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tactique, introduite et perfectionnée avec la corruption révolutionnaire, qui consiste à déjouer ses adversaires les uns par les autres et à ne combattre les idées du peuple qu'avec un homme sorti de ses rangs.

Le renvoi de M. Necker, à peine connu, devint le signal de nouveaux et plus graves désordres. Son buste et celui de M. le duc d'Orléans sont triomphalement promenés dans Paris; les harangueurs de clubs descendent dans la rue et exaltent la multitude. Camille Desmoulins, au Palais-Royal, arrache les feuilles des arbres et les distribue comme des cocardes. « Armez-vous, s'écriet-il, sauvons la France, et proclamons la liberté! »> Trois à quatre mille furieux obéissent, brûlent les barrières et saccagent les couvents. L'assemblée n'en persiste pas moins dans son inflexible opposition. Au lieu d'employer son autorité à calmer un peuple égaré, elle se tourne vers le roi et réclame de nouveau le renvoi des troupes.

Ce langage n'était pas fait pour décourager l'insurrection. Aussi, dès le lendemain 14 juillet, on court aux Invalides, on s'empare des armes et l'on marche sur la Bastille. La populace l'envahit, massacre le gouverneur et quelques soldats, désarmés sur le seuil de la formidable citadelle. M. de Flesselles, prévôt des marchands, est égorgé dans la même journée. Deux électeurs de Paris

se rendent à Versailles pour informer l'assemblée de cette victoire.

Pendant ce temps, le duc de Liancourt, un des membres de la noblesse ralliés au tiers, saisit un moment où Louis XVI, livré à lui-même, repassait tristement dans son esprit les différents partis qu'on lui proposait. Louis XVI (rapporte un autre membre de l'assemblée, le marquis de Ferrières') répugnait à toute mesure capable d'occasionner l'effusion du sang français. Le duc de Liancourt lui expose avec chaleur la situation alarmante de Paris, l'influence de la capitale, les progrès de l'esprit public, le peu de fonds qu'on peut faire sur l'obéissance et la fidélité des troupes, les dangers que courent le roi et la famille royale. << Prince, dit-il au comte d'Artois qui entre avec Monsieur, votre tête est mise à prix, j'ai lu l'affiche de cette terrible proscription. »> Monsieur appuie fortement le duc de Liancourt, et leurs efforts déterminent Louis XVI à se rendre lui-même à l'assemblée. Il s'y rendit, accompagné seulement des deux princes ses frères.

« Messieurs, dit-il, je vous ai rassemblés pour vous consulter sur les affaires les plus importantes de l'État : il n'en est pas de plus instante et qui affecte plus spécialement mon cœur, que les désordres affreux qui règnent

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dans la capitale. Le chef de la nation vient avec confiance, au milieu de ses représentants, leur témoigner sa peine et les inviter à trouver les moyens de ramener l'ordre et le calme. Je sais qu'on a donné d'injustes préventions, je sais qu'on a osé publier que vos personnes n'étaient pas en sûreté. Serait-il donc nécessaire de vous rassurer sur des récits aussi coupables, démentis d'avance par mon caractère connu? Eh bien! c'est moi qui ne suis qu'un avec ma nation, c'est moi qui me fie à vous! >>

A ces mots, prononcés d'une voix émue, le roi fut interrompu par un mouvement presque unanime de reconnaissance. Il en fut visiblement touché et continua :

« Aidez-moi, dans cette circonstance, à assurer le salut de l'État. Je l'attends de l'assemblée nationale; le zèle des représentants de mon peuple réunis pour le salut commun m'en est un sûr garant, et comptant sur l'amour et la fidélité de mes sujets, j'ai donné ordre aux troupes de s'éloigner de Paris et de Versailles. Je vous autorise et vous invite même à faire connaître mes dispositions à la capitale.

>>

L'archevêque de Vienne, qui présidait alors l'assemblée, exprime de respectueux remercîments, tout en insistant avec persévérance sur le rappel des ministres éloignés. Lorsque le roi quitta la salle, l'assemblée se précipita sur ses pas; entouré des démonstrations les plus

douces à son cœur, voyant tous les ordres de l'État confondus dans le même sentiment d'affection à sa personne, il refusa de monter en voiture et retourna à pied jusqu'au château, afin de ne pas se séparer de ce cortége. Enivré lui-même de l'issue de sa démarche auprès de l'assemblée, il était loin de mettre aucune réserve à son abandón. Non-seulement il consentit au rappel du ministre exilé, mais il informa le président que, pour donner aux représentants de la nation une nouvelle preuve de sa confiance, il lui enverrait sa lettre à M. Necker, et l'invitait à la faire parvenir aussitôt en Belgique.

Le 16, le maréchal de Broglie et le baron de Breteuil furent congédiés. Les troupes reprirent le chemin des frontières, et le marquis de La Fayette fut chargé par le roi d'organiser la garde nationale, dont il avait été nommé commandant par le peuple.

La garde nationale pouvait devenir encore le bouclier de la monarchie épuisée, si son chef eût déployé l'intelligence et le dévouement d'une pareille mission. Mais La Fayette ne comprit et n'accomplit jamais que la moitié de la sienne. Il avait le tempérament paisible, le cœur faible et l'esprit faux. Ses premières campagnes d'Amérique, aventure de jeunesse, avaient grandi aux yeux de la France par l'éloignement, par la nouveauté du théâtre et par d'heureux exploits. Revenu à Versailles, La Fayette avait trouvé l'art de marier avec son assiduité de courti

san et la bienveillance particulière de la reine, le patronage de Washington et l'ordre de Cincinnatus. Lancé presque à la tête d'une révolution, il la suivait tout ébahi en ayant l'air de la guider. Il tenait moins du cardinal de Retz que du bonhomme Broussel, acceptait naïvement le fait du jour, séparé de la veille et surtout du lendemain, prenait dans les événements le côté le plus matériel, et dans les délibérations le côté le plus théorique, sans s'apercevoir de cette contradiction, sans se mettre en peine de la portée de ses actions ou de la pratique de ses idées. Il contemplait l'émeute ou l'escortait en uniforme, sans avoir trempé dans aucun complot, pleurait sur les victimes, et croyait à sa générosité comme s'il les eût sauvées. Incapable précisément de sauver rien ni personne, La Fayette eut encore le malheur d'être complété par Bailly, en même temps nommé maire de Paris.

A ce moment déjà si critique, Louis XVI vit s'éloigner ceux de ses sujets qui semblaient le plus intimement attachés à sa personne. Le comte d'Artois, le prince de Condé, une grande partie de la noblesse, sentaient leur impuissance à secourir le roi qui se renfermait dans le cercle étroitement tracé par l'assemblée. Conservant intact le dévouement au monarque, et prêts à répondre à son premier appel, ils crurent devoir se rallier sur la frontière et y former, au milieu de tous les sacrifices, un noyau de forces loyales et fidèles. Les inconvénients de ce plan étaient immédiats, et les avantages lointains. Cette

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