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l'Angleterre, ni l'Autriche, ni la Prusse, n'étaient nos véritables ennemis, mais que c'était toi seul; que la Montagne était composée de tes complices; qu'il ne fallait pas s'occuper des agents envoyés par les puissances étrangères; que leurs conspirations étaient des fables dignes de mépris; en un mot, qu'il fallait t'égorger toi, toi seul!.... » Des applaudissements universels couvrent la voix de Robespierre. Il reprend : << Ne sais-tu pas, Danton, que plus un homme a de courage et de patriotisme, plus les ennemis de la chose publique s'attachent à sa perte? Ne sais-tu pas, et ne savez-vous pas tous, citoyens, que cette méthode cst infaillible? Eh! si le défenseur de la liberté n'était pas calomnie, ce serait une preuve que nous n'aurions plus ni nobles ni prêtres à combattre!» Faisant alors allusion aux feuilles d'Hébert, où lui, Robespierre, était fort loué, il ajoute : « Les ennemis de la patrie semblent m'accabler de louanges exclusivement; mais je les répudie. Croit-on qu'à côté de ces éloges que l'on répète dans certaines feuilles, je ne voie pas le couteau avec lequel on a voulu égorger la patrie? La cause des patriotes est comme celle des tyrans ils sont tous solidaires. Je me trompe peut-être sur Danton; mais, vu dans sa famille, il ne mérite que des éloges. Sous les rapports politiques, je l'ai observé; une différence d'opinion me le faisait étudier avec soin, souvent avec colère. Il ne s'est pas assez hâté, je le sais, de soupçonner Dumouriez; il n'a pas assez haï Brissot et ses complices; mais s'il n'a pas toujours été de mon avis, en conclurai-je qu'il trahissait la patrie? Non, je la lui ai toujours vu servir avec zèle. Danton veut qu'on le juge, il a raison. Qu'on me juge aussi! qu'ils se présentent ces hommes qui sont plus patriotes que nous! Je parie que ce sont des nobles, des privilégiés, des prêtres. Vous y trouverez un marquis, et vous aurez la juste mesure du patriotisme des gens qui nous accusent. »

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Robespierre demande ensuite que tous ceux qui ont quelque reproche à faire à Danton, prennent la parole. Personne ne l'ose. Momoro lui-même, un des amis d'Hébert, est le premier à s'écrier que, personne ne se présentant, c'est une preuve qu'il n'y a rien à dire contre Danton. Un membre demande alors que le président lui donne l'accolade fraternelle. On y consent, et Danton, s'approchant du bureau, reçoit l'accolade au milieu des applaudissements universels.

La conduite de Robespierre dans cette circonstance avait été géné reuse et habile. Le danger commun à tous les bons patriotes, l'ingratitude qui payait les services de Danton, enfin une supériorité décidée, avaient arraché Robespierre à son égoïsme habituel; et, cette fois,

plein de bons sentiments, il avait été plus éloquent qu'il n'était donné à sa nature de l'être. Mais le service qu'il rendit à Danton fut plus utile à la cause du gouvernement et des vieux patriotes qui le composaient, qu'à Danton lui-même, dont la popularité était perdue. On ne refait pas l'enthousiasme, et on ne pouvait pas présumer encore d'assez grands dangers publics pour que Danton trouvât, par son courage, le moyen de regagner son influence.

Robespierre, poursuivant son ouvrage, ne manquait pas d'être présent à chaque séance d'épuration. Le tour de Clootz arrivé, on l'accuse de liaisons avec les banquiers étrangers Vandeniver. Il essaie de se justifier; mais Robespierre prend la parole. Il rappelle les liaisons de Clootz avec les Girondins, sa rupture avec eux par un pamphlet intitulé: Ni Roland ni Marat, pamphlet dans lequel il n'attaquait pas moins la Montagne que la Gironde; ses exagérations extravagantes, son obstination à parler d'une république universelle, à inspirer la rage des conquêtes, et à compromettre la France auprès de toute l'Europe. «Et comment M. Clootz, ajoute Robespierre, pouvait-il s'intéresser si fort au bonheur de la France, lorsqu'il s'intéressait si fort au bonheur de la Perse et du Monomotapa? Il est une dernière crise dont il pourra se vanter je veux parler du mouvement contre le culte, mouvement qui, ménagé avec raison et lenteur, aurait pu devenir excellent, mais dont la violence pouvait entraîner les plus grands malheurs.... M. Clootz eut avec l'évêque Gobel une conférence de nuit.... Gobel donna parole pour le lendemain, et il vint, changeant subitement de langage et d'habit, déposer ses lettres de prêtrise.... M. Clootz croyait que nous serions dupes de ces mascarades. Non, non; les Jacobins ne regarderont jamais comme un ami du peuple ce prétendu sans-culotte, qui est Prussien et baron, qui possède cent mille livres de rente, qui dine avec les banquiers conspirateurs, et qui est, non pas l'orateur du peuple français, mais du genre humain. »

Clootz fut exclu sur-le-champ de la société; et, sur la proposition de Robespierre, on décida qu'on chasserait sans distinction tous les nobles, les prêtres, les banquiers et les étrangers.

