Page images
PDF
EPUB

domine le parc, où des futaies majestueuses ombragent de vastes prairies et de frais étangs.

A l'intérieur, le vestibule est tout revêtu de hautes boiseries de chêne, à panneaux richement sculptés. Des rinceaux, variés à l'infini, encadrent des masques fantastiques, suivant le goût de la Renaissance italienne du XVIe siècle. Une armure se dresse à la porte comme un lansquenet en sentinelle.

Dans la boiserie ainsi animée, s'ouvre l'entrée d'un premier salon, lambrissé aussi de chêne austère, mais égayé de tapisseries lumineuses.

Une splendide cheminée, avec de hautes cariatides qui soutiennent ses tablettes et ses frises, s'élève jusqu'au plafond. Dans sa partie supérieure, encadré de guirlandes, un tableau italien, d'une grande beauté, montre Rebecca éblouie par les joyaux que verse en ses mains Eliezer.

Quatre tapisseries des Gobelins, formant suite, ornent les murailles elles représentent un départ et un retour de chasse seigneuriale au XVIIIe siècle; de beaux cavaliers, en costume du temps, y caracolent. Au retour, le maître d'équipage réprimande gravement un vieux paysan, chargé d'un panier d'œufs, que deux valets amènent devant lui; c'est évidemment un maraudeur de basse-cour; il y en eut donc de tout temps.

Dans ce salon, nous admirons deux grands coffres : l'un, rectangulaire, est partout orné de figures en haut relief; des femmes drapées soutiennent les angles; le panneau du milieu représente Jésus chassant, avec une sainte fureur, les vendeurs du temple.

L'autre coffre, plus antique et plus simple, à couvercle arrondi, est ornementé de rinceaux plats, en façon de gravure.

Tous les sièges, à haut dossier droit, couverts de tapisseries authentiques, à larges et harmonieux dessins, datent de l'époque de Louis XIII.

Nous passons dans la salle à manger, voisine de ce salon. La vaste cheminée à hotte, au-dessus d'une frise peuplée de guivres menaçantes, est ornée de l'écu et du cimier de la maison du H... Deux grands dressoirs en baldaquin, se faisant face, montrent une riche collection de pures faïences de Haguenau et de Rouen. La longue table à manger, quadrangulaire, est marquetée en large damier de bois naturels; ses pieds tournés caractérisent le style

Louis XIII, ainsi que les sièges à dossier carré, couverts de cuir de Cordoue, dorés et gauffrés et surmontés de têtes de lions.

Dans ces appartements, les poutres et les solives saillantes forment des caissons richement peints et sculptés.

Le grand salon, qui s'ouvre sur l'autre côté du vestibule, a été complètement créé par M. du II..., dans le style de la Régence. Les boiseries cirées montrent, dans toute leur délicatesse, de charmantes guirlandes de fleurs qui courent entre de capricieuses rocailles. Des amours folâtrent au-dessus des portes, en vaporeux trumeaux; de trois côtés, de larges fenêtres encadrent les fraicheurs du parc; l'or vieilli de légères consoles, les bois arrondis et les légères tapisseries des sièges s'harmonisent avec ce style gracieux.

Après nous avoir fait prendre un moment de repos, et des rafraichissements hospitaliers, notre aimable guide nous conduit à l'antique chapelle, origine et modèle de toutes les œuvres d'art.

L'autel est formé, au-devant, d'un vaste panneau sculpté qui représente des scènes évangéliques.

Le tabernacle s'élève en clocher original; les meneaux, les trèfles à jour, s'y enlacent en merveilleuse dentelle de chêne. La table de communion est de même travail; sous la rampe, les ogives flamboyantes se découpent et avec une variété infinie. Les murs sont couverts de statuettes et de bas-reliefs du Moyen-Age; la charpente de la voûte apparait toute sculptée. L'étude de cette chapelle, vrai joyau du vieil art français, couronne dignement notre visite.

Après un tour de parc, nous présentons à Mlle du H... les remerciments bien dus à tant d'hospitalité gracieuse, et nous partons, non sans ressentir quelque inquiétude de notre retard. Mais nos aimables hôtes sont indulgents aux voyageurs. L'arrivée à la Paluelle est merveilleuse. Quel artiste était cet architecte qui, sous Louis XIII, disposa cette terrasse, au fond de laquelle devait s'élever une partie du château, dont il construisit seulement le premier pavillon! De cette plate-forme, les bois et les prés dévalent jusqu'au fond de la vallée, puis s'élève en face l'autre éminence verte et boisée, sur laquelle Saint-James étage élégamment ses remparts, ses toits et ses clochers harmonieux.

