Page images
PDF
EPUB

quin revêtu d'une soutane; on mit le feu à quelques corps de garde et à plusieurs barrières; une centaine de personnes furent blessées au milieu des désordres que la force armée parvint difficilement à comprimer au bout de trois jours.

Ces circonstances critiques ne détournèrent pas Louis XVI de l'engagement qu'il venait de contracter solennellement; mais la question une fois tranchée en faveur de la convocation des états, il en restait une non moins grave, c'était le mode de convocation.

Le parlement, qui n'avait voulu qu'effrayer la cour, était déjà plus épouvanté qu'elle il voyait venir un maître qui écouterait moins les remontrances que Louis XIV; mais il n'était plus temps de s'arrêter. Lorsqu'il reçut l'édit de convocation, il ne l'enregistra qu'avec la clause expresse que l'on suivrait strictement les formes observées en 1614. Cet arrêt fut rendu sur les conclusions de M. d'Esprémenil, qui, de ce jour, enróla son éloquence sous l'étendard de la monarchie, et perdit sa popularité. De ce jour expire la vieille magistrature parlementaire; nous n'aurons plus à nous en occuper désormais. Elle avait convoité le rôle d'arbitre suprême entre le gouvernement et la nation, mais aussitôt que les adversaires se trouvèrent en présence, ils s'enflammèrent dans leur querelle, et ne s'inquiétèrent plus des arbitres.

M. Necker se prononçait fortement contre les antiques formes de 1614, qui attribuaient une infériorité marquée au tiers état. Il ne tint aucun compte de l'arrêt du parlement, et présenta au roi une apologie du tiers état pour lequel il demandait la double représentation. Il s'efforçait de démontrer que, puisqu'il s'agissait de l'abolition de nombreux priviléges, il fallait donner dans l'assemblée une influence incontestable à la classe non privilégiée; que la politique des rois de France avait presque toujours consisté à s'appuyer sur les communes contre les deux premiers ordres, et que la France se retrouvant dans le même péril, il fallait recourir au même remède. Un édit du 27 octobre 1787 avait rendu la liberté politique et religieuse aux protestants. On représentait donc à Louis XVI la nation entière unie dans un sentiment de gratitude, réclamant pour toute conquête la garantie des améliorations résolues dans le conseil.

Le roi et la reine, mécontents de la résistance du clergé et de la noblesse, penchèrent plus facilement vers ceux qui semblaient avoir tout à gagner en se montrant dociles. Les adversaires naturels du tiers état dans l'esprit de Louis XVI, contribuaient précisément à lui en faire souhaiter la prépondérance. Pour la première fois, Louis XVI commença à dire mon peuple, en le séparant des deux premiers ordres, et s'accoutuma à une confiance qui ne fut pas mieux comprise que récompensée.

Le prince de Condé fit rédiger un mémoire où les malheurs de la monarchie étaient éloquemment annoncés. M. Necker ne redoutait pas la discussion, et il convoqua une seconde assemblée des notables pour leur demander la sanction de son système, sans s'apercevoir qu'il s'enlevait le mérite de la fermeté, et livrait un aliment de plus à l'effervescence générale. Le bureau, présidé par Monsieur, se prononça en faveur du ministre. L'adhésion d'un frère du roi donna à cette minorité une valeur imposante, et entraîna l'adoption de la mesure; on décida le doublement du tiers dans un conseil auquel assista la reine; la question capitale du vote par ordre ou par tête fut remise au jugement des états généraux, cette assemblée devant être chargée de sa propre police.

Au même moment paraissait une brochure de l'abbé Sieyes qui se résumait par ces mots : « Qu'est-ce que le tiers-état? Rien. Que doit-il être? Tout. »

M. Necker, maître de la volonté du roi, comptant sur le suffrage de la presse, prétendait fonder la solidité de son ministère sur des bases indépendantes, et ne songeait qu'aux piéges de la cour, tandis que la stabilité des institutions fondamentales était controversée de toutes parts. M. Necker, dont le vœu novateur ne franchissait pas les limites de la monarchie anglaise, ne s'apercevait pas qu'elles étaient déjà dépassées. Il s'occupait encore de divisions et de pondérations de pouvoir, lorsque

l'envahissement de la démocratie atteignait l'omnipo

tence'.

Le tiers état, consulté dans sa propre cause, précisément comme la noblesse à l'assemblée des notables, allait faire la même réponse avec d'autres mots interroger ses instincts particuliers, quand on l'interrogeait sur le salut public, et venger des pères qui ne s'étaient pas trouvés offensés. Avant d'interpeller le juge, ne fallait-il pas désintéresser l'homme?

M. Necker repoussait tout avertissement. « D'ailleurs, en considérant pour un moment l'intérêt seul de l'autorité royale, je demande comment on aurait pu connaître à l'avance les personnes que cette autorité aurait un jour contre elle; je demande surtout par quel esprit de divination, par quel trait de magie on aurait pu savoir que le monarque avait à se défier, et des hommes habitués depuis longtemps à ses bienfaits, et de ceux qu'on voyait à poste fixe sur la route de l'ambition, et de ceux qui étaient attachés les uns à la cour, les autres à l'administration publique, les autres aux premiers corps de l'État, les autres à la gestion des affaires des grandes maisons de France? Comment encore aurait-on pu juger par voie de prévision de l'esprit et du caractère d'une multitude de citoyens choisis pour députés, et dont les uns par leur âge, les autres par leur état antérieur, étaient à peine connus, et qui, pour la première fois de leur vie, ont pris à l'assemblée nationale une opinion politique; tous ces hommes nouveaux, ou dans le monde, ou dans les affaires publiques, ont été formés par les circonstances et mis en mouvement par le vent impétueux de l'opinion, et s'il eût soufflé dans un sens contraire, nous leur aurions vu peut-être la même action dans une autre route.

Mémoires de Necker, tome VI, page 183.

Le conseil mit en délibération le lieu où se tiendraient les séances. M. Necker proposait Paris comme centre des lumières. Le prince de Condé et le comte d'Artois demandaient au contraire qu'on prît soin de soustraire l'assemblée à l'action de la capitale, qui avait laissé éclater les irrécusables symptômes d'un esprit insurrectionnel; ils proposaient Tours ou Orléans. Louis XVI préféra Versailles, afin de rester en communication plus directe et plus journalière avec les élus de son peuple.

Au mois de mars 1789, six millions d'électeurs se réunirent sur toute la surface du royaume pour choisir douze cents députés. Cette manifestation populaire, dont l'élan et la liberté ne se reproduisirent plus, proclamait les vrais principes de la monarchie tempérée, et en recommandait avec amour le maintien à ses commettants. L'ouverture des états était définitivement fixée au 5 mai.

« PreviousContinue »