer de tout le refte de la terre; nous avons tout ce qu'il faut pour vivre indépendans des chofes & des perfonnes. Notre territoire eft véritablement la patrie adoptive de la liberté, nous avons tout ce qu'il faut pour nous faire refpecter & craindre du refte de l'Europe. On fe tranf porta long-temps à Athènes & à Rome pour prendre des leçons de goût & des modèles dans les arts libéraux: on viendra dorénavant en France pour apprendre comment on traite avec les defpotes, & quel eft le culte le plus digne de la liberté.

Notre intérêt même fe trouve lié à la nouvelle forme de gouvernement que nous venons d'adopter, & l'avenir ne tardera pas à nous dédommager amplement des pertes que la révolution préfente nous a fait effuyer. Perfévérons; gardons l'attitude que les circonftances heureuses nous permettent de prendre. Jamais peuple n'a joué un plus beau rôle fur la terre. Nous fommes à la veille de voir toutes les nations nous tendre les mains, & implorer notre affiftance pour les aider à détruire le defpotifme & toutes les ariftocraties. Encore un peu de temps, & toutes les couronnes du monde connu viendront fe brifer contre le bonnet de la liberté française; encore

un peu de temps, &tous les peuples brigueront l'hon neur d'être les alliés de la république des Francs.

Extrait de la lettre du ministre de l'intérieur aux corps adminiftratifs, en leur envoyant la loi qui abolit la royauté.

La convention nationale eft formée; elle prend féance; elle vient de s'ouvrir. Français ! ce moment folennel doit › être l'époque de votre régénération. Jufqu'à préfent vous avez été pour la plupart, fimples témoins d'événemens N°. 168. Tome 14.

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qui fe préparoient fans que vous cherchaffiez à les prévoir, qui furvenoient fans que vous en calculafliez les fuites, & dans le jugement defquels les paffions des individus ont fouvent mêlé des erreurs. La masse entière d'une nation, long-temps opprimée, le foulevoit de laffitude & d'indignation; l'énergie de la capitale frappa la première le coloffe du defpotifme; il s'abaila devant une conftitution nouvelle, mais il refpiroit encore & cherchoit les moyens de fe rétablir. Ses efforts multipliés l'ont trahi, & fes propres manœuvres, pour anéantir les effets de la révolution, nous ont amené une révolution dernière & terrible. Dans ces années d'agitations & de troubles, fi de grandes vérités ont été répandues, fi des vertus, méconnues des peuples efclaves, ont honoré notre patrie, de honteuses paflions l'ont déchirée.

» La France ne fera plus la propriété d'un individu, la proie des courtifans; la clafle nombreufe de fes habitans induftrieux ne baiffera plus un front humilié devant l'idole de les mains. En guerre avec les rois, qui fondent fur elle, & veulent la déchirer pour le bon plaifir de l'un d'entre eux, elle déclare qu'elle ne veut plus de rois; ainfi, chaque homme, dans fon empire, ne reconnoît de maître & de puiffance que la loi.

» Il ne faut pas nous le diffimuler, autant ce glorieux régime nous promet de biens, fi nous fommes dignes de l'obferver, autant il peut nous caufer de déchiremens, fi nous ne voulons approprier nos mœurs à ce nouveau gouvernement. Il ne s'agit plus de difcours & de maximes; il faut du caractère & des vertus. L'efprit de tolérance, d'humanité, de bienveillance univerfelle, ne doit plus être feulement dans les livres de nos philofophes; il ne doit pas fe manifefter uniquement par ces manières douces ou ces actes paffagers, plus propres à fatisfaire l'amour-propre de ceux qui les montrent, qu'à concourir au bien général ; il faut qu'il devienne l'efprit national par excellence; il doit refpirer fans ceffe dans l'action du gouvernement, dans la conduite des adminiftrés; il tient à la jufte eftime de notre espèce, à la nobie fierté de l'homme libre, dont le courage & la bonté doivent être les caractères diftinctifs.

