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discours suivant, qu'on ne doit pas lire aujourd'hui sans le méditer avec une scrupuleuse attention:

« Messieurs,

« La gravité des circonstances où se trouve la France m'attire au milieu de vous. Le relâchement progressif de tous les liens de l'ordre et de la subordination, la suspension ou l'inactivité de la justice, les mécontentements qui naissent des privations particulières, les oppositions, les haines malheureuses qui sont la suite inévitable de longues dissensions, la situation critique des finances, et les incertitudes sur la fortune publique, enfin l'agitation générale des esprits, tout semble se réunir pour entretenir l'inquiétude des véritables amis de la prospérité et du bonheur de la France.

Un grand but se présente à vos regards, mais il faut y atteindre, sans accroissement de troubles et sans nouvelles convulsions. C'était, je dois le dire, d'une manière plus douce et plus tranquille que j'espérais vous y conduire, lorsque je formai le dessein de vous rassembler et de réunir, pour la félicité publique, les lumières et les volontés des représentants de la nation; mais mon bonheur et ma gloire ne sont pas moins étroitement liés au succès de vos travaux.

« Je favoriserai, je seconderai de tous les moyens qui

sont en mon pouvoir le succès de cette vaste organisation d'où dépend à mes yeux le salut de la France; et je crois nécessaire de le dire, je suis trop occupé de la situation intérieure du royaume, j'ai les yeux trop ouverts sur les dangers de tout genre dont nous sommes environnés, pour ne pas sentir fortement que, dans la disposition présente des esprits et en considérant l'état où se trouvent les affaires publiques, il faut qu'un nouvel ordre de choses s'établisse avec calme et avec tranquillité, ou que le royaume soit exposé à toutes les calamités de l'anarchie. Que les vrais citoyens réfléchissent, ainsi que je l'ai fait, en fixant uniquement leur attention sur le bien de l'État, et ils verront que, même avec des opinions différentes, un intérêt éminent doit les réunir tous aujourd'hui. Le temps réformera ce qui pourra rester de défectueux dans la collection des lois qui auront été l'ouvrage de cette assemblée. Mais toute entreprise qui tendrait à ébranler les principes de la constitution même, tout concert qui aurait pour but de les renverser ou d'en affaiblir l'heureuse influence, ne serviraient qu'à introduire au milieu de nous les maux effrayants de la discorde....

« Nous ne devons pas nous le dissimuler : il y a beaucoup à faire pour arriver au but. Une volonté suivie, un effort général et commun sont absolument nécessaires pour obtenir un succès véritable. Continuez donc vos travaux, sans autre passion que celle du bien; fixez tou

jours votre première attention sur le sort du peuple et sur la liberté publique; mais occupez-vous aussi d'adoucir, de calmer toute défiance, et mettez fin le plus tôt possible aux différentes inquiétudes qui éloignent de la France un si grand nombre de ses citoyens, et dont l'effet contraste avec les lois de sûreté et de liberté que vous voulez établir. La prospérité ne reviendra qu'avec le contentement général. Nous apercevons partout des espérances; soyons impatients de voir aussi partout le bonheur.

« Un jour, j'aime à le croire, tous les Français indistinctement reconnaîtront l'avantage de l'entière suppression des différences d'ordre et d'état, lorsqu'il est question de travailler en commun au bien public, à cette prospérité de la patrie qui intéresse également tous les citoyens, et chacun doit voir sans peine que, pour être appelé dorénavant à servir l'État de quelque manière, il suffira de s'être rendu remarquable par ses talents ou par ses vertus.

« En même temps, néanmoins, tout ce qui rappelle à une nation l'ancienneté et la continuité des services d'une race honorée, est une distinction que rien ne peut détruire, et comme elle s'unit aux devoirs de la reconnaissance, ceux qui dans toutes les classes de la société aspirent à servir efficacement leur patrie, et ceux qui ont eu déjà l'honneur de réussir, ont un intérêt à respecter cette transmission de titres et de souvenirs, le plus beau de tous les

héritages qu'on puisse faire passer à ses enfants. Le respect dù aux ministres de la religion ne pourra non plus s'effacer, et lorsque leur considération sera principalement unie aux saintes vérités qui sont la sauvegarde de l'ordre et de la morale, tous les citoyens honnêtes, éclairés, auront un égal intérêt à la maintenir et à la défendre.

« J'aurais bien aussi des pertes à compter si, au milieu des plus grands intérêts de l'État, je m'arrêtais à des calculs personnels; mais je trouve une compensation qui me suffit, une compensation pleine et entière, dans l'accroissement du bonheur de la nation, et c'est du fond de mon cœur que j'exprime ce sentiment.

« Je défendrai donc, je maintiendrai la liberté constitutionnelle dont le vœu général, d'accord avec le mien, a consacré les principes. Je ferai davantage; et, de concert avec la reine qui partage tous mes sentiments, je préparerai de bonne heure l'esprit et le cœur de mon fils au nouvel ordre de choses que les circonstances ont amené, je l'habituerai dès ses premiers ans à être heureux du bonheur des Français, et à reconnaître toujours, malgré le langage des flatteurs, qu'une sage constitution le préservera des dangers de l'inexpérience, et qu'une juste liberté ajoute un nouveau prix aux sentiments d'amour et de fidélité dont la nation, depuis tant de siècles, donne à ses rois des preuves si touchantes.

« Je ne dois pas le mettre en doute: en achevant votre ouvrage, vous vous occuperez sûrement avec sagesse et avec candeur de l'affermissement du pouvoir exécutif, cette condition sans laquelle il ne saurait exister aucun ordre durable au dedans, ni aucune considération au dehors. Nulle défiance ne peut raisonnablement vous rester; ainsi, il est de votre devoir, comme citoyens et comme fidèles représentants de la nation, d'assurer au bien de l'État et à la liberté publique cette stabilité qui ne peut dériver que d'une autorité active et tutélaire. Vous aurez sûrement présent à l'esprit que, sans une telle autorité, toutes les parties de votre système de constitution resteraient à la fois sans liens et sans correspondance, et, en vous occupant de la liberté que vous aimez et que j'aime aussi, vous ne perdrez pas de vue que le désordre en administration, en amenant la confusion des pouvoirs, dégénère souvent, par d'aveugles violences, dans la plus dangereuse et la plus alarmante de toutes les tyrannies.

« Vous ne négligerez pas non plus de fixer votre attention sur ce qu'exigent encore, des législateurs, les mœurs, le caractère et les habitudes d'une nation devenue trop célèbre en Europe par la nature de son esprit et de son génie, pour qu'il puisse paraître indifférent d'entretenir ou d'altérer en elle les sentiments de douceur, de confiance et de bonté qui lui ont valu tant de renommée.

« Donnez-lui l'exemple aussi de cet esprit de justice qui

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