A la séance suivante vint le tour de Camille Desmoulins. On lui reprochait sa lettre à Dillon, et un mouvement de sensibilité en faveur des Girondins. « J'avais, dit Camille, j'avais cru Dillon brave et habile, et je l'ai défendu. Quant aux Girondins, j'étais à leur égard dans une position particulière. J'ai toujours aimé et servi la république, mais je me suis souvent trompé sur ceux qui la servaient; j'ai adoré Mirabeau,

j'ai chéri Barnave et les Lameth, j'en conviens; mais j'ai sacrifié mon amitié et mon admiration dès que j'ai su qu'ils avaient cessé d'être Jacobins. Une fatalité bien marquéc a voulu que de soixante révolutionnaires qui avaient signé mon contrat de mariage, il ne me restât plus que deux amis, Danton et Robespierre. Tous les autres sont émigrés ou guillotinés. De ce nombre étaient sept des vingt-deux. Un mouvement de sensibilité était donc bien pardonnable en cette occasion. J'ai dit, ajoute Desmoulins, qu'ils mouraient en républicains, mais en républicains fédéralistes; car, je vous l'assure, je ne crois pas qu'il y eût beaucoup de royalistes parmi eux. »

On aimait le caractère facile, l'esprit naïf et original de Camille Desmoulins. « Camille a mal choisi ses amis, s'écrie un Jacobin; prouvez-lui que nous savons mieux choisir les nôtres en le recevant avec empressement. » Robespierre, toujours protecteur de ses vieux collègues, mais en gardant cependant un ton de supériorité, défend Camille Desmoulins. « Il est faible et confiant, dit-il, mais il a toujours été républicain. Il a aimé Mirabeau, Lameth, Dillon; mais il a lui-même brisé ses idoles dès qu'il a été détrompé. Qu'il poursuive sa carrière et soit plus réservé à l'avenir. » Après cet avis, Camille est admis au milieu des applaudissements. Danton est ensuite admis sans aucune observation. Fabre d'Églantine l'est à son tour; mais il essuie quelques questions sur sa fortune qu'on veut bien attribuer à ses talents littéraires. Cette épuration fut poursuivie, et devint fort longue. Commencée en novembre 1793, elle dura plusieurs mois.

La politique de Robespierre et du gouvernement était bien connue. L'énergie avec laquelle cette politique avait été manifestée, intimida les brouillons, promoteurs du nouveau culte, et ils songèrent à se rétracter, et à revenir sur leurs premières démarches. Chaumette, qui avait la faconde d'un orateur de club ou de commune, mais qui n'avait ni l'ambition ni le courage d'un chef de parti, ne prétendait nullement rivaliser avec la convention et se faire le créateur d'un nouveau culte; il s'empressa donc de chercher une occasion pour réparer sa faute. Il résolut de faire interpréter l'arrêté qui fermait tous les temples, et il proposa à la commune de déclarer qu'elle ne voulait pas gêner la liberté religieuse, et qu'elle n'interdisait pas aux divers partisans de chaque religion le droit de se réunir dans des lieux payés et entretenus à leurs frais. « Qu'on ne prétende pas, dit-il, que c'est la faiblesse ou la politique qui me font agir; je suis également incapable de l'une ou de l'autre c'est la conviction que nos ennemis veulent abuser de notre zèle

pour le pousser au delà des bornes, et nous engager dans de fausses démarches; c'est la conviction que, si nous empêchons les catholiques d'exercer leur culte publiquement et avec l'aveu de la loi, des êtres bilieux iront s'exalter ou conspirer dans les cavernes; c'est cette conviction qui seule m'inspire et me fait parler. » L'arrêté proposé par Chaumette, et fortement appuyé par le maire Pache, fut enfin adopté après quelques murmures bientôt couverts par de nombreux applaudissements. La convention déclara, de son côté, qu'elle n'avait jamais entendu par ses décrets gêner la liberté religieuse, et elle défendit de toucher à l'argenterie qui restait encore dans les églises, vu que le trésor n'avait plus besoin de ce genre de secours. Dès ce jour, les farces indécentes que le peuple s'était permises cessèrent dans Paris, et les pompes du culte de la Raison, dont il s'était tant diverti, furent abolies.