» Vous allez, meffieurs, proclamer la république; proclamez donc la fraternité, ce n'eft qu'une même chofe. Hâtezvous de publier le décret qui l'établit, faites-le parvenir dans toutes les municipalités de votre département; accufez moi fa réception; annoncez le règne équitable, mais févère de la loi. Nous étions, accoutumés à admirer la vertu comme belle; il faut que nous la pratiquions

comme néceffaire; notre condition devenant plus élevée, nos obligations font auffi plus grandes & plus rigoureuses. Nous obtenons le bonheur, fi nous fommes fages; nous ne parviendrons à le goûter qu'à force d'épreuves & d'adverfité, fi nous ne favons le mériter. Il n'eft plus poffible de le fixer parmi nous, je le rèpète, que par l'héroïfine du courage, de la juftice & de la bonté ; c'eft à ce prix que le met la république.

Le ministre de l'intérieur, ROLAND.

Obfervations. Le miniftre Roland eft l'un des hommes publics qui a le mieux fenti le prix de l'inftruction: il a inis le zèle le plus ardent à la faire circuler par tous les canaux dans les différentes claffes des citoyens, tantôt en s'adreffant aux adminiftrateurs, tantôt en parlant aux adminiftrés. Cette pièce que nous inférons, l'une des dernières qu'il ait publiées, n'eft pas la moins importante par fon objet. Ce miniftre a cru devoir prendre un ton plus élevé, mais il n'a peut-être pas affez caché la prétention de bien dire. Sa comparaison du chaos à la France, & de la création du monde au règne de l'égalité, fans être bien neuve, n'en fera pas faifie, pour cela, par plus de perfonnes.

Mais nous hafarderons un reproche plus grave fur fa fuite. Immédiétement après avoir dit qu'il faut du caractère, le citoyen Roland prêche l'efprit de tolérance: il faut, dit-il, qu'il devienne l'efprit national par excellence.

Citoyen Roland, fi c'eft bien là votre avis, fi ce que vous dites n'eft pas feulement de circonftance, il faut vous avertir d'une chofe; c'est que vous connoiffez mal le cœur humain, & fur-tout l'efprit public d'une grande nation, qui prend enfin le parti fage de tout voir, tout entendre tout faire par elle même.

Obfervez donc que prêcher la tolérance à cette heure-ci, c'eft inviter déjà au relâchement, à la déforganisation. Obfervez donc que nous ne devons le prolongement des malheurs publics qu'à la tolérance du peuple & de l'affemblée légiflative. Si cet efprit de tolérance n'avoit point ceflé un moment au 10 août, le vœu de Bouillé feroit rempli; il ne resteroit plus à Paris pierre fur pierre. C'est à l'efprit de tolérance, trop bien foutenu jufqu'à cette époque, que nous devons la préfence de l'ennemi à ChâIons & à Rheims. Obfervez donc que la tolérance mène droit au modérantifme. Vous nous propofez dans votre adreffe de recommander les mœurs & les vertus qu'exige le nouveau gouvernement que nous nous donnons, & vous nous prêchez précisément la vertu des peuples efclaves & de ceux qui les gouvernent. L'efprit de tolé

rance doit être en effet l'ame des monarchies; mais dens une république, le magifttat ne doit rien paffer au peuple, ni le peuple à fes magiftrats. Une jufte eftime, une noble fierté & la bonté font bien, comme vous le dites, les caractères distinctifs de l'homme libre; mais ajoutez-y la furveillance inexorable, la févérité, l'iflexibilité; point d'indulgence, point de tolérance. Toutes les loix doivent être de rigueur, parce qu'elles doivent être toutes bonnes, & qu'on ne doit en fuppofer aucune de mauvaise,

Miniftre Roland, rétractez-vous, s'il en eft temps encore ; & en termes moins pompeux, plus fimples, plus naturels, au lieu de nous parler de l'autorité aimable de la loi, au lieu de nous dire que nous étions accoutumés à admirer la vertu comme belle, qu'il faut que nous la pratiquions comme néceffaire.... dites-nous avec toute l'énergie dont vous êtes fufceptible: Français, le règne de Pégalité commence ; c'est le moment de nous furveiller les uns les autres, de vivre enfemble comme des amis qui s'eftiment trop pour fe paffer quelque chofe. Point de tolérance; à la première prévarication de tes adminiftrateurs, peuple, dis-leur: vous avez prévariqué, defcendez de vos fiéges, & juftifiez-vous. Que les magiftrats difent à leur tour au peuple: tu t'égares, tu donnes dans un piége; on te poufle à des excès: livre-nous toi-même le coupable qui te compremet, & que les faifceaux ou la hache du licteur en faffe auffi-tôt juftice. L'efprit de tolérance mène à l'impunité.

