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qu'elle ne voulait pas être meilleure, et se firent dévorer par elle, en s'obstinant à la contrarier. Respect à leur mémoire ! jamais tant de vertus, de talents, ne brillèrent dans les guerres civiles; et, il faut le dire à leur gloire, s'ils ne comprirent pas la nécessité des moyens violents pour sauver la cause de la France, la plupart de leurs adversaires qui préférèrent ces moyens, se décidèrent par passion plutôt que par génie. On ne pourrait mettre au-dessus d'eux que celui des Montagnards qui se serait décidé pour les moyens révolutionnaires, par politique seule et non par l'entraînement de la haine.

A peine les Girondins eurent-ils expiré, que de nouvelles victimes furent immolées après eux. Le glaive ne se reposa pas un instant. Le 2 novembre, on mit à mort l'infortunée Olympe de Gouges, pour des écrits prétendus contre-révolutionnaires, et Adam Lux, député de Mayence, accusé du même délit. Le 6 novembre, le malheureux duc d'Orléans, transféré de Marseille à Paris, fut traduit au tribunal révolutionnaire, et condamné pour les soupçons qu'il avait inspirés à tous les partis. Odieux à l'émigration, suspect aux Girondins et aux Jacobins, il n'inspirait aucun de ces regrets qui consolent d'une mort injuste. Plus ennemi de la cour qu'enthousiaste de la république, il n'éprouvait pas cette conviction qui soutient au moment suprême, et il fut de toutes les victimes la moins dédommagée et la plus à plaindre. Un dégoût universel, un scepticisme absolu, furent ses derniers sentiments, et il marcha à l'échafaud avec un calme et une indifférence extraordinaires. Traîné le long de la rue Saint-Honoré, il vit son palais d'un œil sec, et ne démentit pas un moment son dégoût des hommes et de la vie. Son aide de camp Coustard, député comme lui, fut associé à son sort. Deux jours après, l'intéressante et courageuse épouse de Roland les suivit à l'échafaud. Cette femme, réunissant aux grâces d'une Française l'héroïsme d'une Romaine, portait toutes les douleurs dans son âme. Elle respectait et chérissait son époux comme un père; elle éprouvait pour l'un des Girondins proscrit une passion profonde, qu'elle avait toujours contenue; elle laissait une fille, jeune et orpheline, confiée à des amis; tremblante pour tant d'êtres si chers, elle croyait à jamais perdue cette cause de la liberté dont elle était enthousiaste, et à laquelle elle avait fait de si grands sacrifices. Ainsi elle souffrait dans toutes ses affections à la fois. Condamnée pour cause de complicité avec les Girondins, elle entendit son arrêt avec une sorte d'enthousiasme, sembla inspirée depuis le moment de sa condamnation jusqu'à celui de son exécution, et excita, chez tous ceux qui la virent,

une espèce d'admiration religieuse. Elle alla à l'échafaud vêtue en blanc; pendant toute la route, elle ranima les forces d'un compagnon d'infortune qui devait périr avec elle, et qui n'avait pas le même courage; deux fois même elle parvint à lui arracher un sourire. Arrivée sur le lieu du supplice, elle s'inclina devant la statue de la liberté en s'écriant: O liberté! que de crimes on commet en ton nom! Elle subit ensuite la mort avec un courage inébranlable (10 novembre). Ainsi périt cette femme charmante et courageuse, qui méritait de partager la destinée de ses amis, mais qui, plus modeste et plus soumise au rôle passif de son sexe, aurait, non pas évité la mort, due à ses talents et à ses vertus, mais épargné à son époux et à elle-même des ridicules et des calomnies.

Son époux s'était réfugié du côté de Rouen. En apprenant sa fin tragique, il ne voulut pas lui survivre. Il quitta la maison hospitalière où il avait reçu un asile; et, pour ne compromettre aucun ami, il vint se donner la mort sur la grande route. On le trouva percé au cœur d'une épée, et gisant au pied d'un arbre, contre lequel il avait appuyé l'arme meurtrière. Dans sa poche était renfermé un écrit sur sa vie et sur sa conduite au ministère.

Ainsi, dans cet épouvantable délire qui rendait suspects et le génie, et la vertu, et le courage, tout ce qu'il y avait de plus noble, de plus généreux en France, périssait ou par le suicide ou par le fer des bourreaux!

Entre tant de morts illustres et courageuses, il y en eut une surtout plus lamentable et plus sublime que toutes les autres, ce fut celle de Bailly. Déjà on avait pu voir, à la manière dont il avait été traité dans le procès de la reine, comment il serait accueilli au tribunal révolu tionnaire. La scène du champ de Mars, la proclamation de la loi martiale et la fusillade qui s'en était suivie, étaient les événements le plus souvent et le plus amèrement reprochés au parti constituant. C'était sur Bailly, l'ami de Lafayette, c'était sur le magistrat qui avait fait déployer le drapeau rouge, qu'on voulait punir tous les prétendus forfaits de la constituante. Il fut condamné, et dut être exécuté au champ de Mars, théâtre de ce qu'on appelait son crime. Ce fut le 11 novembre, et par un temps froid et pluvieux, qu'eut lieu son supplice. Conduit à pied, et au milieu des outrages d'une populace barbare, qu'il avait nourrie pendant qu'il était maire, il demeura calmé et d'une sérénité inaltérable. Pendant le long trajet de la Conciergerie au champ de Mars, on lui agitait sous le visage le drapeau rouge

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