Le comité de salut public, au milieu de cette grande confusion, sentait tous les jours davantage la nécessité de rendre l'autorité plus forte, plus prompte et plus obéie. Chaque jour, l'expérience des obstacles le rendait plus habile, et il ajoutait de nouvelles pièces à cette machine révolutionnaire, créée pour la durée de la guerre. Déjà il avait empêché la transmission du pouvoir à des mains nouvelles et inexpérimentées, en prorogeant la convention, et en déclarant le gouvernement révolutionnaire jusqu'à la paix. En même temps, il avait concentré ce pouvoir dans ses mains en mettant sous sa dépendance le tribunal révolutionnaire, la police, les opérations militaires, et la distribution même des subsistances. Deux mois d'expérience lui firent sentir les obstacles que les autorités locales, soit par excès ou défaut de zèle, faisaient éprouver à l'action de l'autorité supérieure. L'envoi des décrets était souvent interrompu ou retardé ; et leur promulgation négligée dans certains départements. Il restait beaucoup de ces administrations fédéralistes qui s'étaient insurgées, et la faculté de se coaliser ne leur était pas encore interdite. Si, d'une part, les administrations de département présentaient quelque danger de fédéralisme, les communes, au contraire, agissant en sens opposé, exerçaient, à l'imitation de celle de Paris, une autorité vexatoire, rendaient des lois, imposaient des taxes; les comités révolutionnaires déployaient contre les personnes un pouvoir arbitraire et inquisitorial; des armées révolutionnaires, instituées dans différentes localités, complétaient ces petits gouvernements particuliers, tyranniques, désunis entre eux, et embarrassants pour le gouvernement supérieur; enfin l'autorité des représentants, ajoutée à toutes les autres, augmentaient la confusion des pouvoirs souverains; car les re

présentants levaient des impôts, rendaient des lois pénales, comme les communes et la convention elle-même.

Billaud-Varennes, dans un rapport mal écrit, mais habile, dévoila ces inconvénients et fit rendre le décret du 14 frimaire an II ( 4 décembre), modèle du gouvernement provisoire, énergique et absolu. « L'anarchie, dit le rapporteur, menace les républiques à leur naissance et dans leur vieillesse. Tâchons de nous en garantir. » Ce décret instituait le Bulletin des Lois, belle et neuve invention dont on n'avait pas encore eu l'idée; car les lois envoyées par l'assemblée aux ministres, par les ministres aux autorités locales, sans délais fixés, par procès-verbaux qui garantissent leur envoi ou leur arrivée, étaient souvent rendues depuis longtemps, sans être ni promulguées ni connues. D'après le nouyeau décret, une commission, une imprimerie, un papier particulier, étaient consacrés à l'impression et à l'envoi des lois. La commission, formée de quatre individus indépendants de toute autorité, libres de tout autre soin, recevait la loi, la faisait imprimer, l'envoyait par la poste dans des délais fixés et invariables. Les envois et les remises étaient constatés par les moyens ordinaires de la poste; et ces mouvements, ainsi régularisés, devenaient infaillibles. La convention était ensuite déclarée centre d'impulsion du gouvernement. Sous ces mots, on cachait la souveraineté des comités, qui faisaient tout pour la convention. Les autorités de département étaient en quelque sorte abolies; on leur enlevait toute attribution politique, on ne leur abandonnait, comme au département de Paris à l'époque du 10 août, que la répartition des contributions, l'entretien des routes, enfin les soins purement économiques. Ainsi, ces intermédiaires trop puissants entre le peuple et l'autorité suprême étaient supprimés. On ne laissait exister, avec toutes leurs attributions, que les administrations de district et de commune. Il était défendu à toute administration locale de se réunir à d'autres, de se déplacer, d'envoyer des agents, de prendre des arrêtés extensifs ou limitatifs des décrets, de lever des impôts ou des hommes. Toutes les armées révolutionnaires établies dans les départements étaient licenciées, et il ne devait subsister que la seule armée révolutionnaire établie à Paris pour le service de toute la république. Les comités révolutionnaires étaient obligés de correspondre avec les districts chargés de les surveiller, et avec le comité de sûreté générale. Ceux de Paris ne pouvaient correspondre qu'avec le comité de sûreté générale, et point avec la commune. Il était défendu aux représentants de lever des taxes, à moins que la convention ne les autorisat, et de porter des lois pénales.

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