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par la figure qu'il découvre, se met à crier au secours. M. Campan eut beaucoup de peine à se faire reconnaître, et quoiqu'il eût exigé une promesse de discrétion, il crut devoir prévenir madame la dauphine. Les princesses ne voulurent pas rester ainsi à la merci des gens de service,

et le théâtre fut abandonné.

La forte constitution de Louis XV annonçait encore une existence assez longue; cependant l'heure invisible approchait, et la mort allait surpendre la sécurité de la

cour.

Vers les derniers jours d'avril 1774, le roi fut attaqué de la petite vérole, avec les symptômes les plus funestes. On ne pouvait entrer sans danger dans sa chambre, l'air du palais était infecté; une cinquantaine de personnes tombèrent malades pour avoir traversé les galeries, dix en moururent; les médecins eux-mêmes prenaient beaucoup de précautions pour se préserver de l'épidémie. Cependant Mesdames, filles du roi, assises près de son lit et souvent sous ses rideaux, épiaient le moment de sa guérison, ou celui qui leur ferait un devoir de rappeler à l'infortuné monarque les sentiments de la religion. L'archevêque de Paris, Christophe de Beaumont, arriva pour solliciter l'administration publique du roi. Mais la première condition de sa présence était le renvoi de la courtisane. Les ministres, qui avaient été portés à la place du duc de Choiseul par madame Dubarry, crai

gnaient de se compromettre trop hâtivement, et moins préoccupés de la conscience du roi que des vengeances possibles de la favorite, ils se rappelaient entre eux la première maladie de Louis XV et le retour de madame de Châteauroux. Ce souvenir se présentait à l'esprit de tout le monde et à celui du roi lui-même, qui finit par dire : « Je ne veux pas recommencer les scènes de Metz. » A ce mot, toute hésitation cessa : l'archevêque entra dans la chambre du roi avec madame Adélaïde, l'évêque de Senlis et le duc d'Aumont. Le maréchal de Richelieu fit beaucoup d'efforts pour arrêter le prélat, le conjurant, jusque dans le dernier salon, de ne pas tuer le roi par une proposition théologique qui, disait-il, en avait tué tant d'autres. C'était le 1er mai. Le soir, le roi se trouva un peu mieux. Lorry et Bordeu, ses médecins, lui cachaient la nature de son mal; mais La Martinière, son chirurgien, se refusa à dissimuler le danger. Quand le roi lui demanda ce qu'il pensait de ces pustules qui se multipliaient sur tout son corps, il nomma la petite vérole. Le royal malade comprit à l'instant la gravité de son état; il manda le duc d'Aiguillon, et lui donna ses ordres relativement à madame Dubarry. « Il faut la mener sans bruit à votre maison de campagne de Ruel, dit-il; je saurai gré à madame d'Aiguillon des soins qu'elle prendra. »

Dès ce moment, son cœur parut soulagé d'un grand poids. Le 7, à trois heures du matin, il demanda lui

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même l'abbé Mandoux, et se confessa. A quelque degré d'abjection que sa vie privée fût descendue, son esprit avait conservé de nobles instincts, et son âme quelques restes de foi. Les approches de la mort réveillèrent ces germes religieux; il reconnut et adora la main qui le frappait; sa résignation fut grande et son repentir solennel.

Le dauphin était retenu par un ordre du roi qui commandait formellement d'éloigner l'héritier du trône de toutes les chances de la contagion. Ne pouvant porter à son aïeul ses soins et le témoignage de son attachement, le prince écrivit au contrôleur général :

« Je vous prie, monsieur, de distribuer dans la minute deux cent mille livres aux pauvres, afin qu'ils prient pour la conservation du roi. Et, si vous trouvez que la distribution de cette somme puisse nuire à vos arrangements, vous la retiendrez sur mes pensions.

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Toute sollicitude devenait inutile pour la carrière mortelle du monarque. Le 8 et le 9, la maladie fit les plus rapides progrès. Le cardinal de la Roche-Aymon, grandaumônier de France, parut avec le viatique. Le roi se souleva avec respect sur son lit; il voulait s'humilier à haute voix devant son Dieu; mais ses forces le trahirent, et il retomba en priant le cardinal de lui servir d'inter

prète. Le cardinal, tenant le viatique à la main, dit, d'une voix émue : « Quoique le roi ne doive compte de sa conduite qu'à Dieu seul, il déclare qu'il se repent d'avoir causé du scandale à ses sujets, et qu'il ne désire vivre désormais que pour le soutien de la religion et le bonheur de ses peuples. »

Mesdames n'avaient point quitté leur père; leur piété, qui avait quelquefois importuné son passé coupable, fut la dernière consolation de ses regards mourants: tout le monde le délaissait, et son corps tombait en lambeaux.

Douze ou quinze livrées de la cour avaient été remarquées sur la route de Ruel depuis la retraite de madame Dubarry, et cette adulation intempestive resta longtemps un motif de défaveur sous le nouveau règne. Plusieurs années après la mort de Louis XV, on entendait dire, dans le cercle du roi, lorsqu'il s'agissait des mêmes personnes : « C'était une des quinze voitures de Ruel. »

La cour épiait impatiemment le terme d'une agonie qui ne laissait plus d'espoir ni de crainte à personne. Un départ général pour Choisy devait suivre le dernier soupir de Louis XV; les chevaux des courriers étaient sellés dans les écuries, et les équipages tout prêts. Mais il était impossible que, dans un pareil moment, les ordres fussent demandés et transmis aussi rapidement que chacun le souhaitait. Il fut convenu qu'on placerait un flambeau

dans une fenêtre en vue de toutes parts, et qu'à l'instant où le roi cesserait de vivre, un valet de chambre éteindrait la bougie. Ce signal, qui ressemblait tant à un symbole, ne se fit pas attendre: Louis XV était mort.

Aussitôt la foule se précipite vers l'appartement de M. le dauphin. La comtesse de Noailles entra la première, et la première fit entendre le nom de majesté au roi et à la reine de France. Louis et Marie-Antoinette, par un mouvement spontané, se jetèrent à genoux en pleurant : « O mon Dieu! nous règnons trop jeunes. Mon Dieu, guidez-nous; protégez notre inexpérience '!

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La Gazette de France, du 14 mai 1774, ne contient que ces mots à l'article Versailles:

« Le 12 de ce mois on fit, à sept heures du soir, la levée du corps du feu roi, qui fut conduit sans cérémonie à Saint-Denis, selon l'usage pratiqué pour les princes qui meurent de la petite vérole. L'évêque de Senlis, premier aumônier de sa majesté, accompagna le convoi. Les deux paroisses et les récollets de cette ville le suivirent jusqu'à la place d'Armes. >>

De là le corps fut enlevé en poste.

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