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tion de cet emploi. Le premier soin de la gouvernante fut de s'éloigner de la cour avec son élève, dont la santé réclamait une continuelle vigilance. Elle le conduisit au château de Bellevue, l'y laissa respirer à l'aise, l'entoura de toute sorte de soins, et probablement lui sauva la vie. Aussi, la première qualité que madame de Marsan découvrit dans le jeune prince fut une sensibilité simple, toute pénétrée de reconnaissance. Le cœur de l'enfant appréciait les services avant que sa raison en pût connaître le prix, et il paya de bonne heure, par des témoignages d'affection, le dévouement dont il était l'objet.

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Promptement aussi, on reconnut en lui un fonds de droiture si naturel, que tout déguisement lui était impossible et lui devenait odieux chez les autres. Il appliquait la même répugnance à toutes les choses où l'affectation se montrait la mode et l'usage ne mettaient pas à l'abri de cette censure, qu'il exprimait toujours avec naïveté, quelquefois avec brusquerie; enfin, son bon jugement, son âme docile reçurent de si rapides développements, qu'on avança d'une année ses études solides. Il n'avait que six ans, et la tâche de madaine de Marsan était accomplie. Il fut remis entre les mains des hommes, au mois de septembre 1760.

Tous les stratagèmes employés pour le préparer à cette séparation ne purent lui en dissimuler l'amertume: on

voulut faire diversion à sa douleur, on lui donna une batterie de petits canons et d'autres jouets vivement désirés, on fit tirer un feu d'artifice devant son nouvel appartement rien ne réussit, et comme son précepteur désespérait de tarir ses larmes et de gagner sa confiance « Comment! lui répondit M. le dauphin, ces larmes d'un enfant vous inquiètent? Pour moi, elles me ravissent. » Puis, voulant achever de le rassurer par une plaisanterie, il ajouta : «< L'impuissance de votre artifice d'hier m'est un sur garant que mon fils a le cœur bon, et le conservera bon. »

Au reste, cet excellent prince et cet excellent père avait pris ses mesures pour n'être pas trompé dans ses espérances, il avait obtenu de Louis XV la direction absolue de l'éducation de ses enfants; et, tout en en faisant luimême sa principale occupation, il ne s'en appliqua pas moins à les entourer des hommes les plus recommandables par leur caractère et par leur savoir. Il jeta d'abord les yeux sur le marquis de Mirabeau qui brillait au premier rang des Économistes, et avait déjà publié son Ami des hommes. La négociation n'eut pas de suite; la lettre suivante du marquis à son frère le bailli nous dispense d'en chercher d'autres motifs que des prétentions inadmissibles.

« Mes principes sont qu'en fait de chose publique, il faut la proue ou rien, aut Cæsar, aut nihil; mes condi

tions, dans le cas que l'on vînt à s'y frotter, seraient: 4o que tu fusses à ta place'; 2o que j'eusse la place et le titre de Surintendant, avec pouvoir absolu dans cette partie, n'ayant à traiter qu'avec le maître tout seul, ou supposé qu'il voulût un tiers, avec M. le dauphin: 3° qu'aucune des opérations ne serait soumise au conseil ; que j'aurais la permission de quitter à la première fois que je serais barré, et dispensé de dire pourquoi.

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M. le dauphin s'adressa alors au duc de la Vauguyon, qui fut nommé gouverneur; M. de Coetlosquet, évêque de Limoges, accepta la charge de précepteur; le marquis de Sinety, celle de sous-gouverneur, et l'abbé de Radonvilliers, membre de l'Académie française, fut choisi pour remplir les fonctions essentielles de sous-précepteur. Deux fois par semaine, le mardi et le samedi, l'évêque de Limoges conduisait son élève chez madame la dauphine; le dauphin s'y trouvait exactement, examinait le travail de son fils, distribuait les récompenses ou les punitions, et se montrait toujours ennemi de l'indulgence, écueil ordinaire de l'éducation des princes. Il n'adopta pas le système d'enseignement qui commençait à s'introduire, et qui réduisait en amusements les différentes branches de l'instruction. « Je ne veux pas, disaitil à l'abbé de Radonvilliers, que mon fils acquière furtivement et facilement les connaissances qui lui sont néces

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Ministre de la marine. Mémoires de Mirabeau, tome I,

page 228.

saires. Il faut que son esprit s'exerce au discernement et s'habitue à la réflexion. L'enfant, accoutumé à se jouer des premières études, porterait la même légèreté dans les affaires, se ferait un jeu des plus graves, et les abandonnerait dès que le jeu ne lui plairait plus.

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Cette méthode sévère et exempte de charlatanisme était bien appropriée aux qualités sérieuses du duc de Berry; cependant elle négligeait de combattre sa timidité et son penchant vers une réserve excessive, disposition prête à devenir un défaut. Naturellement porté à se mettre à l'écart, moins gai et moins brillant que ses frères, il se montrait moins, il causait moins, d'où l'on concluait qu'il savait peu, et ne sentait pas. Prompt et habile à distinguer une attention d'un compliment, il méprisait la flatterie, et ne flattait personne. Les courtisans, ne se trouvant pas accueillis, s'éloignaient en frondant, et portaient leurs hommages ailleurs, plus près du trône; le jeune prince, découragé à son tour, se renfermait dans son intérieur et se méfiait de lui-même. L'isolement qui avait attristé sa naissance affligeait encore sa jeunesse, et son caractère contractait insensiblement l'habitude de cette modestie exagérée qui lui fit tant de fois sacrifier ses propres lumières aux avis les plus médiocres. Contrairement à ses frères et à la plupart des enfants de son âge, il avait besoin d'être excité au mouvement et à l'expansion. La princesse Adélaïde, sa tante et sa marraine, avait conçu pour lui une tendre

affection, qu'elle lui conserva toujours; elle aimait à l'attirer chez elle, et il lui arriva plus d'une fois de dire:

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« Allons, mon pauvre Berry, tu es ici à ton aïse, tu as tes coudées libres: parle, crie, fais bien du bruit, je te donne carte blanche. »

Un harangueur de province le complimentant un jour sur ses qualités précoces, il l'interrompit en disant : « Vous vous trompez, monsieur, ce n'est pas moi qui ai de l'esprit, c'est mon frère de Provence'.

Si le jeune prince se soumettait avec résignation aux préventions qui s'établissaient dès-lors contre lui, il témoigna néanmoins, par plus d'un trait, qu'au fond de son cœur, il en ressentait vivement l'injure : il ne lui manqua plus tard que d'en sentir l'injustice. Un jour, le duc de la Vauguyon imagina, pour récréation, une loterie à laquelle il invita le cercle le plus distingué de la cour. Chaque assistant qui gagnait un lot devait l'offrir à la personne qu'il aimait le plus. Les frères du duc de Berry avaient déjà donné et reçu plusieurs de ces offrandes amicales, le duc de Berry seul était oublié. Lorsque son tour de gagner arriva, il prit son lot et le mit dans sa poche.

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Louis-Stanislas, comte de Provence, était né le 17 novembre 1755 ; Charles-Philippe, comte d'Artois, naquit le 9 octobre 1757; MarieAdélaïde-Clotilde, le 25 septembre 1759; et Élisabeth-Philippine-Marie-Hélène, le 3 mai 1764.

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