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de Dieu est le plus noble des sentiments qui puissent occuper le cœur de l'homme.... Outre cette dévotion intérieure, l'âme et l'essence de la religion, il est une dévotion extérieure qui en est comme le corps et doit en être la compagne inséparable; l'une sanctifie, l'autre édifie. Le devoir d'édifier, commun à tous les hommes, et plus particulièrement celui de la supériorité, est éminemment le devoir des princes.

Rien n'est grand dans l'absence de la religion.

L'écueil à craindre pour le prince, dans l'exercice de la dévotion extérieure, ce serait que le motif n'en fût pas assez épuré, et qu'il ne cherchât dans une piété d'ostentation qu'un instrument à sa politique. Ce serait faire les frais du bien, et en prostituer les fruits.

§ VII. DU POUVOIR DU PRINCE Dans l'église.

Le pouvoir du roi de France dans l'Église est celui du fils aîné dans la maison de sa mère : c'est un pouvoir de protection et de bienveillance, et nullement de domination.

Ce langage, ces enseignements, exempts de complaisance, en face du trône, cette cour qui se concerte pour honorer en commun l'austérité du devoir, méritent un

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hommage qu'on a rarement l'occasion d'offrir à cette époque. Ces efforts éclairés ne demeurèrent pas inutiles, et l'on put bientôt en applaudir les résultats. L'intelligence du dauphin croissait rapidement; « en matière de compréhension, il faisait de grandes diligences, » comme a dit Sully d'Henri IV. Sa mémoire infatigable ne laissait rien échapper de ce qui lui avait été confié. Il possédait parfaitement le latin et tous les auteurs classiques; l'italien et ses poëtes lui étaient aussi familiers que la langue et la littérature françaises; il parlait passablement l'allemand, et bien l'anglais. Il lisait tous les jours les gazettes de Londres; le premier ouvrage qu'il traduisit de cette langue fut l'histoire de Charles Ier, par Hume; il traduisit aussi les Doutes historiques sur les crimes imputés à Richard III, par Horace Walpole, et les cinq premiers volumes de la Décadence de l'Empire romain, par Gibbon.

Il voulut savoir si ces traductions pourraient subir l'épreuve de l'impression, et un lecteur de son cabinet, Leclerc de Sept-Chênes, fut chargé de les faire imprimer, en leur prêtant son nom. M. de Sept-Chênes ayant demandé un censeur au garde des sceaux, l'ouvrage fut envoyé à l'abbé Aubert, qui le rendit avec une approbation motivée et flatteuse. Quelques années après, M. Aubert reçut un exemplaire richement relié; en le lui remettant, M. de Vergennes lui dit : « Ne vous étonnez pas, monsieur, de la magnificence de ce cadeau inat

tendu : c'est que le traducteur que vous avez bien voulu juger autrefois vient de monter sur le trône. »

Il avait fait imprimer aussi un choix de ses lectures dans Fénelon. Ce volume a pour titre Maximes morales et politiques tirées de Télémaque, par Louis-Auguste Dauphin, et au bas A Versailles, de l'imprimerie de M. le Dauphin, 1766. Il en fit tirer vingt-cinq exemplaires, et offrit le premier au roi son aïeul.

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La géographie était une de ses études favorites; il dessina un atlas complet avec la plus rigoureuse précision; il se rendit même beaucoup plus habile dans cette science qu'il n'importe à un prince, et, simple particulier, on n'eût pas pu lui refuser une place à l'Académie des Sciences. Aux études importantes il joignait encore quelques occupations de son choix; les arts mécaniques remplissaient l'heure de ses délassements, quand le temps ne lui permettait pas d'autre exercice. Dès son enfance, on l'y avait appliqué pour fortifier la faiblesse de son tempérament, et on lui avait bientôt rendu la vigueur héréditaire dans la maison de Saxe, dont il était issu par sa mère. Il trouvait dans un atelier solitaire un tour, des instruments de menuiserie, de serrurerie, et les maniait avec adresse. Ce passe-temps lui tenait lieu des spectacles, du jeu et des dissipations bruyantes qui composaient la vie autour de lui. Aussi n'échappait-il pas à la malignité de ceux qui le condamnaient pour n'en être pas con

damnés; et, comme autrefois on avait essayé de ridiculiser son père, en disant à tout propos: Il fait de la musique, on crut attacher au fils un ridicule pire encore, en disant Il fait des serrures.

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L'importance de l'agriculture n'échappait pas à son esprit sérieux et sensé. Souvent il abordait les laboureurs au milieu des champs, s'entretenait avec eux de la culture, et plus d'une fois se fit un plaisir d'emprunter leur bêche, ou de tenir le soc de la charrue'.

Un jour qu'il suivait une chasse avec ses frères, ceux-ci, entendant sonner la mort du cerf, ordonnent au cocher de se hâter et de traverser un champ de blé. Le dauphin s'élance à la portière et commande impérieusement d'arrêter : Comment, s'écrie-t-il avec un accent de colère, voulez-vous ravager un terrain si précieux? »

C'est avec cet amour et cette habitude du bon emploi du temps, qu'il put se suffire à lui-même et échapper à

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Monseigneur le dauphin labourant, et monseigneur le dauphin chassant, deux estampes en pendant, d'environ dix-huit pouces de haut sur quinze de large. Prix: 6 livres la première, et 3 livres la seconde. A Paris, chez Croisy, graveur, quai des Augustins, à la Minerve. On aimera à se rappeler, en voyant ces deux estampes, les deux traits de bienfaisance rapportés dans notre Mercure du mois de septembre 1768. (Mercure de France.)

tous les écueils, dont le plus dangereux était assurément l'exemple qu'il avait sous les yeux. Et pourtant' il n'avait plus d'autre frein que celui qu'il s'imposait à lui-même. Sa mère avait suivi de près M. le dauphin au tombeau. Comme son époux aussi, elle bénit ses enfants avant de mourir, et ferma ses yeux consolés parce qu'ils avaient entrevu la pureté et la solidité des vertus de son fils.

Ses maîtres cessèrent de lui commander avant qu'il eût cessé de leur obéir, et lorsque les convenances royales l'eurent affranchi de leur tutelle, il se fit disciple d'une règle qu'il n'enfreignit jamais. C'était mieux que l'innocente ignorance du mal, mieux qu'une jeunesse providentiellement préservée qu'il fallait admirer en lui, c'était une âme saintement inspirée, une candeur armée d'une volonté réfléchie tout concourait pour séduire ou vaincre des résolutions passagères. Et quel funeste piége n'était pas la vieillesse du roi pour l'inexpérience du prince adolescent!

Il faut aussi rendre hommage au duc de la Vauguyon et à ses collègues : ils conservèrent intact le dépôt de la nature. Malheureusement ils ne songèrent pas assez à en tirer tout ce qu'exigeait l'avenir. Maintenir le caractère du dauphin irréprochable, c'était immense; mais il eût importé aussi de le mettre en rapport direct avec l'esprit de son temps. Il était nécessaire et facile de prévoir que le successeur de Louis XV devrait à la France des satis

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