Nous le répétons, qu'on fe garde de prêcher l'efprit de tolérance à un peuple qui renouvelle fa maffe, & qui paffe à un régime âpre, mais en cela d'autant plus durable & plus digne de confiance. Ne nous faifons point de grace obfervons-nous, & ne laiffans aux loix que l'application du châtiment au dé it. Qu'une cenfure févère s'exerce indiftinctement, & ferve à épurer la maffe de la fociété républicaine dont les bonnes mœurs font l'ame.

Bruits de dictature & de triumvirat.

Dans fa première féance, l'affemblée conventianale fit un pas de géant; cinq jours après elle n'étoit plus à la même hauteur, Faut-il donc le lui dire ? elle a plus befoin encore d'être inveftie d'une grande confidération que d'une force impofante. Il n'eft pas néceffaire qu'à l'exemple du long parlement d'Angleterre, elle ait une armée a fa dévotion. Ce ne font point quelques foldats tirés de chaque département qui la rendront refpectable aux yeux de la république. La fageffe de fes déterminations & la maturité de fes projets de loix peuvent feules lui conferver notre confiance. Malheur à elle fi dans le fort

de l'orage, elle s'occupe de querelles oifeufes, de débats perfonnels ! malheur à nous fi nous le fouffrons!

La féance du 25 feptembre débuta par rendre hommage au principe qui déclare incompatibles les fonctions de législateur avec toute autre. Ce décret ne fut point rendu tout à fait fur l'avis de l'ex-miniftre de la justice. L'infatigable Danton, tout en paroiffant ne faire aucun retour fur lui-même, avoit foutenu la cumulation de plufieurs refponfabilités fur la même tête.

La république eft décrétée d'hier, & l'on nous parle de dictature, de protectorat! Quand Brennus ou Annibal étoit aux portes de la capitale du monde, le fénat au capitole, confuma-t-il des journées entières à entendre fes membres s'accufer réciproquement d'afpirer au trịumvirat?

Députés à la convention, s'il eft parmi vous des ambitieux, des Marius ou des Sylla, des Catilina ou des Jules-Céfar, ne perdez pas le temps à les accufer vaguement. Ne dites pas comme M. Merlin: le premier qui m'avouera défirer la dictature, je le poignarde. Ce mouvement est beau, mais ce n'eft pas ce dont il s'agit. Dites plutôt avec l'envoyé des Bouches du Rhônes: jugeons le ci-devant roi; ramenons la municipalité de Paris à fes fonctions; n'abandonnons pas cette ville, dûtelle être bloquée, & plaçons nos fuppléans dans un autre lieu de la république, afin qu'après nous ils puiffent continuer nos fonctions.

Il falloit en refter là, & paffer fur le champ à l'ordre du jour. Eh! que de chofes graves étoient à l'ordre du jour! au Midi, un général plus que fufpect', que des fuccès femblent juftifier; plus près de nous des campemens mal organifés, mal fournis, des foldats pleins de courage & manquant d'habits; des canons plus que d'hommes pour les fervir, & de chevaux pour les traîner; Luckner à interroger; Dumourier à furveiller; des troupes volontaires infubordonnées à qui il faut faire aimer la difcipline; des foldats de ligne qu'il ne faut pas perdre de vue; la terre de la liberté qui demande à être délivrée cet hiver des hordes d'efclaves qui la fouillent & l'épuifent; un peuple bon, mais facile & qui fe perdroit fi on ne le fauvoit de lui-même!

Tous ces objets de premier befoin méritoient fans doute la préférence fur le plaidoyer de Panis en faveur de la commune de Paris, & fur celui de Danton en faveur de Marat; on lui eût épargné cette affertion étrange: nul Français n'aime mieux fon pays que Marat; car ne pouvoit-on pes fe difpenfer d'entendre jufqu'au bout la juftification de Robefpierre, & devoit-il choifir ce mo

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