Au château, Mme la comtesse du B..., quoique malade, nous accueille avec une grâce charmante, et ses aimables enfants nous guident dans leur belle résidence. Nous visitons le majestueux esca

lier, puis dans un petit salon, des fauteuils Louis XVI charmants, des portraits d'aïeux dont plusieurs furent, hélas! victimes de la Terreur. Dans le grand salon nous remarquons une splendide commode Louis XIV, des canapés, des fauteuils Louis XV de rare modèle et, précieusement encadrées, des lettres de Henri IV aux châtelains d'autrefois. Des coffres sculptés, de fines miniatures charment également notre attention. Puis nous parcourons l'ancien logis, avec ses vieux murs du XVe siècle, pittoresques et délaissés; les jardins en terrasse, dessinés par de longues et blanches balustrades; derrière le château, un large bassin, une grotte, une cascade, veuves, hélas ! de leurs sources vives, s'abritent sous des arbres séculaires.

Quel somptueux théâtre pour les fêtes princières d'autrefois! Sur ces degrés, on croit voir monter encore, appuyées au poing de brillants seigneurs, de fières dames aux longues traines, aux larges vertugadins, et les vers de Musset, sur Versailles et ses marches de marbre rose, chantent dans les souvenirs que nous gardons, en prenant congé de nos aimables hôtes.

Par des sentiers ombragés, nous gagnons Saint-James qui brille au soleil couchant ; et remontés dans nos voitures, nous charmons, en échangeant nos impressions et nos gais propos, une course de retour trop tôt terminée.

E. DAUSSE.

II

BALLADE POUR BALADE

I

Au ciel de juillet se fiant,
Vers Chassilly, La Paluelle,
La Société, comme hirondelle
Vole dans le mail-coach Briant.
Comme pour une cavalcade
De toutes parts sortait grouillant
Le bon peuple nous enviant,
O chers confrères en balade.

II

Pour nos fiers coursiers bienveillant
Sur canne, parapluie, ombrelle,
D'une allure très solennelle

Chacun de son mieux s'appuyant,
Grimpe une côte en débandade.....
Que Chassilly fut accueillant
Pour la bande s'émerveillant,
O chers confrères en balade.

III

Il faut, le soleil s'enfuyant,
Laisser château, meubles, chapelle,
Saint-James très loin nous appelle.....
Mais, que fais-je ici bafouillant ???
Pour parler arts, cour de parade,
Mon Proses est bien plus brillant,
Moi, j'y fais tout au plus hi-han,
O chers confrères en balade.

ENVOI

Pour vous je fis cette ballade
Du rythme le plus chatoyant,
Aux rimes riches me pliant,
O chers confrères en balade.

P. BOUVATTIER.

Avranches, le 20 juillet 1909.

III

BALLADE CHAMPÊTRE POUR MOUTONS FRAIS TONDUS

I

Sinon pour rêver dans la plaine
Il ne fait trêve à son repas;
Digérant bien, il est très gras

Sous son douillet manteau de laine.

Être heureux est-il défendu

Par l'homme, cet être de haine?

Il sera bientôt, quelle peine,

Un pauvre mouton frais tondu.

II

De l'étable a grincé le pène.....
Un bourreau, malgré tes ébats
A lié tes pieds, tu t'abats.
Tu bêles à perdre l'haleine
Mais t'insurger est temps perdu.
Les ciseaux de ce tirelaine
Feront de toi, l'heure prochaine,
Un pauvre mouton frais tondu.

III

Ta toison deviendra mitaine,
Pardessus ou paire de bas
Pour protéger des durs frimas

Des mains, des pieds, une bedaine.
Mais moi, j'ai l'esprit éperdu,
Voyant de partout, ô déveine,
Aussi chauve qu'une baleine,
Un pauvre mouton frais tondu.

ENVOI

A tes bê bê j'ai répondu.
Faut-il pas qu'aussi je devienne,
Bon contribuable qui peine,
Un pauvre mouton frais tondu.

PAUL BOUVAttier.

« PreviousContinue »