Page images
PDF
EPUB

MANIFESTE.

Le roi n'est pas le juge des querelles domestiques de l'Angleterre; ni le droit des gens, ni les traités, ni la morale, ni la politique, ne lui imposent l'obligation d'être le gardien de la fidélité que les sujets anglais peuvent devoir à leur souverain.

OBSERVATION DE LOUIS XVI.

Cependant nous les avons jugées dans le fait à notre profit.

Cette observation pourrait autoriser l'Angleterre à aider ouvertement les mécontents si souvent agités en Bretagne... et avec ces mêmes expressions, elle justifiera les plus graves préjudices qui pourraient être portés à l'autorité royale.

Il est nécessaire en général de combiner le mémoire présent de telle manière que les objets en litige soient tus, et que nous présentions seulement à la France et à l'Europe le grave inconvénient pour la sûreté générale de laisser prendre à la Grande-Bretagne le ton qu'elle s'arroge envers toutes les puissances maritimes et continentales il est donc nécessaire de montrer qu'elle a abusé de ses forces par des voies de fait qui lui ont attiré

:

l'animadversion de tous les Etats dont la politique est plus douce, plus conforme à l'humanité.

Ce manifeste, corrigé avec une si royale délicatesse, parut en 1779.

Quelque précipitée que fût la marche des événements, il restait encore de la place pour les joies et les fêtes de la cour. Marie-Antoinette avait à cœur de présenter la France à son frère. L'empereur Joseph entreprit effectivement ce voyage, sous le nom de comte Falkenstein. Il refusa l'hospitalité de Versailles, se logea dans un hôtel garni, prit une voiture de remise et un domestique de place.

Il faisait des visites comme un simple particulier, et entrait dans toutes les maisons qui pouvaient attirer sa curiosité. Il alla jusqu'au château de Luciennes où s'était retirée madame Dubarry, il lui offrit même son bras pour une promenade dans le parc; et et remarquant la surprise que causaient ses attentions à une femme qui n'avait jamais mérité de pareils hommages et qui n'y était plus habituée : « Acceptez, madame, lui dit-il; la beauté est toujours reine. » Il assista à plusieurs séances de diverses académies, et accepta de chacune d'elles un jeton d'académicien, se montra assidu aux audiences du parlement, et parut frappé des formes de ce tribunal. L'Hôtel des Invalides et l'Ecole-Militaire attirèrent son

attention. Partout la dignité du monarque s'effaçait devant la curiosité du voyageur, qui semblait prendre à tâche d'éclipser Franklin lui-même en familiarité. Cependant il oubliait quelquefois son incognito philosophique, et un jour il répondit à une femme de la cour qui voulait lui faire partager son enthousiasme pour la cause américaine : « Excusez-moi, madame; mon métier à moi, c'est d'être royaliste. » Ce mot ne fut pas entendu par les ministres de Louis XVI, et de retour dans ses Etats, l'empereur lui-même ne s'en souvint plus.

Joseph II s'exprimait avec facilité dans notre langue, et la singularité de quelques expressions ne faisait que prêter du piquant à son langage. Il répétait souvent, par exemple, qu'il aimait les choses spectaculeuses, et en effet il les recherchait à tout prix. Son esprit frondeur n'épargnait personne. Louis XVI, Marie-Antoinette surtout, ne furent pas à l'abri de ses railleries. Le roi se contentait ordinairement de sourire; mais la reine s'y montrait plus sensible.

Après un séjour de deux mois, l'empereur partit pour les provinces, et se rendit d'abord en Normandie, où il admira les haras que le roi venait de remettre dans un état florissant. Il se rendit de Brest à Bordeaux, traversa le Midi, et sortit de la France par Lyon.

Le parti philosophique le suivit des yeux jusqu'à Ge

nève, impatient de savoir si Joseph serait assez reconnaissant des applaudissements reçus à Paris, pour aller remercier le patriarche de Ferney. Voltaire comptait sur cette visite; mais l'empereur, sans doute fatigué de son rôle, traversa la Suisse sans envoyer même la consolation d'un mot obligeant.

Du reste, Voltaire visait à un dernier et plus éclatant triomphe, et s'occupait sans relâche, par sa correspondance, par l'activité de ses amis, à lever tous les obstacles qui lui fermaient l'entrée de la France.

Le premier de ces obstacles était la répugnance connue du roi qui, en toute circonstance, la proclamait hautement; dernièrement encore, on avait, en sa présence, qualifié Voltaire d'universel; c'était l'épithète à la mode. « Universel pour le mal,» reprit Louis XVI. L'interlocuteur se hâta d'ajouter qu'il ne parlait que du mérite littéraire. « Eh bien, monsieur, à ne considérer que l'esprit, je trouverai toujours qu'il en manque un fort essentiel à l'homme de lettres qui ne sait pas se concilier l'estime de ses lecteurs. >>

Au demeurant, Voltaire n'avait jamais consenti à rompre ses liens avec la cour, et même, durant son exil, son nom se trouva plus d'une fois mêlé aux amusements de la famille royale. Deux ans avant sa rentrée à Paris, on préparait à Brunoy, chez le comte de Provence, une

fète en l'honneur de la reine. Il s'agissait d'une surprise, on avait besoin d'inspiration, et le seul flatteur auquel on crut pouvoir s'adresser fut Voltaire. Il accepta l'emploi avec empressement, et répondit du fond de son exil :

« Il y a une fête qui est fort célèbre à Vienne, c'est celle de l'hôte et de l'hôtesse. L'empereur est l'hôte et l'impératrice est l'hôtesse; ils reçoivent tous les voyageurs qui viennent souper et coucher chez eux, et donnent un bon repas à table d'hôte. Tous les voyageurs sont habillés à l'ancienne mode de leur pays; chacun fait de son mieux pour cajoler respectueusement l'hôtesse, après quoi tous dansent ensemble. »

Cet emprunt, fait à la patrie de la reine, parut un àpropos charmant, et Voltaire joignit à son plan ce quatrain pour servir d'inscription à un buste de Marie-An

toinette :

« Amours, grâce, plaisirs, nos fêtes vous admettent;
Regardez ce portrait, vous pouvez l'adorer;

« Un moment devant lui vous pouvez folâtrer,
« Les vertus vous le permettent. »

Voltaire ne voulut pas que sa peine fût perdue, et en même temps il écrivit au comte d'Argental (18 octobre 1776) pour solliciter la protection de cette divine

Antoinette.

« PreviousContinue »