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secrétaires d'Etat dans l'espace de cent cinquante ans; luimême avait été élevé fort jeune à ce poste, sous la tutelle du duc de la Vrillière, son parent. Disgracié pour des couplets contre madame de Pompadour, et exilé à Bourges, il disait, en parlant de ce renversement de fortune: « Le premier jour, je fus vivement piqué; le lendemain, j'étais consolé. » Tout le milieu de sa vie s'écoula donc dans le repos et dans l'insouciance. Appelé trop jeune au ministère par Louis XV, il ne put y montrer que des germes de talent; au déclin de l'âge, rappelé par Louis XVI, il ne pouvait déployer l'activité qu'exigeaient la direction d'un conseil et l'affermissement d'un nouveau règne. Gracieux dans ses manières et ses propos, frivole, même dans l'ambition, il avait, par tradition de famille, la routine des affaires et le coup d'œil intelligent; mais son caractère n'était pas à la hauteur de ce qu'il avait d'intelligence. Sa rancune contre Louis XV lui tenait lieu de principes auxquels il n'avait jamais songé. Vieillard égoïste dans sa politique, léguant sans scrupule à son successeur les problèmes dont la solution n'était pas urgente, il aimait mieux employer son esprit à cacher ce qui lui manquait qu'à l'acquérir. Le succès futur était un but trop lointain pour ses forces; la gloire d'une nation, un souci trop délicat pour une âme blasée, et il se contentait de masquer ses défauts avec ses qualités.

Louis XVI, dès le premier conseil, manifesta le zèle

de ses bonnes intentions, et donna aux ministres un ordre fixe pour les jours et les heures de réunion. « Je veux, dit-il, prendre une connaissance approfondie de tout ce qui peut intéresser la prospérité de mon royaume. Surtout, messieurs, n'oubliez pas cette maxime de saint Louis: Tout ce qui est injuste est impossible. »

Son premier mouvement fut de renoncer au droit de joyeux avénement', et il annonça lui-même cette faveur à son peuple dans le préambule de l'édit :

« Assis sur le trône où il a plu à Dieu de nous élever, nous espérons que sa bonté soutiendra notre jeunesse, et nous guidera dans les moyens qui pourront rendre nos peuples heureux. C'est notre premier désir; et connaissant que cette félicité dépend principalement d'une sage administration des finances, c'est vers cette administration que se tournent tous nos soins. Il est des dépenses nécessaires qu'il faut concilier avec l'ordre et la sûreté de nos États; il en est qui tiennent à notre personne et à la pompe de notre cour. Sur celles-ci, nous pourrons suivre plus promptement les mouvements de notre cœur, et nous nous occupons déjà des moyens de les réduire à des bornes convenables. De tels sacrifices ne nous coûteront

Impôt qui se prélevait pour la confirmation de tout privilége accordé à des communautés ou à des particuliers.

rien, dès qu'ils pourront tourner au soulagement de nos sujets, et le bien que nous pourrons leur faire sera la plus douce récompense de nos soins.

« Voulons que cet édit, le premier émané de notre autorité, porte l'empreinte de ces dispositions, et soit comme le gage de nos intentions. »

Voltaire écrivait au grand Frédéric : « Nous avons un jeune roi qui, à la vérité, ne fait pas de vers, mais qui fait d'excellente prose. »

Le roi et la reine s'occupèrent en commun d'améliorer le sort des pauvres. La bienfaisance les réunissait toujours; car l'un et l'autre ils regardaient les nécessiteux comme une classe confiée directement aux rois.

Louis XVI s'informa du sort de ses sujets, sur qui pesait le double fléau de l'indigence et de la maladie. L'Hôtel-Dieu de Paris, monde entier de douleurs au sein d'un monde de plaisirs, excita d'abord sa sollicitude. Montant dans une voiture de place, il descend incognito à l'Hôtel-Dieu, parcourt toutes les salles, s'approche de chaque lit, examine, interroge; il voit deux et quelquefois trois malades sur la même couche, des mourants entassés dans d'infects réduits, et se retire navré des misères qui venaient de se révéler à ses yeux.

à

La destruction de l'Hôtel-Dieu est ordonnée, et il veut le remplacer par quatre grands hôpitaux plus avantageusement situés; mais l'état des finances ne se prêtant pas ces plans, il fallut les modifier. Les bâtiments existants reçurent de notables augmentations, les salles furent multipliées, des soins séparés, assurés à chaque malade. L'archevêque de Paris offrit au roi 200,000 livres environ, produit d'un procès récemment gagné, et l'on put par la suite porter à trois mille le nombre des lits'. Il doubla la dotation que saint Louis avait instituée pour les aveugles. Un arrêt de son conseil affecta la portion libre des biens que le monastère des Célestins tenait de la libéralité des rois ses prédécesseurs, à l'entretien des sourds et muets. L'abbé de l'Épée, dont le génie chrétien rendait la vie de l'intelligence à tant d'êtres infortunés, venait enfin d'être compris et secondé.

Toutes les mesures propres à soulager l'humanité avaient le même droit à son attention. Il fit l'acquisition de plusieurs secrets contenant des remèdes utiles, les

On créa plus tard une commission pour s'entendre sur les réformes désirables. Cette commission était composée des sept chefs de l'administration du temporel de l'Hôtel-Dieu, de MM. d'Argouges et de Bernage, conseillers d'état, de la Milière, maître des requêtes, des curés de Saint-Eustache, de Saint-Roch et de Sainte-Marguerite, de MM. de Lassonne, directeur de la Société royale de médecine, d'Outremont et Saint-Amand, administrateurs de l'hôpital général.

adressa à la faculté de médecine, et les fit déposer dans les pharmacies. Il fonda des bureaux de secours sur le bord de la Seine, et, le 14 décembre 1774, posa la première pierre de l'Ecole de Médecine.

Louis XVI n'eût pas été digne de la religion qui le guidait dans cette voie, si les malheurs des coupables eussent été exclus de sa compassion. Parcourant le tableau des détenus pour raison d'État, il rendit la liberté au plus grand nombre, fit inspecter les prisons dans toute l'étendue du royaume, voulut que la salubrité et, s'il se peut, la consolation pénétrassent partout, n'entendant pas, écrivit-il en termes formels, qu'aucun de ses sujets soit soumis à des rigueurs que n'inflige pas la loi. Il ouvrit le Code criminel pour en effacer les dispositions les plus sévères, et abolit la question préparatoire, qui avait l'injustifiable tort de placer un supplice avant la preuve. La désertion emportait dans tous les cas la peine de mort; il admit les circonstances atténuantes, et gradua les peines. Il ordonna le desséchement des marais qui désolaient le Vexin; l'entreprise fut confiée à MM. Courvoisier et Boncerf; trente mille toises de canaux furent ouvertes entre Chaumont et Marquemont, et quinze cents arpents conquis à l'agriculture.

Son discernement habituel présidait à ses aumônes. Fidèle au précepte du travail, il aimait mieux imposer une occupation même stérile que d'entretenir l'oisiveté

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