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Je ne prétends pas approfondir une matière si vaste ni, à plus forte raison, critiquer la constitution d'aucun pays; dès que le peuple s'y soumet, c'est qu'elle lui convient dans les circonstances où il se trouve; il faut donc la respecter. D'ailleurs un ouvrage purement élémentaire n'est pas susceptible de discussions détaillées. Je dois me contenter de mettre le lecteur en état de juger à quel point s'approche ou s'éloigne de la perfection la forme du gouvernement qu'il voudra soumettre à sa méditation.

§ Ier.

De la liberté politique.

L'homme, en sortant des mains de la naаture, est parfaitement libre d'exercer toutes les facultés intellectuelles et corporelles qu'il en a reçues : elle ne lui prescrit pas d'autres entraves que celle de ne pas nuire à autrui sans une nécessité absolue. Il tient d'elle aussi le besoin de vivre en société: c'est donc à son impulsion que cède tout individu en adhérant au pacte social. Comme on l'a dit plus haut, c'est une convention par laquelle ceux qui veulent former un corps de nation pro

mettent d'obéir à une autorité dont ils consentent que l'établissement soit fait par la volonté générale, pour créer des lois, en diriger l'exécution, et juger les contestations. Déjà ce premier engagement pose des limites à la liberté de l'homme: celle qui lui vient de la nature est absolue; celle qui lui reste après le pacte social est relative, c'est-à-dire, plus ou moins restreinte selon que la constitution, faite en vertu du pacte d'union, a plus ou moins resserré les facultés de ceux qui s'y sont soumis. La liberté accordée par l'acte constitutionnel est donc la seule dont il soit permis de jouir dans l'ordre social; on la nomme liberté politique, parce qu'elle dépend de la forme du gouvernement, et que l'art de gouveruer les peuples est aussi appelé l'art politique. Par la même raison, l'on entend par droits politiques ceux que les citoyens tiènent de la constitution, parce que c'est là qu'est réglée la forme du gouvernement.

Quoique la liberté de chaque peuple s'éloigne plus ou moins de celle que donne le droit naturel, il est pourtant de principe général que l'homme, en se soumettant à une autorité, ne consent à sacrifier de cette liberté

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primitive que la portion indispensablement nécessaire au maintien de la société. Plus une nation est éclairée, moins elle veut abandonner de sa liberté naturelle, parce qu'elle est plus en état d'apercevoir la juste portion dont le sacrifice est indispensable à la prospérité de l'état. Ainsi, à mesure que les lumières se répandent chez un peuple, il a droit de réclamer une plus grande partie de son indépendance naturelle si elle est trop restreinte. Rien donc d'étonnant s'il survient des révolutions dans les pays où la civilisation a fait de grands progrès. Les changements se font sans secousses lorsque les chefs ont le bon esprit de céder à l'opinion publique; mais, ce qui arrive le plus souvent, des flots de sang sont versés quand les dépositaires de l'autorité se refusent aux améliorations que réclame la volonté générale.

Puisque la liberté politique est celle que laisse au peuple la constitution de l'état, cette constitution n'est solidement établie qu'autant qu'elle accorde une liberté politique proportionnée au degré de perfectionnement auquel est arrivée la nation. Quand chaque citoyen est bien assuré qu'il ne cède de sa liberté na

turelle que ce qu'il est nécessaire d'en sacrifier au maintien de l'ordre social, il est sincèrement attaché au gouvernement. Il est donc de l'intérêt des chefs d'accorder à la liberté politique toute l'étendue qu'elle peut avoir. Ajoutons qu'ils en tirent un grand parti pour gouverner; car si d'un côté la liberté est le bien le plus cher aux citoyens, celui dont ils sont le plus jaloux, parce qu'il est la source de tous les autres, il faut dire aussi que lui seul fait naître l'amour de la patrie; lui seul inspire cet héroïque enthousiasme si redoutable aux ennemis du dehors et du dedans. Voilà pourquoi un acte constitutionnel n'obtient la confiance du peuple, que quand il y a donné librement son adhésion; ce qu'il ne fait que quand il voit clairement que sa liberté politique sera égale à sa liberté naturelle, moins ce qu'il en faut déduire indispensablement pour le maintien de la société.

Telle était sans doute l'intention de l'assemblée nationale de France, en faisant précéder sa constitution de 1791 par une déclaration des droits de l'homme, c'est-à-dire, des droits par excellence, des droits dont l'homme ne peut jamais être privé, parce qu'ils ne sont point compris parmi ceux dont il veut bien se départir en adhérant au pacte social. Cet exemple avait été donné par les Etats-Unis d'Amérique, qui ont eu l'avantage de former leur association dans un siècle où les lumières de l'Europe, dont ils sont des colonies, ne permettaient plus de cacher aux peuples leurs véritables droits.

A quoi sert-il, dira-t-on, d'énoncer des droits qui ne sont pas contestés? Je réponds en transcrivant les motifs qu'en avait donnés l'assemblée nationale de France: «L'ignorance, >> l'oubli ou le mépris des droits de l'homme >> sont les seules causes des malheurs publics >> et de la corruption des gouvernements. En >> conséquence, il est nécessaire d'exposer >> dans une déclaration solennelle, les droits >> naturels, inaliénables et sacrés de l'homme, >> afin que cette déclaration, constamment pré>> sente à tous les membres du corps social, >> leur rappèle sans cesse leurs droits et leurs >> devoirs; afin aussi que les actes du pouvoir >> législatif et ceux du pouvoir exécutif, pou>>> vant être à chaque instant comparés avec le >> but de toute institution politique, en soient >> plus respectés; afin encore que les récla

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